Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2015, n°C-255/14

Par un arrêt du 16 juillet 2015, la deuxième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les limites du pouvoir de sanction national. La juridiction interprète les exigences de l’article 9 du règlement 1889/2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de l’Union européenne.

Le litige au principal concerne un voyageur franchissant la frontière hongroise en provenance de Serbie sans déclarer une somme importante transportée en diverses devises. Les autorités douanières locales constatent l’omission de déclaration portant sur un montant total de 147 492 euros composé de leva, livres et lei. En application de la législation nationale, l’administration impose au contrevenant le paiement d’une amende administrative s’élevant à 60 % de la somme non déclarée.

Le requérant conteste cette sanction devant le tribunal des affaires administratives et du travail de Kecskemét en invoquant une contrariété au droit de l’Union. La juridiction hongroise décide de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de ce barème d’amendes avec le principe de proportionnalité. Elle cherche également à savoir si une telle mesure constitue une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux interdite par le traité de fonctionnement.

Le problème de droit consiste à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale imposant une amende de 60 % pour défaut de déclaration. La Cour de justice répond par l’affirmative en considérant qu’une telle sanction excède les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés. Les juges soulignent que l’amende doit être en adéquation avec la gravité de la violation qu’elle réprime tout en assurant un effet réellement dissuasif.

I. La reconnaissance d’un large pouvoir répressif étatique au service du contrôle des capitaux

A. L’impératif de surveillance des flux financiers transfrontaliers

Le règlement 1889/2005 vise à prévenir l’introduction du produit d’activités illicites dans le système financier par un mécanisme de contrôle des mouvements d’argent liquide. L’obligation de déclaration prévue à l’article 3 du règlement s’impose à toute personne physique transportant un montant égal ou supérieur à dix mille euros. Cette formalité permet aux autorités douanières de collecter des informations sur ces flux afin de lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et le terrorisme.

Le législateur européen rappelle que « l’obligation de déclaration devrait être remplie au moment de l’entrée ou de la sortie de la Communauté » pour conserver son efficacité. La Cour valide le principe de sanctions variant en fonction de l’importance de la somme non déclarée pour assurer une mise en œuvre effective de l’obligation. Le système répressif doit en effet dissuader les voyageurs de dissimuler des capitaux lors du franchissement des frontières extérieures de l’espace de liberté et de sécurité.

B. L’autonomie procédurale des États membres dans le choix des sanctions administratives

En l’absence d’harmonisation complète des sanctions au niveau de l’Union, les États membres demeurent compétents pour choisir les mesures répressives qui leur semblent les plus appropriées. La Cour de justice confirme que les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour définir la nature et le montant des amendes applicables aux contrevenants. Cette compétence doit toutefois s’exercer dans le respect du droit de l’Union et des principes généraux qui encadrent l’action des administrations publiques.

La juridiction luxembourgeoise précise que la violation de l’obligation de déclaration peut être sanctionnée sans que les autorités tiennent compte de l’intentionnalité ou de la récidive. Une sanction peut ainsi être « simple, effective et efficace » sans exiger une analyse complexe des circonstances concrètes et particulières propres à chaque cas individuel. Cette souplesse administrative ne dispense cependant pas le législateur national de respecter un certain équilibre entre l’infraction commise et la peine prononcée.

II. La censure d’un régime de sanctions nationales excédant les limites du nécessaire

A. Le constat de la disproportion manifeste d’une amende de soixante pour cent

L’article 9 du règlement exige que les sanctions introduites par les États membres soient « effectives, proportionnées et dissuasives » pour garantir l’application uniforme du droit européen. La Cour estime qu’une amende de 60 % de la somme transportée dépasse ce qui est nécessaire pour garantir le respect de la formalité déclarative imposée. Elle rappelle que la sanction prévue vise uniquement à réprimer l’omission de déclaration et non d’éventuelles activités frauduleuses ou illicites qui resteraient à prouver.

La rigueur de la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, laquelle consiste ici en un simple manquement à une obligation de nature administrative. En prévoyant un prélèvement automatique d’une part aussi substantielle des capitaux, la loi hongroise porte une atteinte excessive au patrimoine des voyageurs sans justification suffisante. La décision souligne que « la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment » pour rester conforme au principe de proportionnalité.

B. La promotion d’une répression graduée respectueuse des objectifs du droit de l’Union

La Cour suggère que des mesures alternatives moins intrusives permettraient d’atteindre les objectifs de sécurité et de transparence financière recherchés par l’Union européenne sans léser indûment. Elle évoque notamment la possibilité de combiner une amende d’un montant inférieur avec une mesure de rétention temporaire de l’argent liquide non déclaré en douane. Cette rétention permettrait aux services compétents d’effectuer les vérifications nécessaires sur la provenance et la destination des fonds sans confisquer définitivement une part démesurée.

L’arrêt conclut à l’incompatibilité de la réglementation nationale sans qu’il soit besoin d’examiner l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux prévue par le traité. Cette solution renforce la protection des droits fondamentaux des particuliers face à des législations nationales dont la sévérité automatique pourrait confiner à une forme d’arbitraire. Le juge national est ainsi invité à écarter les dispositions excessives pour privilégier une interprétation du droit répressif conforme aux exigences de l’ordre juridique européen.

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Hassan KOHEN
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