Par une décision récente, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de mise en œuvre de l’article 6 de la directive « Habitats » du 21 mai 1992. En l’espèce, un projet d’infrastructure était envisagé dans une zone spéciale de conservation. L’évaluation de ses incidences sur le site, menée par l’autorité compétente, s’était avérée négative. La réglementation nationale autorisait néanmoins la poursuite de la procédure, notamment par l’ajout de mesures destinées à atténuer l’impact du projet. Saisie d’un litige relatif à ce projet, une juridiction nationale a émis des doutes sur la conformité de sa législation avec le droit de l’Union. Elle a donc interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 92/43/CEE. La question portait principalement sur la possibilité de modifier un projet après une évaluation défavorable de ses incidences environnementales. Il s’agissait de déterminer si la procédure dérogatoire prévue par l’article 6, paragraphe 4, peut être engagée alors même que des mesures d’atténuation sont encore en discussion. Plus largement, la Cour était invitée à clarifier la chronologie des étapes d’évaluation et la répartition des rôles entre l’auteur du projet et l’autorité publique. La Cour de justice répond par une clarification rigoureuse des procédures. Elle juge qu’une évaluation négative clôt la première phase de l’examen. La procédure dérogatoire ne peut ensuite être engagée que pour des raisons impératives d’intérêt public majeur et doit s’accompagner de mesures de compensation, et non d’atténuation. La Cour insiste sur la distinction nette entre les fonctions de l’autorité évaluatrice et celles du promoteur du projet. La solution adoptée par la Cour renforce la portée de l’évaluation environnementale en consacrant une stricte succession des étapes procédurales (I), tout en affirmant une séparation rigide des compétences entre les acteurs impliqués (II).
I. La consécration d’une succession stricte des étapes procédurales
La Cour de justice établit une chronologie impérative dans l’application de l’article 6 de la directive. Elle sanctuarise le caractère définitif de l’évaluation négative des incidences d’un projet (A), ce qui conditionne le recours à la procédure dérogatoire fondée sur des mesures de compensation (B).
A. Le caractère intangible de l’évaluation négative des incidences du projet
La Cour de justice affirme qu’une fois l’évaluation des incidences d’un projet sur une zone spéciale de conservation achevée sur une conclusion négative, cette étape de la procédure est terminée. Il n’est plus possible de la poursuivre ou de la modifier en y intégrant des mesures d’atténuation. Elle juge que « l’article 6 de cette directive doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale permettant que, après son évaluation défavorable conformément au paragraphe 3 de cet article et avant son adoption définitive en application du paragraphe 4 dudit article, ce plan ou ce projet soit complété par des mesures d’atténuation de ses incidences sur cette zone et que l’évaluation desdites incidences soit poursuivie ».
Cette interprétation établit une distinction fondamentale entre les mesures d’atténuation, qui visent à réduire les effets négatifs d’un projet, et les mesures de compensation. Les mesures d’atténuation doivent être intégrées et évaluées dans le cadre de la procédure du paragraphe 3 de l’article 6. Si, malgré ces mesures, l’évaluation conclut à une incidence négative, cette conclusion est intangible. On ne peut rouvrir cette phase pour tenter d’améliorer le projet. Cette position a pour valeur de garantir la rigueur scientifique et l’objectivité de l’évaluation initiale, en empêchant qu’un projet néfaste soit amendé à l’infini pour obtenir une validation.
B. Le recours exceptionnel à la procédure dérogatoire et aux mesures compensatoires
L’arrêt précise que la clôture de la phase d’évaluation par un avis négatif n’interdit pas absolument la réalisation du projet. Elle ouvre la possibilité de recourir à la procédure dérogatoire du paragraphe 4 de l’article 6. Cependant, cette procédure est soumise à des conditions strictes et ne constitue pas une nouvelle phase d’évaluation. Le projet ne peut être autorisé que pour « des raisons impératives d’intérêt public majeur », et à condition qu’il n’existe « une solution alternative comportant des inconvénients moindres pour l’intégrité de la zone concernée ».
Dans ce cadre, la réglementation nationale peut permettre la définition de mesures de compensation. Celles-ci ne visent plus à réduire l’impact du projet, mais à compenser les dommages inévitables qu’il causera à la zone protégée. La Cour valide une réglementation nationale permettant de définir ces mesures compensatoires au sein de la même décision d’autorisation, « pourvu que les autres conditions de mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 4, de cette directive soient également remplies ». La portée de cette clarification est importante : elle distingue clairement la phase d’atténuation, qui précède l’évaluation, de la phase de compensation, qui ne peut être envisagée qu’après une évaluation négative et dans le cadre d’une dérogation formelle.
II. L’affirmation d’une séparation rigide des compétences
Au-delà de la chronologie, la Cour s’attache à définir le rôle précis de chaque intervenant. Elle encadre strictement la participation de l’auteur de la demande (A) et réaffirme la compétence exclusive de l’autorité publique pour l’acte d’évaluation (B).
A. Le rôle encadré de l’auteur de la demande dans l’évaluation environnementale
La Cour reconnaît que l’auteur du projet peut être associé au processus. La directive ne s’oppose pas à ce qu’il réalise lui-même l’étude d’incidences qui servira de base à l’évaluation de l’autorité compétente. Cette approche pragmatique permet au promoteur de financer et de conduire les recherches nécessaires.
Toutefois, ce rôle est strictement limité. La Cour juge que la directive « s’oppose, en revanche, à une réglementation nationale permettant de charger l’auteur de la demande d’intégrer, dans le plan ou le projet définitif, des prescriptions, des observations et des recommandations de caractère paysager et environnemental, après que celui-ci a fait l’objet d’une évaluation négative par l’autorité compétente, sans que le plan ou le projet ainsi modifié doive faire l’objet d’une nouvelle évaluation par cette autorité ». Ainsi, si le promoteur modifie son projet à la suite d’une évaluation négative, cette nouvelle version doit être soumise à une évaluation entièrement nouvelle par l’autorité compétente. La valeur de cette précision est de prévenir tout conflit d’intérêts et de garantir que l’autorité publique conserve la maîtrise finale de l’appréciation des incidences environnementales.
B. La compétence exclusive de l’autorité publique pour l’acte d’évaluation
Enfin, la Cour renforce le monopole de l’autorité désignée par l’État membre pour réaliser l’évaluation. Si les États membres sont libres de désigner cette autorité, son rôle, une fois l’évaluation conduite, est exclusif et final pour cette étape. La Cour affirme que la directive « s’oppose en revanche à ce qu’une quelconque autorité poursuive ou complète cette évaluation, une fois celle-ci réalisée ».
Cette affirmation a une portée considérable. Elle confère à l’acte d’évaluation une autorité propre, le soustrayant à toute modification ou complément par une autre entité, qu’elle soit administrative ou politique. L’évaluation n’est pas un simple avis consultatif qui pourrait être amendé ultérieurement dans le processus décisionnel. Il s’agit d’un acte technique et scientifique autonome qui clôt une phase de la procédure. Cette interprétation garantit l’indépendance de l’évaluation et sa primauté dans la protection des zones spéciales de conservation, conformément aux objectifs de la directive.