Par un arrêt rendu le 16 mai 2013, la première chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise l’interprétation des règles de coordination. Le litige opposait une ressortissante à une institution de retraite au sujet du maintien d’une prestation de vieillesse acquise après une longue carrière. Cette personne partageait sa vie entre deux États membres depuis plusieurs décennies, conservant des attaches familiales et professionnelles dans chaque pays. Saisie par la Cour d’appel de Białystok le 14 décembre 2010, la juridiction européenne devait déterminer si la pluralité de résidences permettait une suppression. La Cour affirme qu’une personne ne saurait disposer de deux résidences habituelles, tout en encadrant les facultés de recouvrement des organismes nationaux.
**I. L’exigence d’une résidence habituelle unique en droit de l’Union**
**A. L’impossibilité d’une double domiciliation au sens du Règlement n° 1408/71**
Le texte européen repose sur un système de coordination des législations nationales qui impose la détermination d’une loi unique applicable au travailleur. L’article 10 du règlement prohibe les clauses de résidence mais ne définit pas explicitement si plusieurs lieux de séjour habituel sont admis. La Cour juge que « pour les besoins de l’application dudit règlement, une personne ne saurait disposer de deux lieux de résidence habituelle ». Admettre la pluralité de domiciles priverait de tout effet utile le principe de l’unicité de la législation applicable énoncé par le règlement. Cette solution garantit la clarté du système de protection sociale et évite les cumuls de législations potentiellement sources de complications administratives majeures.
**B. Les critères de détermination du centre habituel des intérêts**
Il appartient au juge national d’identifier l’État où se situe le centre habituel des intérêts de la personne au regard des éléments factuels. La notion de résidence vise l’endroit où l’intéressé séjourne habituellement et où se trouve le noyau stable de son existence sociale et familiale. Les juges soulignent que l’activité professionnelle exercée sur un territoire unique et les relations familiales entretenues constituent des indices déterminants pour cette qualification. L’existence d’une déclaration administrative de domicile dans un autre État ne saurait primer sur la réalité vécue des attaches personnelles de l’assuré. Le juge de renvoi doit vérifier si le centre des intérêts s’est déplacé ou s’il est resté ancré dans l’État d’origine.
**II. La protection des droits acquis face aux mesures nationales restrictives**
**A. La limitation de la suppression rétroactive des prestations de vieillesse**
Une institution de sécurité sociale ne peut valablement procéder à la suppression rétroactive d’un droit à pension régulièrement acquis au fil des ans. La Cour précise qu’une telle mesure et l’exigence de remboursement intégral des sommes versées sont incompatibles avec les dispositions protectrices du règlement européen. Si deux prestations ne sont pas de même nature, leur cumul ne saurait justifier l’annulation pure et simple des droits à la retraite. L’arrêt indique que « l’institution compétente d’un État membre ne peut pas valablement (…) procéder à la suppression rétroactive du droit à une pension ». La sécurité juridique du bénéficiaire est ainsi préservée contre les décisions administratives remettant en cause des situations établies depuis de nombreuses années.
**B. La conformité des clauses d’anti-cumul au principe de libre circulation**
L’application d’une règle nationale de réduction de pension doit respecter les principes fondamentaux de libre circulation des travailleurs garantis par le traité. Une décision ordonnant la diminution d’une prestation ne doit pas placer l’assuré dans une situation plus défavorable qu’une personne n’ayant pas circulé. Le droit de l’Union s’oppose à toute mesure nationale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales par les citoyens. Le juge interne doit s’assurer que la règle est justifiée par des considérations objectives et qu’elle reste proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi. La coopération loyale oblige les autorités à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que la circulation transfrontalière n’entraîne pas de perte de protection.