Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2015, n°C-88/14

La Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2015, précise les critères de distinction entre les actes délégués et les actes d’exécution. Le litige porte sur la légalité d’un mécanisme de réciprocité au sein de la politique commune des visas de l’Union. Un règlement initial dresse la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis ou exemptés de l’obligation de visa. L’institution requérante conteste la modification de ce texte qui confère un pouvoir délégué pour suspendre temporairement l’exemption de visa envers certains États. Elle soutient que cette prérogative relève de la compétence d’exécution car elle ne nécessite aucune marge d’appréciation politique ou juridique réelle. Le juge doit déterminer si la suspension généralisée de l’exemption de visa pour un pays tiers modifie les éléments non essentiels de l’acte législatif. La juridiction rejette le recours en considérant que l’acte modifie le contenu normatif du règlement initial, justifiant ainsi l’usage de la délégation de pouvoir.

I. La consécration du critère de la modification normative

A. L’indifférence de la marge d’appréciation dans la qualification de l’acte

L’autorité requérante soutient que l’absence de pouvoir d’appréciation lors du déclenchement du mécanisme de réciprocité impose le recours aux actes d’exécution. Elle estime que l’automaticité des mesures de suspension exclut toute velléité de compléter ou de modifier le cadre législatif de base. Toutefois, la Cour de justice écarte cette interprétation en se fondant sur le libellé strict des traités européens. La juridiction affirme que « ni l’existence ni l’étendue du pouvoir d’appréciation conféré ne sont pertinentes aux fins de déterminer » la nature de l’acte. Le choix entre la délégation et l’exécution dépend uniquement du point de savoir si l’acte est de portée générale. Il convient également de vérifier si la mesure complète ou modifie des éléments non essentiels de l’acte législatif considéré. Le juge refuse ainsi de lier la qualification juridique de la compétence à la liberté de décision laissée à l’autorité délégataire.

B. La modification temporaire de la situation juridique des ressortissants

Le règlement litigieux prévoit que la suspension de l’exemption de visa s’applique à l’ensemble des ressortissants du pays tiers concerné par la mesure. Cette disposition entraîne le rétablissement d’une obligation de visa pour des séjours qui étaient initialement exemptés de toute formalité par le législateur. La Cour souligne que l’acte « a pour effet de modifier, ne fût-ce que temporairement, le contenu normatif de l’acte législatif considéré ». Les effets de cette suspension sont identiques à ceux d’un transfert définitif de la référence d’un pays tiers vers la liste contraignante. L’atteinte portée à la règle générale posée par le règlement de base constitue une modification substantielle des éléments non essentiels. Dès lors, le recours à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’impose pour valider cette évolution normative.

II. La validation d’une architecture normative graduée

A. L’insertion textuelle comme indice formel de la délégation

Le mécanisme de réciprocité impose l’insertion d’une note en bas de page dans les annexes du règlement pour signaler la suspension en vigueur. L’institution requérante considère cet ajout comme un instrument technique dépourvu de portée modificative réelle sur le texte législatif de référence. Pourtant, le juge estime que cette technique atteste de la « volonté du législateur de l’Union d’insérer l’acte pris dans le texte même du règlement ». Une telle modification formelle du corps de l’acte de base ne peut être opérée que par le biais d’un acte délégué. La Cour de justice rappelle que l’autorité d’exécution ne peut jamais modifier ou compléter l’acte législatif dans ses composantes essentielles ou non. L’altération physique des annexes du règlement confirme donc la nature de la compétence exercée par l’institution chargée de la mise en œuvre.

B. La reconnaissance de la sensibilité politique du mécanisme de réciprocité

La procédure de réciprocité se caractérise par des étapes successives dont la gravité et la sensibilité politique augmentent de manière constante. La première phase consiste en une suspension sélective pour certaines catégories de ressortissants par le biais d’un simple acte d’exécution technique. En revanche, la suspension généralisée des exemptions de visa constitue une réponse politique forte aux pratiques jugées inamicales de certains pays tiers. Le juge valide cette graduation en associant des instruments juridiques distincts à chaque niveau d’intervention de l’autorité publique européenne. L’acte délégué permet au législateur d’exercer un contrôle politique accru sur des mesures impactant directement les relations extérieures de l’Union. Cette solution préserve l’équilibre institutionnel en garantissant que toute modification de la norme législative reste soumise à un droit d’opposition rigoureux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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