Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2015, n°C-584/13

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion d’« opération d’assurance » au sens du droit de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, des revendeurs de véhicules d’occasion proposaient à leurs clients une garantie contre les pannes mécaniques. Cette garantie était fournie par un opérateur économique tiers, en contrepartie du versement d’une somme forfaitaire par l’acheteur du véhicule. Ledit opérateur s’était lui-même assuré auprès d’une autre compagnie pour couvrir son propre risque financier découlant de ces garanties. L’administration fiscale française a considéré que la prestation de garantie constituait une opération d’assurance, et non une prestation de services soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle a par conséquent redressé l’opérateur en lui appliquant la taxe spéciale sur les conventions d’assurance.

Saisies du litige, les juridictions du fond ont suivi l’analyse de l’administration fiscale. Le tribunal de grande instance de Lyon, par un jugement du 31 mars 2010, puis la cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 22 septembre 2011, ont qualifié la prestation de garantie d’opération d’assurance. La cour d’appel a notamment relevé qu’un lien contractuel direct se formait entre l’acheteur et l’opérateur, ce dernier s’engageant seul à supporter le coût des réparations en cas de panne couverte. L’opérateur s’est pourvu en cassation contre cette décision. La Cour de cassation, confrontée à la nécessité d’interpréter la notion d’« opérations d’assurance » issue de la sixième directive TVA, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était ainsi demandé à la Cour si une prestation consistant, pour un opérateur économique indépendant du vendeur, à garantir contre une somme forfaitaire les pannes mécaniques d’un véhicule d’occasion, devait être qualifiée d’opération d’assurance exonérée de TVA ou de simple prestation de services. À cette question, la Cour de justice répond que la prestation constitue bien une opération d’assurance au sens de la directive. Elle ajoute que cette prestation et la vente du véhicule doivent en principe être considérées comme des opérations distinctes et indépendantes pour l’application de la TVA.

La solution retenue par la Cour repose sur une définition fonctionnelle de l’opération d’assurance, qu’elle applique de manière pragmatique aux faits de l’espèce (I). Elle en tire ensuite les conséquences logiques en affirmant l’autonomie de cette opération par rapport à la vente du bien qu’elle couvre (II).

I. La qualification d’opération d’assurance de la garantie panne mécanique

La Cour de justice de l’Union européenne identifie la prestation de garantie comme une opération d’assurance en rappelant d’abord les critères constants de cette notion (A), avant de les appliquer à la situation particulière de la garantie fournie par un tiers (B).

A. Le rappel des critères de l’opération d’assurance

La Cour commence son raisonnement en rappelant que la notion d’« opérations d’assurance » est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit recevoir une interprétation uniforme. Faute de définition dans la sixième directive, la jurisprudence en a fixé les contours. La Cour réaffirme ainsi qu’une opération d’assurance « se caractérise, de façon généralement admise, par le fait que l’assureur se charge, moyennant le paiement préalable d’une prime, de procurer à l’assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat ». Cette définition met en lumière les quatre éléments constitutifs de l’assurance : l’existence d’une prime, la couverture d’un risque, une prestation convenue en cas de sinistre et une relation entre un assureur et un assuré.

La Cour précise également que cette qualification est suffisamment large pour inclure des situations où le prestataire de la garantie n’est pas lui-même un assureur au sens prudentiel, mais agit comme tel vis-à-vis de son client. L’essentiel réside dans le transfert d’un risque de l’assuré vers l’assureur. Cette approche fonctionnelle permet de saisir la réalité économique de l’opération, au-delà de la qualification formelle des parties ou de la structure contractuelle exacte. C’est cette conception extensive de la notion qui guide l’analyse de la Cour face à la prestation litigieuse.

B. L’application des critères à la prestation de garantie

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour examine si la garantie contre les pannes mécaniques remplit les conditions de l’opération d’assurance. Elle constate que l’acheteur du véhicule est bien l’assuré, le risque couvert étant la survenance d’une panne et la nécessité d’en assumer le coût. L’opérateur économique, indépendant du vendeur, endosse le rôle de l’assureur en s’engageant à couvrir le coût des réparations. Enfin, la somme forfaitaire versée par l’acheteur, que ce soit en supplément ou incluse dans le prix de vente, constitue la prime d’assurance.

La Cour écarte l’argument selon lequel il n’existerait pas de lien contractuel direct entre l’acheteur et le garant. Elle estime que la qualification d’opération d’assurance est suffisamment large pour couvrir diverses configurations, que le contrat soit conclu directement, par l’intermédiaire du revendeur agissant pour le compte de l’acheteur, ou que le revendeur transfère les droits d’un contrat qu’il a lui-même souscrit. Peu importe la structure juridique exacte, dès lors que les éléments caractéristiques de l’assurance sont réunis. L’existence d’une relation juridique entre l’assureur et l’assuré est établie par le fait même que l’opérateur s’engage à fournir une prestation à l’acheteur en cas de sinistre.

II. L’autonomie de l’opération d’assurance par rapport à la vente du bien

Après avoir qualifié la garantie d’opération d’assurance, la Cour examine son lien avec la vente du véhicule d’occasion. Elle consacre le principe de l’indépendance des prestations (A), ce qui la conduit à rejeter la qualification de prestation accessoire pour la garantie (B).

A. Le principe de l’indépendance des prestations

La Cour rappelle une règle fondamentale du système commun de TVA : « chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante ». Ce principe assure la neutralité de l’impôt et la correcte application des régimes de taxation ou d’exonération. La jurisprudence a toutefois développé la notion de prestation unique lorsque plusieurs éléments sont si étroitement liés qu’ils forment objectivement une seule prestation économique indissociable. C’est le cas notamment lorsqu’une prestation est l’accessoire d’une prestation principale, partageant alors son sort fiscal.

Cependant, la Cour se montre prudente dans l’application de cette exception aux opérations d’assurance. Elle souligne que « toute opération d’assurance présente, par sa nature, un lien avec le bien qu’elle a pour objet de couvrir ». Admettre que ce lien suffise à la rendre accessoire à l’opération sur le bien couvert viderait de sa substance l’exonération des opérations d’assurance prévue par la directive. Par conséquent, le simple fait qu’une garantie se rapporte à un véhicule vendu ne la rend pas automatiquement accessoire à la vente.

B. Le rejet du caractère accessoire de la garantie

Dans les circonstances de l’espèce, la Cour conclut que la garantie ne constitue pas une prestation accessoire à la vente. Plusieurs indices factuels, dont elle laisse la vérification finale à la juridiction nationale, militent en faveur de l’indépendance des deux opérations. D’une part, la garantie est fournie par un opérateur économique tiers, qui n’est pas partie au contrat de vente. D’autre part, l’acheteur est libre de souscrire ou non à cette garantie, et peut même s’adresser à un autre prestataire. L’achat du véhicule n’est pas conditionné à la souscription de la garantie.

La Cour relève également que le contrat de garantie peut être résilié indépendamment du contrat de vente, ce qui confirme son autonomie. La garantie ne constitue pas pour le client le simple moyen de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation principale, mais bien une fin en soi : celle de se prémunir contre un risque. En conséquence, la vente du véhicule, soumise à la TVA, et la fourniture de la garantie, en tant qu’opération d’assurance exonérée, doivent être traitées séparément sur le plan fiscal. Cette solution assure le plein effet de l’exonération prévue par le législateur de l’Union pour les opérations d’assurance.

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Hassan KOHEN
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