En annulant une ordonnance du Tribunal de l’Union européenne, la Cour de justice rappelle les conditions strictes qui encadrent son contrôle juridictionnel tout en veillant à garantir le droit à un recours effectif. En l’espèce, une personne morale avait introduit un recours en annulation contre un acte émanant d’une institution de l’Union. Par une ordonnance du 21 avril 2016, le Tribunal avait rejeté ce recours comme étant manifestement irrecevable, sans examiner le fond de l’affaire. Saisie d’un pourvoi par la requérante évincée, la Cour de justice était amenée à se prononcer sur la correcte application par le Tribunal des conditions de recevabilité des recours en annulation formés par les particuliers. Le problème de droit soulevé par cette affaire portait donc sur l’interprétation des critères permettant à une personne morale de justifier d’un intérêt à agir contre un acte de portée générale. En décidant que « L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 21 avril 2016 […] est annulée » et en renvoyant l’affaire devant ce même Tribunal, la Cour de justice a considéré que les premiers juges avaient commis une erreur de droit dans leur appréciation de la recevabilité du recours.
Cette solution, si elle est classique dans son mécanisme, conduit à réaffirmer les conditions d’accès au juge de l’Union pour les requérants non privilégiés (I), tout en confirmant la portée du contrôle exercé par la Cour de justice dans le cadre d’un pourvoi (II).
I. La recevabilité du recours en annulation réaffirmée
La décision d’annulation de l’ordonnance du Tribunal repose sur une appréciation des conditions de recevabilité du recours. Elle témoigne de la tension entre une conception traditionnellement restrictive de l’intérêt à agir (A) et la nécessité de garantir un accès au juge (B).
A. L’application rigoureuse des conditions de l’article 263 TFUE
Le recours en annulation ouvert aux personnes physiques et morales par le quatrième alinéa de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est subordonné à des conditions de recevabilité strictes. Un requérant doit démontrer qu’un acte le concerne directement et individuellement. L’ordonnance du Tribunal, en déclarant le recours irrecevable, avait vraisemblablement fait une application stricte de ces critères. La condition de l’affectation individuelle, en particulier, exige que la décision attaquée atteigne le requérant en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne. En l’absence des motifs de l’ordonnance, on peut supposer que le Tribunal a estimé que l’acte litigieux, de portée générale, ne distinguait pas suffisamment la requérante du reste des justiciables.
Toutefois, en annulant cette ordonnance, la Cour de justice signifie que l’analyse du Tribunal était erronée en droit. La Cour rappelle ainsi implicitement que l’appréciation de l’intérêt à agir ne doit pas aboutir à priver un requérant de toute voie de droit. C’est précisément cette ouverture que la Cour semble ici vouloir préserver.
B. La censure d’une interprétation excessivement restrictive
En annulant l’ordonnance d’irrecevabilité, la Cour de justice juge que le Tribunal a mal appliqué les conditions de l’article 263, quatrième alinéa, du traité. Elle a pu considérer que l’acte attaqué, bien que de portée générale, concernait la requérante de manière suffisamment directe et individuelle pour lui ouvrir le droit au recours. Le renvoi de l’affaire suggère que la Cour estime que le recours n’était pas manifestement dépourvu de tout fondement et que le Tribunal aurait dû procéder à un examen au fond. Cette annulation pourrait s’inscrire dans une lignée jurisprudentielle qui tend à assouplir les conditions de recevabilité, notamment pour les actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution, afin d’éviter un déni de justice.
La décision renforce ainsi la protection juridictionnelle effective des administrés, en prévenant une application des règles de procédure qui rendrait en pratique impossible l’exercice du droit au recours. Cette fonction régulatrice est au cœur de la mission de la Cour de justice en tant que juridiction de pourvoi.
II. La portée du contrôle de la Cour de justice
La décision met en lumière le rôle de la Cour de justice en tant que juge du droit dans le cadre d’un pourvoi. Elle exerce un contrôle sur les appréciations juridiques du Tribunal (A) et garantit par le mécanisme du renvoi le respect du double degré de juridiction (B).
A. La censure de l’erreur de droit du Tribunal
Le pourvoi devant la Cour de justice est limité aux questions de droit. En l’espèce, la Cour ne se prononce pas sur les faits de l’affaire mais sur la qualification juridique opérée par le Tribunal. L’annulation de l’ordonnance constitue la sanction d’une erreur de droit. Cette erreur a consisté à juger, à tort, que les conditions de la recevabilité du recours n’étaient pas réunies. La Cour exerce ainsi sa fonction de cassation, veillant à l’interprétation uniforme du droit de l’Union et à la correcte application des règles de procédure par le Tribunal.
La décision illustre que l’appréciation des conditions de recevabilité, bien que mêlée de considérations factuelles, constitue une question de droit soumise au plein contrôle de la Cour. En déclarant que « L’ordonnance […] est annulée », elle rétablit la juste interprétation de la règle de droit et impose au Tribunal de réexaminer l’affaire à la lumière de cette interprétation.
B. Le renvoi, garantie d’un examen de l’affaire au fond
En conséquence de l’annulation, la Cour de justice décide que « L’affaire […] est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne ». Elle ne statue pas elle-même sur le fond du litige, car le Tribunal ne l’a pas encore fait. Ce renvoi est la conséquence logique du rôle de la Cour en tant que juridiction de pourvoi et du principe du double degré de juridiction. Il appartient au Tribunal, en tant que juge du fait et du droit en première instance, d’examiner les moyens de fond soulevés par la requérante. De plus, la Cour décide que « Les dépens sont réservés », ce qui signifie que la charge des frais de justice sera déterminée par le Tribunal dans sa future décision au fond.
Ce faisant, la Cour de justice garantit à la requérante le droit à ce que sa cause soit entendue sur le fond par le juge de première instance. La décision renforce ainsi la confiance des justiciables dans l’architecture juridictionnelle de l’Union, en assurant que les obstacles procéduraux ne privent pas indûment une partie de son droit à un examen complet de son affaire.