Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juillet 2020, n°C-549/18

Un État membre n’ayant pas transposé dans le délai imparti une directive de l’Union européenne relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement. Par un arrêt rendu en grande chambre le 16 juillet 2020, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences de cette omission. La Commission, en vertu des articles 258 et 260, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, demandait à la Cour non seulement de constater le manquement, mais aussi d’infliger directement des sanctions pécuniaires à l’État membre défaillant.

Les faits de l’espèce sont simples. Une directive adoptée le 20 mai 2015 imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nécessaires à sa transposition au plus tard le 26 juin 2017. L’État membre en cause n’ayant communiqué aucune mesure à cette date, la Commission a suivi la procédure précontentieuse, adressant une lettre de mise en demeure en juillet 2017, suivie d’un avis motivé en décembre 2017 lui impartissant un délai de deux mois pour se conformer. Face à l’inertie persistante de l’État, la Commission a saisi la Cour en août 2018, en requérant le paiement d’une astreinte et d’une somme forfaitaire. Ce n’est qu’en juillet 2019, soit plus de deux ans après la date butoir, que l’État membre a finalement adopté et notifié une législation de transposition complète. La Commission a alors retiré sa demande d’astreinte, devenue sans objet, mais a maintenu sa demande de condamnation à une somme forfaitaire pour la période de manquement écoulée. Plusieurs autres États membres sont intervenus au soutien de l’État défendeur, contestant principalement l’applicabilité et les modalités du mécanisme de sanction accélérée.

Le litige soulevait ainsi deux questions juridiques fondamentales pour l’efficacité du droit de l’Union. D’une part, il s’agissait de déterminer les conditions d’application du mécanisme de sanction prévu à l’article 260, paragraphe 3, du Traité, notamment face à un manquement total à l’obligation de communication des mesures de transposition. D’autre part, et de manière plus cruciale, la Cour était invitée à préciser les modalités de calcul d’une somme forfaitaire, en particulier la définition du point de départ de la période d’infraction à prendre en compte.

Dans sa décision, la Cour de justice constate sans surprise le manquement de l’État membre à ses obligations. Elle écarte l’argument d’une transposition partielle par des lois antérieures, en rappelant que la directive exigeait « un acte positif de transposition » contenant une référence explicite. Sur le terrain des sanctions, la Cour juge que l’article 260, paragraphe 3, du Traité est bien applicable en cas d’absence totale de communication des mesures de transposition. Elle précise que si la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour demander une sanction, elle doit motiver le montant proposé. Surtout, la Cour établit que pour le calcul de la somme forfaitaire, la durée du manquement court à compter de l’expiration du délai de transposition fixé par la directive elle-même, et non d’une étape ultérieure de la procédure. Sur cette base, elle condamne l’État membre au paiement d’une somme forfaitaire de trois millions d’euros. La portée de cette décision est double : elle consolide les conditions de déclenchement du mécanisme de sanction accélérée (I), tout en renforçant son caractère dissuasif par une définition rigoureuse de ses modalités de calcul (II).

I. La consolidation des conditions d’application du mécanisme de sanction de l’article 260, paragraphe 3, TFUE

La Cour, dans cette affaire, confirme avec fermeté le champ d’application du régime de sanction accélérée. Elle le fait en retenant une conception formelle du manquement à l’obligation de communication (A), tout en clarifiant l’étendue de la marge d’appréciation dont dispose la Commission pour initier cette procédure (B).

A. Le manquement à l’obligation de communication, une condition formelle et suffisante

La Cour rappelle d’abord que l’existence d’un manquement doit s’apprécier à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. En l’espèce, il est constant que l’État défendeur n’avait adopté aucune mesure de transposition à cette échéance. L’argument de cet État, selon lequel sa législation antérieure transposant des directives plus anciennes valait transposition partielle, est rejeté sans équivoque. La Cour se fonde sur sa jurisprudence constante pour exiger « un acte positif de transposition » lorsque la directive, comme en l’espèce, impose que les mesures nationales contiennent une référence explicite à celle-ci. En l’absence d’une telle référence et de toute communication formelle, les mesures existantes « ne sauraient être considérées comme constituant un acte positif de transposition ».

Cette approche confirme que l’obligation de communication prévue à l’article 67 de la directive est une obligation de résultat, dont le respect est apprécié de manière objective et formelle. La simple existence d’un droit national matériellement conforme ne suffit pas à exonérer un État de son obligation de notifier clairement et précisément les mesures adoptées. C’est cette absence de communication qui constitue le fait générateur du recours prévu à l’article 260, paragraphe 3, du Traité. La Cour confirme ainsi que ce mécanisme est bien conçu pour sanctionner un manquement procédural spécifique, celui de ne pas fournir les informations permettant à la Commission de vérifier la correcte transposition du droit de l’Union, sans qu’il soit nécessaire à ce stade d’examiner la conformité matérielle des lois nationales.

B. La clarification de la marge d’appréciation de la Commission

L’État membre et les intervenants soutenaient que la Commission aurait dû motiver sa décision de demander une sanction pécuniaire au regard des circonstances de l’espèce. La Cour écarte cet argument en consacrant l’ampleur du pouvoir discrétionnaire de l’institution. Elle juge que la décision de solliciter une sanction au titre de l’article 260, paragraphe 3, du Traité est une « modalité accessoire de la procédure en manquement » et ne saurait être soumise à des conditions plus restrictives que la décision d’engager la procédure elle-même. Dès lors, la Commission n’est pas tenue de justifier au cas par cas l’opportunité de sa demande.

Toutefois, ce large pouvoir discrétionnaire n’est pas sans limites. La Cour opère une distinction fondamentale : si le choix de demander une sanction est discrétionnaire, la Commission reste tenue de « motiver la nature et le montant de la sanction pécuniaire sollicitée ». Cette exigence est d’autant plus importante que, dans le cadre de l’article 260, paragraphe 3, du Traité, les propositions de la Commission lient la Cour quant au montant maximal de la sanction. En obligeant la Commission à justifier ses calculs, la Cour préserve les droits de la défense de l’État membre et se ménage la possibilité d’exercer son propre contrôle juridictionnel sur la proportionnalité de la sanction proposée. L’équilibre entre les prérogatives de la gardienne des traités et la protection procédurale des États membres est ainsi assuré.

II. Le renforcement de l’effet dissuasif de la sanction pécuniaire

Au-delà des conditions d’application du mécanisme, l’apport majeur de l’arrêt réside dans les précisions qu’il apporte au calcul de la sanction. En fixant le point de départ de l’infraction à une date précoce (A), et en exerçant son appréciation souveraine sur le montant final (B), la Cour maximise l’effet dissuasif de la somme forfaitaire.

A. La fixation du point de départ de l’infraction à la date d’échéance de la transposition

La question du point de départ du calcul de la durée de l’infraction était centrale. La Cour tranche de manière nette en faveur de la thèse de la Commission. Elle juge que, pour l’imposition d’une somme forfaitaire, la date à retenir est « la date à laquelle expire le délai de transposition prévu par la directive en question », et non la date d’échéance de l’avis motivé. Le raisonnement de la Cour repose sur la finalité même de l’article 260, paragraphe 3, du Traité, qui est « d’inciter les États membres à transposer les directives dans les délais fixés par le législateur de l’Union ». Toute autre solution reviendrait à accorder aux États défaillants un délai de grâce supplémentaire, variable et injustifié, remettant en cause l’effet utile des directives.

Cette solution marque une clarification importante et une distinction avec le calcul de l’astreinte, qui vise à inciter à une exécution future. La somme forfaitaire, elle, sanctionne la persistance du manquement passé, lequel débute logiquement dès que l’obligation de transposer n’est pas respectée. En adoptant cette interprétation, la Cour envoie un signal fort : le non-respect d’un délai de transposition constitue en soi un manquement grave dont les conséquences financières courent dès le premier jour de retard. La portée préventive et punitive de la somme forfaitaire est ainsi considérablement renforcée, privant les États membres de toute incitation à différer la transposition en attendant l’issue de la phase précontentieuse.

B. L’appréciation souveraine par la Cour du montant de la sanction

Si la Cour est liée par le plafond proposé par la Commission, elle réaffirme qu’il lui appartient de fixer le montant de la somme forfaitaire de manière adaptée et proportionnée. Elle procède à sa propre évaluation en fonction de la gravité du manquement, de sa durée et de la capacité de paiement de l’État. Concernant la gravité, elle souligne que le manquement à l’obligation de transposition est en soi d’une « gravité certaine », d’autant plus que la directive en cause est un « instrument important » de la lutte contre le blanchiment de capitaux. Concernant la durée, elle constate que le manquement a perduré un peu plus de deux ans.

Sur la base de ces éléments, et tout en notant la coopération de l’État membre en cours de procédure, la Cour fixe le montant de la somme forfaitaire à trois millions d’euros. Ce montant, inférieur à celui requis par la Commission mais substantiel, démontre que la Cour ne se contente pas d’entériner une proposition. Elle exerce pleinement son pouvoir d’appréciation pour calibrer une sanction qu’elle estime juste et dissuasive. Cette approche confère une légitimité accrue à la sanction infligée et rappelle aux États membres que, même en cas de régularisation tardive, le manquement passé peut donner lieu à une sanction pécuniaire significative, modulée par le juge de l’Union en fonction de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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