La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 16 mai 2013, précise l’application de la compétence spéciale en matière délictuelle. Un investisseur domicilié en Allemagne a subi des pertes pécuniaires importantes suite à des opérations boursières complexes réalisées par une société de courtage londonienne. L’intéressé a saisi le Landgericht de Düsseldorf d’une demande d’indemnisation fondée sur la responsabilité délictuelle, invoquant un défaut d’information sur les risques encourus. Il reproche également à la société de courtage une complicité dans les agissements illicites d’un intermédiaire financier situé dans le ressort de la juridiction saisie. La juridiction allemande s’interroge sur sa compétence territoriale alors que la société défenderesse n’a agi qu’exclusivement depuis le territoire du Royaume-Uni. Elle demande si l’article 5 point 3 du règlement 44/2001 permet de fonder la compétence sur le lieu du fait générateur d’un coauteur non poursuivi. La Cour dit pour droit que cette disposition ne permet pas d’établir une compétence contre un auteur n’ayant pas agi dans le ressort du tribunal.
I. L’exclusion d’un rattachement par ricochet au lieu de l’événement causal
A. La primauté du comportement personnel du défendeur
L’article 5 point 3 du règlement prévoit une option entre le lieu de matérialisation du dommage et celui de l’événement causal à son origine. La Cour rappelle que cette règle de compétence spéciale doit être interprétée de manière stricte par rapport au principe du domicile du défendeur. Le point de rattachement pertinent pour identifier le juge compétent doit nécessairement se situer dans le ressort géographique de la juridiction saisie par le demandeur. « Dans une situation où la personne morale attraite devant la juridiction de renvoi l’est non pas au titre d’un fait qu’elle a commis… le point de rattachement fait par principe défaut ». L’exigence d’un lien étroit entre la contestation et le juge repose sur la proximité facilitant l’administration des preuves et la bonne organisation du procès.
B. L’inadéquation du lieu de l’agissement d’un tiers non attrait
La demande visait à imputer à la société de courtage les actes d’un intermédiaire financier agissant en Allemagne pour justifier la compétence locale. La Cour rejette cette construction juridique qui reviendrait à apprécier le fond du litige dès l’examen de la compétence juridictionnelle internationale. Admettre une telle imputation nécessiterait de vérifier l’existence d’une complicité ou d’une coactivité avant même que le juge ne se soit déclaré valablement saisi. L’arrêt souligne qu’en l’absence de concept commun au niveau européen, le juge risquerait de s’appuyer indûment sur ses propres règles de responsabilité civile nationale. « L’interprétation autonome de l’article 5 point 3… s’oppose à ce que l’événement causal soit considéré comme s’étant produit dans le ressort de cette juridiction ».
II. La sauvegarde de la sécurité juridique par l’interprétation autonome
A. Le rejet des concepts de responsabilité issus des droits nationaux
Le recours aux concepts nationaux pour définir les critères de compétence porterait une atteinte grave à l’objectif d’unification des règles au sein de l’Union. Le juge de renvoi envisageait d’appliquer par analogie les dispositions du code civil allemand relatives à la responsabilité solidaire des coauteurs et des complices. La Cour affirme que « l’utilisation des concepts juridiques nationaux dans le cadre du règlement n o 44/2001 générerait des solutions divergentes entre les États membres ». La cohérence du système européen impose d’écarter les particularismes locaux au profit d’une lecture uniforme et autonome des critères de rattachement. Cette solution garantit que l’application du règlement ne dépende pas de l’interprétation variable du droit matériel applicable au fond du litige transfrontalier.
B. La prévisibilité de la compétence juridictionnelle pour le défendeur
La sécurité juridique constitue le pivot central de la coopération judiciaire européenne afin de permettre aux parties de prévoir raisonnablement la juridiction compétente. Un défendeur doit être en mesure d’anticiper le tribunal devant lequel il risque d’être attrait en fonction de ses propres agissements territoriaux identifiables. Faire dépendre la compétence de l’agissement d’un tiers situé dans un autre État membre rendrait la solution imprévisible et contraire aux objectifs du législateur européen. « Cette solution ne permettrait pas au défendeur de prévoir raisonnablement la juridiction devant laquelle il pourrait être attrait », ce qui heurterait la systématique du règlement. Les victimes conservent néanmoins la possibilité d’agir devant le juge du domicile du défendeur ou celui de la matérialisation effective du dommage allégué.