Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juin 2016, n°C-12/15

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la compétence spéciale en matière délictuelle, prévue par le règlement (CE) n° 44/2001.

En l’espèce, une personne physique avait subi une perte financière à la suite d’agissements illicites, qualifiés d’escroquerie, commis depuis un autre État membre. La victime, constatant le préjudice sur son propre compte bancaire, a assigné l’auteur prétendu du dommage devant les juridictions de l’État membre où ce compte était domicilié. Le défendeur a soulevé l’incompétence des juridictions saisies, arguant que le lieu du fait générateur de l’acte illicite se situait dans un autre État.

La juridiction de première instance s’est déclarée incompétente, estimant que la localisation du compte bancaire ne constituait pas un critère de rattachement suffisant. La cour d’appel, infirmant cette décision, a au contraire retenu sa compétence en considérant que le lieu de survenance du dommage, matérialisé par la perte pécuniaire sur le compte, suffisait à fonder l’application de la règle de compétence spéciale. Un pourvoi a été formé, conduisant la juridiction suprême à surseoir à statuer et à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était ainsi demandé à la Cour si le lieu où se trouve le compte bancaire sur lequel une perte purement financière est constatée peut être qualifié de « lieu où le fait dommageable s’est produit » au sens de l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001. Il lui était également demandé de clarifier l’étendue du contrôle que doit opérer le juge national saisi pour vérifier sa compétence au regard des contestations du défendeur.

La Cour de justice répond par la négative à la première question, affirmant qu’un préjudice consistant « exclusivement en une perte financière qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur » ne suffit pas à établir la compétence. Sur la seconde question, elle précise que le juge doit apprécier tous les éléments à sa disposition, y compris les objections soulevées par le défendeur, pour statuer sur sa compétence.

La solution clarifie ainsi le critère de rattachement en matière de préjudice financier (I), tout en rappelant les obligations procédurales du juge national dans l’examen de sa compétence (II).

I. La restriction du for délictuel en cas de préjudice purement financier

La Cour de justice opère une interprétation stricte de la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit », écartant une conception trop extensive qui aurait pu nuire à la prévisibilité de la compétence. Elle confirme la dualité traditionnelle de ce critère de compétence (A), mais en limite la portée lorsque le préjudice est exclusivement pécuniaire (B).

A. Le maintien de l’alternative traditionnelle du lieu du fait dommageable

La jurisprudence de la Cour a depuis longtemps consacré une interprétation duale de l’article 5, point 3, du règlement. Cette disposition vise à la fois le lieu de l’événement causal à l’origine du dommage et le lieu de la matérialisation de ce dernier. Cette alternative offre au demandeur une option de compétence, lui permettant de saisir la juridiction qu’il estime la plus à même de connaître du litige.

Cette solution vise à garantir une bonne administration de la justice en rattachant le litige à un for qui présente un lien étroit avec l’affaire. Le choix entre le lieu du fait générateur et celui du dommage permet de tenir compte de la diversité des situations délictuelles. Toutefois, la Cour a toujours veillé à ce que ce choix ne conduise pas à une multiplication excessive des fors compétents, ce qui porterait atteinte à la sécurité juridique et à l’objectif de prévisibilité du règlement.

B. L’exclusion du lieu du compte bancaire comme critère de rattachement autonome

La principale contribution de cet arrêt réside dans le refus de considérer la localisation d’un compte bancaire comme un facteur de rattachement suffisant en soi. La Cour énonce clairement que lorsque le préjudice « consiste exclusivement en une perte financière », sa simple matérialisation sur un compte ne peut désigner le « lieu où le fait dommageable s’est produit ».

Cette solution préserve la cohérence du système de compétence. La Cour estime que le lieu du compte bancaire est souvent fortuit et ne présente pas nécessairement de lien de proximité suffisant avec le litige. Admettre le contraire reviendrait à permettre au demandeur de déterminer unilatéralement le for compétent par le simple choix de la domiciliation de ses avoirs. Un tel résultat serait contraire à l’exigence de prévisibilité qui impose que le défendeur puisse raisonnablement prévoir devant quelles juridictions il est susceptible d’être attrait. Ainsi, la Cour subordonne la compétence à l’existence « d’autres points de rattachement » concrets, sans lesquels la localisation du préjudice financier demeure inopérante.

II. Le renforcement de l’office du juge dans le contrôle de la compétence

Outre la clarification substantielle, l’arrêt comporte un second volet, de nature procédurale, qui impose au juge saisi un examen approfondi de sa propre compétence. Cette exigence se traduit par une obligation d’apprécier l’ensemble des faits pertinents (A) et de prendre en considération les arguments du défendeur (B).

A. L’obligation d’un examen concret des éléments de compétence

La Cour rappelle que la vérification de la compétence n’est pas un simple examen formel des allégations du demandeur. Le juge doit procéder à une appréciation complète des éléments dont il dispose au stade de sa saisine. Il ne s’agit pas de préjuger du fond de l’affaire, mais de s’assurer que les critères de compétence prévus par le règlement sont matériellement réunis.

Cette directive implique pour le juge national un rôle actif dans la recherche des faits pertinents pour établir le lien de rattachement. Il ne peut se contenter des affirmations d’une seule partie, mais doit fonder sa décision sur une analyse circonstanciée des pièces et des informations disponibles. Cette approche garantit que la compétence n’est pas établie sur des bases factuelles fragiles ou contestables, renforçant ainsi la légitimité de la juridiction saisie.

B. La nécessaire prise en compte des contestations du défendeur

Le second point du dispositif de l’arrêt formalise une garantie essentielle pour le défendeur. La Cour précise que l’appréciation du juge doit inclure « le cas échéant, les contestations émises par le défendeur ». Ce faisant, elle consacre l’importance du principe du contradictoire dès l’examen de l’exception d’incompétence.

Cette exigence empêche que la compétence soit admise de manière quasi automatique sur la seule foi des écritures du demandeur. Elle contraint le juge à peser les arguments des deux parties pour déterminer si le lien de rattachement avec son for est suffisamment caractérisé. En obligeant à prendre en compte les objections du défendeur, la Cour s’assure que le droit de ce dernier à être jugé par une juridiction objectivement compétente est respecté dès le seuil de l’instance. La solution protège ainsi les défendeurs contre des stratégies de forum shopping abusives.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture