Cour de justice de l’Union européenne, le 16 juin 2022, n°C-520/20

Un véhicule, acquis en Norvège au moyen d’un prêt bancaire garanti par ce même bien, fait l’objet d’un défaut de paiement. Son propriétaire initial informe l’établissement de crédit que l’automobile se trouve désormais en Bulgarie, où elle est acquise par un tiers, puis revendue à une autre personne. Parallèlement, le Royaume de Norvège émet un signalement dans le Système d’Information Schengen de deuxième génération (SIS II) aux fins de saisie du véhicule, le qualifiant de bien « volé, acquis illégalement ou perdu ». Les autorités bulgares, ayant localisé le véhicule, le confisquent à son dernier acquéreur et, après un échange d’informations avec les autorités norvégiennes, le remettent au représentant de l’établissement de crédit. Les derniers propriétaires contestent cette remise devant le tribunal administratif de Silistra en Bulgarie, arguant de leur bonne foi et de l’absence de poursuites pénales effectives en Norvège justifiant le signalement. Le tribunal bulgare, constatant que la procédure pénale norvégienne a été clôturée dès la restitution du véhicule, nourrit des doutes sur la conformité du signalement aux objectifs prévus par la décision SIS II, qui impose que de tels signalements soient introduits « aux fins d’une saisie ou de la preuve dans une procédure pénale ». Saisi d’un doute sur l’interprétation du droit de l’Union, il décide de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il est demandé à la Cour si les dispositions de la décision SIS II, et notamment son article 39, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale qui imposerait aux autorités d’un État membre de refuser d’exécuter un signalement lorsqu’il existe des doutes sérieux quant à sa conformité avec les objectifs légaux, notamment l’existence d’une procédure pénale. En d’autres termes, l’autorité d’exécution dispose-t-elle d’une marge d’appréciation pour contester la validité d’un signalement émis par un autre État membre, ou est-elle tenue par une obligation d’exécution automatique ? La Cour de justice répond que l’article 39 de la décision SIS II « ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes de l’État membre d’exécution sont tenues d’exécuter un signalement […] alors même que celles-ci éprouvent des doutes quant aux motifs d’introduction d’un tel signalement ». La solution de la Cour, fondée sur les principes de coopération loyale et de confiance mutuelle, réaffirme la logique systémique du SIS II, où l’efficacité de la coopération prime sur le contrôle individuel par l’État d’exécution.

Cet arrêt consacre ainsi la primauté de la coopération loyale dans l’exécution des signalements (I), tout en clarifiant la répartition stricte des compétences entre l’État membre signalant et celui qui exécute la mesure (II).

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I. La primauté de la coopération loyale dans l’exécution des signalements SIS II

La Cour de justice de l’Union européenne réaffirme avec force que le bon fonctionnement de l’espace de liberté, de sécurité et de justice repose sur une exécution rapide et efficace des signalements, conférant à l’obligation de saisie un caractère quasi-inconditionnel (A), lequel se fonde sur le principe cardinal de la confiance mutuelle entre les États membres (B).

A. Le caractère quasi-inconditionnel de l’obligation de saisie

La décision commentée établit que, dès lors qu’un bien signalé est identifié, les autorités de l’État membre d’exécution doivent prendre les mesures conservatoires nécessaires sans pouvoir opposer un doute sur la validité du signalement. La Cour souligne que l’article 39 de la décision SIS II impose à l’autorité qui constate l’existence d’un signalement de se mettre en rapport avec l’autorité signalante afin de « convenir des mesures nécessaires ». Cette obligation vise à garantir une réaction immédiate pour préserver les biens recherchés dans le cadre de procédures pénales. La Cour précise que retarder ou suspendre cette action pour vérifier la pertinence des motifs du signalement compromettrait la finalité même du système.

En effet, la Cour énonce que « les autorités de l’État membre d’exécution doivent, aux fins de l’exécution du signalement introduit, prendre des mesures conservatoires nécessaires, sans qu’une contestation de la validité de ce signalement […] puisse leur être opposée ». Cette interprétation consacre une automaticité de la procédure de saisie, où le rôle de l’État d’exécution se limite, dans un premier temps, à une fonction purement opératoire. La rapidité d’action est jugée essentielle pour l’efficacité de la coopération policière et judiciaire, un objectif qui serait anéanti si chaque autorité locale pouvait initier un contrôle de fond sur les signalements émis par ses partenaires.

B. Le principe de confiance mutuelle comme fondement de l’automaticité

Cette automaticité procédurale n’est pas une simple règle technique, mais la manifestation directe du principe de confiance mutuelle qui sous-tend l’ensemble de la coopération judiciaire européenne. La Cour rappelle que le SIS II a pour objet « d’assurer un niveau élevé de sécurité dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice ». Cet objectif ne peut être atteint que si chaque État membre présume de la légalité et de la légitimité des actions entreprises par les autres. C’est à l’État membre signalant, et à lui seul, qu’il incombe la responsabilité de l’exactitude et de la licéité des données introduites dans le système.

La Cour s’appuie sur l’article 49 de la décision SIS II, lequel dispose que « c’est l’État membre signalant qui est responsable de l’exactitude, de l’actualité ainsi que de la licéité de l’introduction des données ». En confiant exclusivement cette responsabilité à l’État émetteur, le système empêche une fragmentation du contrôle qui paralyserait la coopération. La Cour renforce cette idée en citant sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C-503/03, pour souligner que le principe de coopération loyale exige de l’État qui consulte le SIS qu’il « tienne dûment compte des indications fournies par l’État membre signalant ». La remise en cause de la validité d’un signalement par l’État d’exécution constituerait une rupture de cette confiance et menacerait l’édifice de la coopération pénale.

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II. La répartition des compétences entre l’État membre signalant et l’État membre d’exécution

Si l’obligation de saisie est quasi-absolue, la Cour prend soin de délimiter les rôles respectifs des États membres. Elle confirme que le contrôle de la légalité du signalement demeure la prérogative exclusive de l’État signalant (A), tandis que la détermination des mesures concrètes à prendre après la saisie est renvoyée au droit national de l’État d’exécution (B).

A. Le contrôle de la légalité du signalement, prérogative exclusive de l’État membre signalant

La Cour précise que les doutes de l’État membre d’exécution sur la légalité d’un signalement ne le laissent pas démuni, mais l’orientent vers une procédure spécifique qui ne suspend pas l’exécution de la mesure. L’article 49, paragraphe 3, de la décision SIS II prévoit que si un État membre dispose d’indices faisant présumer une erreur ou une illégalité, il doit en informer l’État signalant « dans les meilleurs délais ». C’est alors à ce dernier de vérifier et, le cas échéant, de corriger ou d’effacer la donnée. Ce mécanisme d’échange d’informations supplémentaires, géré par les bureaux SIRENE, est le seul canal légal pour contester une alerte.

Par ce raisonnement, la Cour opère une distinction claire entre l’exécution et le contrôle. L’exécution est immédiate et obligatoire ; le contrôle est différé et centralisé au niveau de l’État signalant. La Cour note également que la possibilité pour un État membre d’apposer un « indicateur de validité » pour empêcher l’exécution d’une mesure sur son territoire, prévue à l’article 24, est limitée à des types de signalements spécifiques, tels que les contrôles discrets, et ne s’applique pas aux saisies prévues à l’article 38. Cette exclusion renforce l’idée que pour les signalements les plus importants, la coopération ne saurait être entravée par des contestations unilatérales.

B. La détermination des mesures consécutives à la saisie, une compétence renvoyée au droit national

Bien que la saisie soit régie par le droit de l’Union, la suite de la procédure relève de la compétence des États membres. L’article 39, paragraphe 3, de la décision SIS II dispose que l’État qui a trouvé l’objet prend les mesures « conformément à son droit national ». La Cour interprète cette disposition comme une habilitation large, laissant aux États membres une marge d’appréciation considérable quant aux actions à entreprendre après la saisie initiale. Le droit de l’Union impose de sécuriser le bien, mais ne dicte pas son sort ultérieur.

Dans le cas d’espèce, la loi bulgare prévoyait la remise du véhicule à l’État membre signalant. La Cour juge qu’une telle mesure, bien que non explicitement mentionnée dans la décision SIS II, n’est pas contraire à celle-ci. Le renvoi au droit national permet justement d’intégrer de telles dispositions. Par conséquent, la décision SIS II « ne saurait être interprétée comme excluant que ces mesures puissent comprendre celles visant une remise de l’objet signalé à l’État membre signalant ». Cette solution valide la pratique bulgare et confirme que l’obligation d’exécution peut s’étendre, en vertu du droit national, jusqu’à la restitution du bien, même en présence de doutes sur le bien-fondé initial du signalement. L’État d’exécution est ainsi lié par son propre droit, qui peut lui-même imposer une coopération étendue.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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