Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juin 2016, n°C-154/14

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 16 juin 2016, examine la régularité d’une procédure de sanction en droit de la concurrence. Le litige oppose une autorité de régulation à des sociétés sanctionnées pour leur participation active à une entente secrète sur des réactifs chimiques. Une société mère et sa filiale ont été reconnues responsables d’une infraction à l’article 81 du traité instituant la Communauté européenne par une décision administrative. La société mère détenait la totalité du capital social de sa filiale au moment des faits, ce qui fondait l’imputation de la responsabilité solidaire.

La Commission européenne a infligé une amende aux entreprises concernées en juillet 2009, après une phase d’instruction marquée par des demandes d’audition à huis clos. Les sociétés ont contesté cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne, invoquant une violation de leur droit d’être entendues durant la phase administrative. Le Tribunal a rejeté ce recours par un arrêt du 23 janvier 2014, estimant que la protection des secrets d’affaires de tiers justifiait le refus d’audition privée. Les demanderesses ont alors formé un pourvoi devant la juridiction suprême, critiquant tant la procédure suivie que l’imputation automatique de la responsabilité au sein du groupe.

La Cour doit déterminer si le refus d’organiser une audition séparée constitue une irrégularité procédurale grave justifiant l’annulation de la sanction pécuniaire imposée par l’administration. La question porte également sur la compétence de l’autorité de concurrence pour répartir les parts de l’amende entre les divers débiteurs solidaires de la dette. La juridiction rejette le pourvoi malgré la reconnaissance d’une erreur de droit initiale commise par les juges du fond lors de l’examen des garanties procédurales.

I. La remise en cause nuancée du respect des droits de la défense

A. L’erreur de droit relative au refus d’audition à huis clos

La juridiction suprême souligne une défaillance dans le raisonnement du premier juge concernant la mise en balance des intérêts lors de la phase d’audition administrative. Elle rappelle que le droit d’être entendu impose à l’autorité de permettre aux entreprises de présenter utilement leur défense sans subir de pressions commerciales indues. Le refus d’une séance privée pour protéger les relations contractuelles avec une entité tierce n’était pas légitimement fondé sur les droits de la défense de cette dernière.

Le juge communautaire précise que « le Tribunal a commis une erreur de droit et violé le droit des requérantes d’être entendues » en validant la position du conseiller-auditeur. Cette entité tierce n’était pas visée par la procédure pour la période concernée, ce qui rendait l’argumentation sur ses propres droits de la défense totalement inopérante. La protection des intérêts d’un tiers non poursuivi ne pouvait légalement justifier la restriction des droits fondamentaux des sociétés effectivement mises en cause par l’administration.

B. L’absence d’incidence sur le sens de la décision finale

Malgré le constat de cette irrégularité, la Cour refuse de prononcer l’annulation de la décision administrative au motif que le résultat final n’aurait pas été modifié. Pour qu’une violation des droits de la défense entraîne une sanction juridique, il faut démontrer que la procédure aurait pu aboutir à une solution différente. Les éléments que les sociétés souhaitaient exposer lors de l’audition privée étaient déjà connus de l’administration par le biais de leurs observations écrites détaillées.

La juridiction estime que les preuves invoquées pour contester l’influence de la société mère n’étaient pas de nature à renverser la conviction de l’autorité de concurrence. Le constat est sans appel puisque « les requérantes n’ont pas démontré que la procédure engagée contre elles aurait pu aboutir, en l’absence de l’irrégularité commise, à un résultat différent ». L’irrégularité procédurale demeure donc sans conséquence sur la légalité de l’amende, car les garanties essentielles ont été préservées par la voie écrite complémentaire.

II. La consolidation de la responsabilité et des modalités de sanction

A. La confirmation de la présomption d’influence déterminante

La décision réaffirme la validité de la présomption d’influence déterminante exercée par une société mère détenant la totalité du capital social de sa filiale opérationnelle. La Cour rejette l’argument selon lequel le contrôle effectif d’une autre entité économique pourrait exonérer la société holding de sa responsabilité propre au sein du groupe. La simple détention du capital suffit à établir une unité économique dès lors que la filiale ne définit pas son comportement de manière autonome.

Le juge écarte les moyens tirés d’une appréciation erronée des faits en rappelant que le Tribunal est seul souverain pour évaluer la valeur des preuves produites. Il précise que « la question de savoir si une autre entité […] exerçait une influence déterminante n’était pas pertinente » pour écarter la responsabilité de la holding. La preuve d’une influence tierce ne suffit pas à démontrer que la société mère n’exerçait pas elle-même un contrôle suffisant sur les orientations de sa filiale.

B. L’incompétence de la Commission dans la répartition interne de l’amende

Le litige permet de clarifier les limites des pouvoirs de sanction de l’autorité de concurrence en matière de solidarité de paiement entre les entités d’un groupe. Les sociétés soutenaient que l’administration devait fixer précisément la part de la dette incombant à chaque débiteur dans leurs relations internes pour respecter le principe d’individualité. La Cour rejette cette prétention en distinguant l’obligation de paiement envers l’administration de la contribution finale à la dette entre les sociétés condamnées solidairement.

La solution est désormais certaine car « le pouvoir de sanction de la Commission ne s’étend pas à celui de déterminer les quotes-parts d’amende propres à chacun des codébiteurs ». La définition des rapports internes entre les débiteurs solidaires relève exclusivement de la compétence des juridictions nationales saisies sur le fondement de leur droit civil respectif. Cette séparation des compétences garantit la célérité de l’action répressive communautaire tout en laissant aux juges nationaux le soin de régler les litiges privés subséquents.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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