L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 16 juillet 2009, dans l’affaire C-126/08, apporte une clarification essentielle sur les modalités de recouvrement des créances douanières en droit communautaire. En l’espèce, des lots d’alcool éthylique placés sous le régime douanier du perfectionnement actif avaient été frauduleusement soustraits à ce régime par leur remplacement par de l’eau, donnant ainsi naissance à une dette douanière. Les autorités belges, après avoir constaté l’infraction, ont engagé des poursuites en recouvrement des droits à l’importation. La cour d’appel d’Anvers, par un arrêt du 26 septembre 2006, avait condamné solidairement une société et une autre partie au paiement de ces droits. Un pourvoi fut formé devant la Cour de cassation belge, au motif principal que le procès-verbal de constatation de l’infraction, dressé par les agents des douanes, ne pouvait valoir « prise en compte » de la dette au sens de l’article 217 du code des douanes communautaire. Les juges du fond auraient donc violé cette disposition en considérant que ce document constituait un « registre comptable ou tout autre support qui en tient lieu ». Face à cette argumentation, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si la prise en compte d’une dette douanière peut valablement s’opérer par sa mention dans un procès-verbal dressé par des agents verbalisateurs, et si ce procès-verbal peut être assimilé à un support d’inscription comptable. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que les États membres disposent de la faculté de prévoir qu’un tel procès-verbal constitue bien l’acte de prise en compte de la dette douanière.
La solution de la Cour consacre une interprétation pragmatique des formalités de recouvrement douanier, en reconnaissant qu’une procédure nationale adaptée aux situations frauduleuses peut satisfaire aux exigences du droit communautaire (I). Cette flexibilité procédurale, loin d’affaiblir les garanties, renforce l’efficacité du recouvrement des créances douanières tout en assurant l’information du débiteur (II).
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I. La validation d’une procédure nationale pragmatique pour la prise en compte de la dette douanière
La décision de la Cour de justice repose sur une lecture souple de la notion de « prise en compte », qui se justifie par la marge d’appréciation laissée aux États membres pour l’adapter aux circonstances particulières de la naissance de la dette.
A. L’interprétation extensive de la notion de « prise en compte »
La prise en compte, définie par l’article 217, paragraphe 1, du code des douanes, est l’acte par lequel les autorités douanières inscrivent le montant d’une dette douanière « dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu ». Cette opération formalise l’existence et le montant de la créance de l’administration, constituant le point de départ de la procédure de recouvrement. La question soulevée était de savoir si un procès-verbal, dont l’objet premier est de constater une infraction, pouvait être qualifié d’« autre support qui en tient lieu ». En y répondant positivement, la Cour adopte une approche fonctionnelle plutôt que formaliste.
Elle considère que la nature du support importe moins que sa capacité à matérialiser de manière officielle et certaine la créance douanière. Le procès-verbal, en tant qu’acte authentique dressé par des agents compétents, contient les éléments nécessaires à l’identification de la dette, notamment sa cause et son montant. Il remplit donc la fonction assignée à la prise en compte. Cette interprétation permet d’éviter qu’un débiteur de mauvaise foi ne puisse se prévaloir d’une distinction purement formelle entre un registre comptable au sens strict et un acte administratif qui, en pratique, produit les mêmes effets. La Cour reconnaît ainsi la validité d’une pratique administrative qui fusionne la constatation de l’infraction et l’enregistrement de la dette qui en découle.
B. La justification par l’autonomie procédurale des États membres
Le fondement juridique de cette flexibilité se trouve à l’article 217, paragraphe 2, du code des douanes, qui confie aux États membres le soin de déterminer les « modalités pratiques de prise en compte ». Ce même paragraphe précise que ces modalités peuvent varier « selon que les autorités douanières, compte tenu des conditions dans lesquelles la dette douanière est née, sont assurées ou non du paiement desdits montants ». La Cour s’appuie de manière décisive sur cette disposition pour légitimer la pratique belge.
En effet, elle relève que dans une affaire de fraude, l’issue de la procédure de recouvrement est « par nature, incertaine », de sorte que les autorités ne peuvent être assurées du paiement. Dans de telles circonstances, les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour prévoir des modalités dérogatoires au formalisme comptable habituel. L’inscription de la dette directement dans le procès-verbal de constatation de l’infraction apparaît comme une modalité pratique adaptée et proportionnée à la situation. La Cour valide ainsi la faculté pour un État membre de mettre en place une procédure spécifique, plus directe et réactive, lorsque la créance douanière résulte d’agissements illicites, sans que cette spécificité ne contrevienne aux principes du droit douanier communautaire.
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II. La portée de la flexibilité procédurale sur l’efficacité du recouvrement douanier
En validant l’inscription de la dette dans un procès-verbal, la Cour renforce les moyens de lutte contre la fraude douanière, tout en clarifiant que cette méthode satisfait également à l’exigence de communication de la créance au débiteur.
A. La sécurisation du recouvrement des droits en matière de fraude
La portée de cet arrêt est avant tout pratique : il vise à garantir l’effectivité du recouvrement des ressources propres de la Communauté. Si la Cour avait adopté une lecture restrictive de l’article 217, les administrations douanières nationales auraient été contraintes de multiplier les étapes procédurales, en devant d’abord constater l’infraction par procès-verbal, puis effectuer une inscription distincte dans un registre comptable spécifique. Un tel formalisme aurait pu créer des délais et ouvrir des brèches contentieuses pour les débiteurs, qui auraient pu arguer de l’irrégularité de la prise en compte pour tenter d’échapper au paiement.
En jugeant que « les États membres peuvent prévoir que la prise en compte du montant des droits résultant d’une dette douanière est réalisée par l’inscription dudit montant dans le procès-verbal », la Cour prévient ce risque. Elle permet aux autorités d’agir avec célérité et efficacité dès la découverte de la fraude. La décision assure ainsi que les règles procédurales ne deviennent pas un obstacle à la perception des droits dus. Elle aligne le formalisme juridique sur les impératifs opérationnels de la lutte contre la fraude, renforçant la position des administrations douanières dans des contextes contentieux où la mauvaise foi du débiteur est souvent avérée.
B. La clarification des exigences relatives à l’information du débiteur
La reconnaissance du procès-verbal comme support de la prise en compte a également des conséquences sur l’obligation de communication de la dette. L’article 221, paragraphe 1, du code des douanes impose que le montant des droits soit communiqué au débiteur « dès qu’il a été pris en compte ». L’arrêt, bien que centré sur l’article 217, éclaire indirectement l’application de cette seconde disposition. En effet, la législation nationale en cause prévoyait la remise d’une copie du procès-verbal au contrevenant.
Dès lors que le procès-verbal vaut acte de prise en compte, sa notification au débiteur peut logiquement valoir communication de la dette au sens de l’article 221. Un seul et même acte accomplit ainsi deux fonctions distinctes mais successives : l’enregistrement officiel de la créance et son information au redevable. Cette solution garantit le respect des droits de la défense, puisque le débiteur est informé de manière certaine et détaillée de l’existence, de la cause et du montant de la dette réclamée. La flexibilité accordée sur la forme de la prise en compte ne se fait donc pas au détriment de la transparence, mais permet au contraire de rationaliser la procédure en assurant que l’information du débiteur intervient de manière concomitante à la formalisation de sa dette.