Par un arrêt rendu en langue française, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission européenne. En l’espèce, un État membre n’avait pas transposé dans le délai imparti la directive 2006/70/CE, laquelle précise notamment la définition des « personnes politiquement exposées » dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Saisie par la Commission, la Cour devait déterminer si l’absence d’adoption des dispositions nationales nécessaires à la transposition d’une directive dans le délai prescrit caractérise un manquement aux obligations incombant à un État membre. La Cour de justice a jugé qu’« en ne prenant pas, dans le délai prescrit, toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». Cette décision, qui illustre la rigueur du contrôle exercé sur les obligations de transposition (I), rappelle également la portée des instruments de l’Union dans des domaines sensibles (II).
I. La consécration d’un manquement objectif à l’obligation de transposition
La solution retenue par la Cour de justice s’explique par la nature même des obligations pesant sur les États membres en matière de transposition. La constatation de la violation résulte de la simple inaction de l’État (A), ce qui rend la condamnation prononcée par la Cour inéluctable (B).
A. Une violation constituée par la simple inaction de l’État membre
La directive est un acte juridique de l’Union qui lie les États membres destinataires quant au résultat à atteindre, tout en leur laissant la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette liberté connaît cependant une limite temporelle ferme, à savoir le délai de transposition. Le manquement est constitué par le seul fait pour un État membre de ne pas avoir adopté les mesures de transposition nécessaires avant l’expiration de ce délai. La Cour de justice n’a pas à rechercher les causes ou les justifications de ce retard.
L’infraction aux traités est ainsi établie de manière objective. Il suffit à la Commission d’apporter la preuve de l’absence de communication des mesures de transposition pour que le manquement soit caractérisé. Le raisonnement de la Cour est donc dépourvu de toute appréciation subjective du comportement de l’État défaillant. La décision commentée applique cette jurisprudence constante avec une logique implacable, le non-respect du délai constituant l’unique élément pertinent pour sa décision.
B. Le caractère inéluctable de la condamnation
Une fois le manquement objectivement constaté, l’État membre ne peut utilement invoquer des difficultés internes pour échapper à sa responsabilité. Des considérations d’ordre politique, administratif ou budgétaire sont systématiquement jugées inopérantes par la Cour de justice. Chaque État doit en effet veiller à ce que son ordre juridique interne soit apte à garantir la pleine effectivité du droit de l’Union. La condamnation apparaît dès lors comme la conséquence quasi automatique de l’expiration du délai.
Le rôle du juge de l’Union dans ce type de contentieux est ainsi strictement encadré. Il ne lui appartient pas d’apprécier l’opportunité ou la difficulté de la transposition, mais seulement de vérifier si les obligations découlant des traités ont été respectées. En condamnant l’État membre aux dépens, la Cour applique une solution de principe qui ne laisse place à aucune exception. La rigueur de cette position est le corollaire indispensable de l’exigence d’une application uniforme du droit de l’Union.
II. Le rappel de l’impératif d’effectivité du droit de l’Union
Au-delà de son aspect technique, la décision met en lumière le rôle fondamental de la procédure en manquement dans la structure juridique de l’Union (A). Elle souligne également l’importance de l’harmonisation poursuivie par la directive en cause (B).
A. La procédure en manquement comme garantie de l’ordre juridique de l’Union
Le recours en manquement, prévu par les traités, confère à la Commission son rôle de « gardienne des traités ». Cette procédure est essentielle pour assurer que le droit de l’Union ne reste pas une simple déclaration d’intention. Elle garantit que tous les États membres sont soumis aux mêmes obligations, préservant ainsi l’égalité entre eux et la sécurité juridique pour les citoyens et les entreprises. La présente décision est une manifestation classique de cette fonction essentielle.
En sanctionnant le défaut de transposition, la Cour de justice ne fait pas que régler un litige entre une institution et un État. Elle réaffirme la primauté et l’effet direct du droit de l’Union, qui sont les piliers de l’ordre juridique communautaire. Le caractère obligatoire de la condamnation est la seule garantie que les objectifs poursuivis par le législateur de l’Union se concrétisent de manière effective sur l’ensemble du territoire de l’Union.
B. La finalité de l’harmonisation en matière de lutte contre le blanchiment
La directive dont la transposition faisait défaut s’inscrit dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’harmonisation des règles, notamment sur la définition des personnes politiquement exposées, est cruciale dans ce domaine. Des divergences d’application d’un État à l’autre créeraient des failles dans le dispositif global de sécurité financière de l’Union. Ces brèches pourraient être exploitées par des réseaux criminels.
La sévérité de la Cour s’apprécie donc aussi à l’aune des enjeux substantiels de la législation non transposée. L’intégrité du système financier de l’Union européenne dépend de la mise en œuvre cohérente et ponctuelle de ces instruments. Le retard d’un seul État membre peut affaiblir l’ensemble de l’édifice. La décision commentée rappelle ainsi que l’obligation de transposition n’est pas une simple contrainte formelle, mais une condition de l’efficacité de l’action collective de l’Union.