Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2015, n°C-485/14

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de libre circulation des capitaux. Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif à l’exonération des droits de mutation à titre gratuit, communément appelés droits de succession ou de donation. En l’espèce, la législation française prévoyait un tel avantage fiscal pour les dons et legs consentis à certains organismes. L’octroi de cette exonération était cependant conditionné au lieu d’établissement du bénéficiaire. Seuls les organismes situés en France, dans un autre État membre de l’Union européenne, ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu une convention d’assistance administrative avec la France, pouvaient en bénéficier.

La Commission européenne, gardienne des traités, a considéré que cette différenciation fondée sur le critère géographique était contraire au droit de l’Union. Elle a par conséquent introduit un recours en manquement à l’encontre de la République française devant la Cour de justice. La controverse portait sur l’étendue de la libre circulation des capitaux, notamment dans ses relations avec les pays tiers. La législation nationale semblait en effet créer une situation moins favorable pour les libéralités effectuées au profit d’entités établies en dehors de l’espace économique européen.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre peut légalement subordonner un avantage fiscal applicable aux dons et legs à la condition que l’organisme bénéficiaire soit établi sur le territoire de l’Union ou de l’Espace économique européen. En d’autres termes, une telle restriction géographique constitue-t-elle une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux, garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ?

À cette question, la Cour de justice apporte une réponse claire et négative. Elle juge que « la République française, en exonérant des droits de mutation à titre gratuit les dons et legs consentis à des organismes publics ou d’utilité publique exclusivement lorsque lesdits organismes sont établis en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen […], a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE ». Cette décision confirme ainsi une interprétation extensive de la liberté de circulation des capitaux (I), tout en délimitant strictement les prérogatives fiscales des États membres (II).

I. La consolidation de la portée extraterritoriale de la libre circulation des capitaux

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse de l’article 63 du TFUE aux transferts patrimoniaux à titre gratuit. Elle qualifie sans ambiguïté la législation française de restriction à cette liberté fondamentale (A), avant de rejeter les justifications potentielles qui auraient pu être avancées par l’État membre (B).

A. L’assimilation des libéralités à des mouvements de capitaux

La Cour réaffirme en premier lieu une jurisprudence constante selon laquelle les successions et les donations constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 du TFUE. Cette disposition interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux non seulement entre les États membres, mais également entre les États membres et les pays tiers. La particularité de cette liberté, par rapport aux autres libertés de circulation, réside précisément dans cette dimension externe particulièrement étendue.

La législation française créait une différence de traitement évidente. Un donateur souhaitant gratifier un organisme d’utilité publique établi dans un pays tiers se voyait pénalisé sur le plan fiscal par rapport à un donateur effectuant une libéralité similaire au profit d’un organisme établi dans l’Union. En rendant les investissements philanthropiques vers les pays tiers plus onéreux, la mesure nationale décourageait, et par conséquent restreignait, les mouvements de capitaux sortants. C’est cette entrave que la Cour sanctionne, en soulignant le caractère discriminatoire du dispositif.

B. La caractérisation d’une restriction injustifiée

Une restriction à une liberté fondamentale peut exceptionnellement être admise si elle poursuit un objectif légitime d’intérêt général et si elle respecte le principe de proportionnalité. En matière fiscale, les États membres invoquent régulièrement la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et de prévenir l’évasion fiscale pour justifier de telles mesures. Or, la Cour de justice adopte une approche stricte dans l’appréciation de ces justifications.

Dans le cas présent, refuser par principe l’exonération pour les organismes établis dans des pays tiers constitue une mesure radicale. La Cour considère généralement qu’une telle interdiction générale est disproportionnée. Des mécanismes moins restrictifs existent pour s’assurer que l’organisme bénéficiaire poursuit bien des fins comparables à celles des organismes nationaux éligibles à l’exonération. L’État membre peut notamment demander au contribuable de fournir les pièces justificatives nécessaires au contrôle. En excluant toute possibilité de bénéficier de l’exonération pour les dons vers des pays tiers, « la République française » a donc instauré une restriction qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de contrôle fiscal.

II. La portée de la condamnation sur la souveraineté fiscale des États membres

La décision de la Cour de justice n’est pas seulement une explication technique du droit de l’Union ; elle emporte des conséquences significatives. Elle agit comme un rappel à l’ordre adressé à la compétence fiscale des États membres (A) et produit des effets concrets pour les organismes caritatifs et les donateurs (B).

A. L’encadrement de la compétence fiscale nationale

Cet arrêt illustre parfaitement la tension entre la souveraineté fiscale des États membres et les impératifs du marché intérieur. Bien que la fiscalité directe relève en principe de la compétence des États, ceux-ci doivent exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union. La Cour rappelle ici que les avantages fiscaux, même s’ils relèvent de choix politiques nationaux, ne sauraient être mis en œuvre de manière discriminatoire.

La condamnation pour manquement oblige la France à modifier sa législation pour la rendre conforme à l’article 63 du TFUE. Elle devra prévoir la possibilité d’accorder l’exonération des droits de mutation pour les dons et legs consentis à des organismes établis dans des pays tiers, dès lors que ces organismes poursuivent des buts similaires à ceux des entités nationales bénéficiant du même avantage. La valeur de cet arrêt est donc de réaffirmer la primauté du droit de l’Union et l’effectivité des libertés de circulation, y compris dans un domaine traditionnellement attaché à la souveraineté étatique.

B. Les implications pratiques pour les organismes et les donateurs

Au-delà de son aspect principiel, la décision a une portée pratique immédiate. Elle ouvre la voie à une égalité de traitement fiscal pour les libéralités adressées à des organismes d’utilité publique, quelle que soit leur localisation géographique. Les résidents fiscaux français pourront désormais envisager de soutenir financièrement des fondations ou associations situées dans des pays tiers sans subir une fiscalité prohibitive.

Cette jurisprudence renforce la position des organismes philanthropiques établis hors de l’Union européenne dans leur recherche de fonds auprès de donateurs européens. En définitive, en jugeant qu’un État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent », la Cour de justice ne fait pas que sanctionner un État ; elle favorise l’allocation des capitaux à des fins d’intérêt général à une échelle mondiale, conformément à l’esprit d’ouverture qui sous-tend la libre circulation des capitaux. L’arrêt constitue ainsi un précédent important pour tout État membre qui maintiendrait des dispositions similaires dans sa législation fiscale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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