Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les obligations incombant à un État membre en matière de gestion des déchets. Cette décision s’inscrit dans le cadre du contentieux du manquement, qui permet à la Cour de contrôler le respect par les États de leurs engagements découlant du droit de l’Union.
En l’espèce, une institution de l’Union a initié une procédure à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à cet État de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour garantir la conformité de ses décharges de déchets non dangereux avec les exigences d’une directive européenne de 1999, et ce, après l’expiration du délai de mise en conformité fixé au 16 juillet 2009. L’institution demandait à la Cour de constater officiellement cette violation.
Saisie d’un recours en manquement, la Cour était appelée à déterminer si l’inaction de l’État constituait une violation de ses engagements européens. La question de droit soumise à la Cour portait donc sur la caractérisation d’un manquement d’État résultant de la seule persistance d’une situation de non-conformité matérielle après l’échéance d’un délai prévu par une directive.
La Cour de justice a répondu par l’affirmative en jugeant que l’État membre concerné « a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14, sous a) à c), de cette directive ». Elle a ainsi constaté le manquement pour n’avoir pas assuré la mise en conformité des sites existants, tout en rejetant d’autres griefs et en laissant à chaque partie la charge de ses propres dépens. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle la Cour contrôle le respect par les États membres de leurs obligations, réaffirmant ainsi le rôle central du recours en manquement dans la garantie de l’effectivité du droit de l’Union.
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I. La constatation objective du manquement d’État
La décision de la Cour repose sur une application stricte des règles relatives aux obligations des États membres. Elle met en lumière la nature de l’obligation de résultat qui pèse sur eux en vertu des directives (A) et confirme le caractère objectif de la procédure en manquement (B).
A. L’obligation de résultat imposée par les directives
Le droit de l’Union européenne se caractérise par une diversité de sources, parmi lesquelles la directive occupe une place particulière. Cet instrument lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en lui laissant la compétence quant à la forme et aux moyens. En l’espèce, la directive de 1999 concernant la mise en décharge des déchets imposait un résultat clair : les décharges existantes devaient être mises en conformité avec ses exigences techniques et opérationnelles dans un délai déterminé.
La Cour constate que le simple fait que ces décharges continuaient de fonctionner sans satisfaire auxdites exigences après la date butoir du 16 juillet 2009 suffisait à caractériser un manquement. L’obligation de l’État membre n’était pas seulement de transposer la directive en droit interne, mais de garantir son application concrète et effective. La persistance d’une situation factuelle contraire aux objectifs de la directive constitue donc l’élément central de la violation, indépendamment des efforts éventuellement entrepris par l’État pour y remédier.
B. Le caractère objectif de la procédure en manquement
Le recours en manquement, prévu par les traités de l’Union, a pour finalité de faire constater objectivement la violation du droit de l’Union par un État membre. La Cour de justice a développé une jurisprudence constante selon laquelle la seule constatation objective de l’inexécution d’une obligation suffit, sans qu’il soit nécessaire de rechercher les causes de cette défaillance. Un État ne peut ainsi invoquer des difficultés d’ordre interne, qu’elles soient administratives, financières ou politiques, pour justifier son manquement.
Dans cet arrêt, la Cour applique ce principe avec rigueur. Elle juge que l’État membre « n’a pas pris les mesures nécessaires » pour assurer la conformité de ses sites. Cette formulation souligne que la responsabilité de l’État est engagée du simple fait de son inaction ou de l’insuffisance de son action. La procédure ne vise pas à sanctionner une intention ou une négligence, mais à garantir la primauté et l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union. La constatation du manquement s’opère sur la base d’une simple comparaison entre la situation de droit et de fait dans l’État et les exigences du droit de l’Union.
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La consécration d’une responsabilité objective de l’État membre pour l’inapplication du droit de l’Union n’est pas une simple sanction formelle. Elle est le support fondamental de l’ordre juridique de l’Union et de ses politiques communes.
II. La portée du contrôle juridictionnel pour l’effectivité du droit de l’Union
En rappelant fermement un État membre à ses obligations, la Cour de justice ne tranche pas seulement un litige particulier. Elle réaffirme son rôle de gardienne de l’application uniforme du droit de l’Union (A) et renforce par là même la protection des politiques environnementales de l’Union (B).
A. La garantie de l’application uniforme du droit de l’Union
L’ordre juridique de l’Union repose sur le principe fondamental d’une application uniforme sur l’ensemble de son territoire. Si chaque État membre pouvait décider souverainement de l’intensité et du calendrier d’application des règles communes, les fondements mêmes de l’Union, notamment le marché intérieur et les politiques communes, seraient compromis. Le recours en manquement est l’outil juridictionnel par excellence pour prévenir une telle fragmentation du droit.
Cette décision, bien que rendue dans un domaine spécifique, a une portée générale. Elle rappelle à tous les États membres que les délais de mise en conformité fixés par le législateur de l’Union ne sont pas indicatifs mais impératifs. En refusant de tolérer des retards, même pour des infrastructures existantes, la Cour garantit des conditions de concurrence équitables entre les opérateurs économiques des différents États et assure que tous les citoyens de l’Union bénéficient d’un niveau de protection équivalent, tel que défini par les directives.
B. La protection renforcée des politiques environnementales de l’Union
La politique environnementale de l’Union est l’une des plus ambitieuses au monde, mais son succès dépend entièrement de sa mise en œuvre effective par les États membres. Les normes relatives à la gestion des déchets, à la qualité de l’air ou de l’eau nécessitent souvent des investissements importants et des adaptations structurelles complexes. La tentation peut être grande pour un État de retarder l’application de ces normes pour des raisons économiques ou administratives.
En constatant le manquement dans la présente affaire, la Cour envoie un signal fort. Elle indique que les impératifs de protection de l’environnement et de la santé humaine, qui sous-tendent la directive sur les décharges, ne sauraient être subordonnés à d’autres considérations. La fermeté du contrôle juridictionnel est donc indispensable pour surmonter l’inertie des États et pour garantir que les objectifs environnementaux de l’Union ne restent pas lettre morte. Cette jurisprudence contribue ainsi directement à l’effectivité d’une politique essentielle pour le bien-être présent et futur des citoyens européens.