Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2009, n°C-12/08

Par un arrêt dont la date n’est pas spécifiée, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs. Saisie sur question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour a été amenée à clarifier l’articulation entre le droit de l’Union et les réglementations nationales qui organisent les voies de recours des salariés. L’affaire sous-jacente, dont les faits ne sont pas rapportés, opposait vraisemblablement des salariés licenciés à leur employeur, dans un contexte où la législation interne semblait restreindre leur capacité à contester individuellement la procédure de licenciement collectif. La juridiction de renvoi s’interrogeait essentiellement sur la compatibilité de conditions et de limites imposées au droit d’action individuel du travailleur avec les exigences du droit de l’Union. Plus précisément, le problème de droit consistait à déterminer si une législation nationale peut, sans méconnaître la directive et le principe de protection juridictionnelle effective, conditionner le recours d’un salarié à une contestation préalable par les représentants du personnel. Il s’agissait également de savoir si cette même législation peut réduire les obligations d’information et de consultation de l’employeur. La Cour de justice y répond en validant l’encadrement procédural du recours individuel, tout en réaffirmant l’intangibilité des obligations substantielles qui pèsent sur l’employeur. La solution de la Cour trace ainsi une ligne de partage entre les modalités procédurales, laissées à une marge d’appréciation des États membres, et le socle de droits garantis par la directive. Il convient dès lors d’examiner la portée de cette distinction, en analysant d’une part la validation d’un encadrement national du droit d’action individuel (I), et d’autre part le refus catégorique de toute régression des obligations patronales (II).

I. La validation d’un encadrement national du droit d’action individuel

La Cour de justice de l’Union européenne admet qu’une législation nationale puisse encadrer l’action des salariés, en admettant des conditions à l’exercice de leur recours (A) sans que cela ne contrevienne, selon elle, au principe de protection juridictionnelle effective (B).

A. L’admission de conditions à l’exercice du recours par le travailleur

La décision commentée reconnaît la faculté pour un État membre d’aménager les voies de droit ouvertes aux salariés. La Cour juge que la directive 98/59 ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale « limite le droit d’action individuel des travailleurs en ce qui concerne les griefs pouvant être invoqués ». Elle valide ainsi un mécanisme qui « le conditionne par l’exigence que des objections aient été préalablement formulées vis-à-vis de l’employeur par les représentants des travailleurs ». L’analyse de la Cour suggère que le droit d’action individuel n’est pas absolu et peut être organisé pour s’articuler avec l’action des instances représentatives. Cette approche semble privilégier la dimension collective de la procédure, où les représentants du personnel agissent comme un premier filtre des contestations. En subordonnant l’action individuelle à une démarche collective préalable, la Cour légitime un dispositif qui vise potentiellement à centraliser et rationaliser le contentieux des licenciements collectifs. La solution favorise un dialogue social structuré, où les instances représentatives sont confortées dans leur rôle de premier interlocuteur de l’employeur.

B. La conformité de l’encadrement au principe de protection juridictionnelle effective

La Cour estime ensuite que cet encadrement procédural est compatible avec les exigences fondamentales du droit de l’Union. Elle juge en effet que l’existence de limites et de conditions au droit d’action individuel « n’est pas de nature à méconnaître le principe de protection juridictionnelle effective ». Cette appréciation repose sur l’idée que le droit d’accès à un tribunal n’est pas supprimé, mais simplement aménagé. La protection est considérée comme effective dès lors qu’une voie de recours demeure ouverte, même si son accès est soumis à des conditions. La valeur de cette solution est toutefois discutable. En faisant dépendre l’action individuelle de la diligence des représentants du personnel, elle crée un risque de priver le salarié de son droit au recours si ces derniers sont négligents ou inactifs. La protection du travailleur devient alors dépendante d’un tiers, ce qui pourrait en pratique affaiblir sa position. La Cour semble néanmoins considérer ce risque comme acceptable, au regard de la cohérence globale du système de représentation collective.

Si la Cour fait preuve de souplesse quant à l’organisation des voies de droit, elle se montre en revanche intransigeante sur le respect du contenu des obligations qui incombent à l’employeur.

II. Le refus de toute régression des obligations substantielles de l’employeur

La Cour de justice rappelle avec fermeté l’interdiction pour les États membres de réduire les garanties offertes par la directive (A) et insiste sur le rôle essentiel du juge national pour assurer la pleine application du droit de l’Union (B).

A. L’interdiction d’une réduction des garanties prévues par la directive

La seconde partie du raisonnement de la Cour constitue un rappel à l’ordre sans équivoque. Il est jugé que l’article 2 de la directive « s’oppose à une réglementation nationale qui réduit les obligations de l’employeur qui entend procéder à des licenciements collectifs par rapport à celles prévues audit article 2 ». La Cour affirme ici le caractère de norme plancher des dispositions de la directive en matière d’information et de consultation. Aucune législation interne ne peut donc prévoir des exigences moindres que celles définies par le droit de l’Union. Le sens de cette affirmation est clair : la marge de manœuvre des États membres, reconnue en matière de procédure, ne s’étend pas aux obligations de fond. La directive établit un socle minimal de protection qui ne saurait être amoindri, garantissant ainsi une harmonisation effective des droits des travailleurs au sein de l’Union. Cette position réaffirme le principe de primauté du droit de l’Union dans un domaine central du droit social européen.

B. Le rôle crucial du juge national dans l’application du droit de l’Union

Enfin, la Cour souligne la responsabilité du juge national dans la mise en œuvre de cette protection. Elle rappelle que la juridiction nationale doit, en application du principe d’interprétation conforme, assurer l’effet utile de la directive. En conséquence, « il lui appartient par conséquent d’assurer, dans le cadre de sa compétence, que les obligations pesant sur un tel employeur ne soient pas réduites ». La portée de ce considérant est considérable. Il fait du juge national le garant ultime de la suprématie et de l’effectivité du droit de l’Union. Même en présence d’une loi nationale contraire, le juge a l’obligation d’interpréter le droit interne à la lumière du texte et de la finalité de la directive, et d’écarter toute disposition nationale qui contreviendrait à ses objectifs. Cette solution illustre parfaitement le mécanisme de coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales, lesquelles agissent comme des juges de droit commun du droit de l’Union, assurant son application concrète et uniforme sur tout le territoire.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture