Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juin 2016, n°C-200/15

Par un arrêt en manquement du 16 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires prévue à l’article 110 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait un régime de taxation pour les véhicules d’occasion importés d’autres États membres. Le calcul de cette taxe reposait sur un barème de dépréciation forfaitaire qui n’accordait aucune réduction pour les véhicules de moins d’un an et plafonnait cette réduction à 52 % pour ceux de plus de cinq ans. La Commission européenne, estimant ce dispositif fiscal contraire au droit de l’Union, a engagé une procédure en manquement. L’État membre mis en cause soutenait pour sa part la conformité de sa législation, arguant notamment de la possibilité pour l’assujetti de solliciter une évaluation individuelle de son véhicule pour déterminer la base d’imposition. Saisie du litige, la Cour a dû déterminer si un tel mécanisme fiscal, qui ne reflète pas la dépréciation réelle des véhicules dans certaines tranches d’âge, est compatible avec le principe de non-discrimination fiscale, quand bien même une méthode d’évaluation alternative est proposée. La Cour de justice répond par la négative, jugeant que le système de taxation litigieux aboutit à frapper plus lourdement les produits importés que les produits nationaux similaires. Elle constate ainsi un manquement de l’État membre à ses obligations. Cette décision permet de rappeler les conditions strictes de la neutralité fiscale applicable aux produits d’occasion (I), tout en confirmant la prévalence des objectifs du marché intérieur sur les considérations d’ordre administratif (II).

I. La clarification des exigences de la neutralité fiscale pour les véhicules d’occasion

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation rigoureuse du principe de non-discrimination fiscale, qu’elle applique au calcul de la taxe (A), ce qui la conduit à invalider l’usage d’un barème forfaitaire qui ignore la dépréciation effective des véhicules (B).

A. Le rappel du principe de non-discrimination dans le calcul de la taxe

L’article 110 du traité vise à garantir la libre circulation des marchandises en éliminant toute protection résultant d’impositions intérieures qui seraient discriminatoires à l’égard des produits provenant d’autres États membres. Dans son arrêt, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la taxe frappant un véhicule d’occasion importé ne doit en aucun cas excéder le montant de la taxe résiduelle incorporée dans la valeur d’un véhicule similaire déjà présent sur le marché national. La Cour énonce ainsi que la perception par un État membre d’une taxe sur les véhicules d’occasion en provenance d’un autre État membre est contraire à l’article 110 TFUE « lorsque le montant de la taxe, calculé sans prise en compte de la dépréciation réelle du véhicule, excède le montant de la taxe résiduelle incorporé dans la valeur des véhicules automobiles d’occasion similaires déjà immatriculés sur le territoire national ». En appliquant ce principe, la Cour s’assure que la méthode de calcul de l’imposition, et non seulement son taux, garantit une parfaite neutralité concurrentielle entre produits importés et produits nationaux.

B. La condamnation d’un barème forfaitaire ignorant la dépréciation réelle

Le manquement constaté par la Cour trouve sa source dans les modalités mêmes du barème de dépréciation retenu par la législation nationale. Ce barème présentait deux défauts majeurs : il n’admettait aucune dépréciation pour les véhicules de moins d’un an et plafonnait la dépréciation à 52 % pour ceux de plus de cinq ans. Or, la Cour relève qu’« il est constant que la valeur marchande d’un véhicule automobile commence à diminuer dès son achat ou sa mise en circulation et que cette diminution se poursuit au-delà de la cinquième année de son utilisation ». Une telle méthode de calcul a pour conséquence inéluctable de surtaxer les véhicules importés se situant dans ces catégories d’âge par rapport aux véhicules similaires sur le marché domestique. La Cour rappelle qu’il suffit que le mode de calcul aboutisse, « ne fût-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé » pour constituer une violation de l’article 110 du traité. Le caractère mécanique et forfaitaire du barème, en ne reflétant pas la perte de valeur réelle, crée ainsi une discrimination prohibée.

Ayant établi le caractère discriminatoire du barème, la Cour examine ensuite les arguments avancés par l’État membre pour justifier son dispositif, lesquels sont écartés au nom de l’effectivité du droit de l’Union.

II. La réaffirmation de la primauté de l’effet utile du droit de l’Union

La Cour rejette les justifications de l’État membre en jugeant inopérante la possibilité d’une expertise individuelle (A) et en écartant les arguments de simplification administrative (B).

A. L’inefficacité de la voie alternative de l’expertise individuelle

L’État membre soutenait que la possibilité pour le contribuable de demander une évaluation individuelle de son véhicule suffisait à garantir la conformité du système à l’article 110 du traité. La Cour rejette fermement cette argumentation en jugeant que le mode d’imposition standard doit lui-même être exempt de tout caractère discriminatoire. Elle considère qu’« il ne suffit pas, pour éviter qu’un système de taxation ne soit contraire à cet article, que l’assujetti ait la possibilité de demander une expertise du véhicule concerné ». En effet, cette option ne saurait corriger le vice inhérent au barème forfaitaire qui demeure la méthode de calcul par défaut. Faire reposer la garantie de non-discrimination sur une démarche que le contribuable doit lui-même initier reviendrait à inverser la charge de la preuve et à affaiblir la protection accordée par le traité. Le système doit être conçu de manière à exclure d’emblée tout effet discriminatoire.

B. Le rejet des justifications fondées sur la commodité administrative

Enfin, la Cour écarte les justifications de l’État membre fondées sur les difficultés pratiques et les coûts administratifs qu’engendrerait une évaluation systématique de la valeur réelle des véhicules. Elle rappelle de manière constante que de telles considérations ne peuvent justifier une entorse à une règle fondamentale du traité. En effet, selon la Cour, « de telles difficultés ne sauraient être de nature à justifier l’application d’impositions intérieures discriminatoires à l’égard des produits originaires d’autres États membres, contraires à l’article 110 TFUE ». Loin de se limiter à cette fin de non-recevoir, la Cour suggère des solutions alternatives. Elle rappelle que les États membres peuvent utiliser des barèmes forfaitaires, à condition que ceux-ci soient calculés sur la base de critères pertinents, « tels que l’ancienneté, le kilométrage, l’état général, le mode de propulsion, la marque ou le modèle du véhicule », afin de s’approcher au plus près de la valeur réelle. Cette décision a donc une portée pratique importante : elle guide les administrations nationales vers la mise en place de systèmes fiscaux qui concilient efficacité administrative et respect du droit de l’Union, en les incitant à affiner leurs méthodes plutôt qu’à maintenir des régimes discriminatoires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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