Cour de justice de l’Union européenne, le 16 mai 2019, n°C-509/17

Par un arrêt du 16 mai 2019, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2001/23/CE relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises. En l’espèce, une salariée était employée par une société qui a bénéficié d’une procédure de réorganisation judiciaire. Cette procédure a abouti à un transfert de l’entreprise sous autorité de justice au profit d’une société cessionnaire. Le cessionnaire, en application du droit national, n’a repris qu’une partie du personnel et n’a pas retenu la candidature de la salariée. Informée de la rupture de son contrat de travail par les mandataires de justice, la salariée a mis en demeure le cessionnaire de la réintégrer, ce que ce dernier a refusé. Elle a alors saisi les juridictions du travail belges. La cour du travail, saisie en appel, a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union. Le litige opposait la thèse de la salariée, qui revendiquait le maintien de son contrat de travail en application du principe de transfert automatique, à celle du cessionnaire, qui se prévalait de la faculté, offerte par la loi nationale, de choisir les travailleurs à reprendre. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si la directive 2001/23/CE s’oppose à une réglementation nationale qui, dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire visant à la poursuite de l’activité, autorise le cessionnaire à ne pas reprendre l’ensemble du personnel du cédant. La Cour a répondu par l’affirmative, considérant qu’une telle législation nationale est contraire aux objectifs de la directive. Elle estime que la protection des travailleurs prévue par la directive doit s’appliquer, la situation ne relevant pas des exceptions prévues pour les procédures de liquidation. Cette solution réaffirme la primauté de la protection des travailleurs dans les transferts d’entreprise (I), ce qui limite la marge de manœuvre des États membres dans l’aménagement de leurs procédures de sauvetage d’entreprises (II).

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I. La confirmation d’une protection étendue des travailleurs en cas de transfert

La Cour de justice fonde sa décision sur une application rigoureuse des principes de la directive 2001/23/CE. Elle écarte d’abord l’application de l’exception prévue en cas de procédure d’insolvabilité (A), pour ensuite réaffirmer le principe fondamental du transfert automatique des contrats de travail (B).

A. L’interprétation stricte de l’exception applicable aux procédures de liquidation

La Cour examine si la procédure belge de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice peut relever de l’exception de l’article 5, paragraphe 1, de la directive. Cette disposition permet de déroger aux articles 3 et 4, qui garantissent le maintien des droits des travailleurs, lorsque le cédant fait l’objet « d’une procédure de faillite ou d’une procédure d’insolvabilité analogue ouverte en vue de la liquidation des biens du cédant ». L’application de cette exception suppose la réunion de trois conditions cumulatives. La Cour constate qu’en l’espèce, aucune de ces conditions n’est satisfaite.

Premièrement, la procédure de réorganisation judiciaire n’est pas une procédure de faillite et ne peut y être assimilée, sa finalité étant précisément d’éviter la faillite. Deuxièmement, l’objectif de la procédure n’est pas la liquidation des biens de l’entreprise. Au contraire, il ressort des faits que la procédure a été « appliquée en vue du maintien de tout ou partie du cédant ou de ses activités ». La jurisprudence de la Cour a déjà précisé qu’une procédure visant la poursuite de l’activité de l’entreprise ne satisfait pas à la condition de finalité de liquidation. Enfin, le contrôle exercé par le mandataire de justice dans ce cadre est plus restreint que celui exercé dans une procédure de faillite. Par conséquent, l’exception doit être écartée, en raison de son caractère dérogatoire qui impose une interprétation stricte.

B. L’application impérative du transfert automatique des contrats de travail

Dès lors que l’exception de l’article 5 est inapplicable, les dispositions de principe des articles 3 et 4 de la directive retrouvent leur plein effet. L’article 3, paragraphe 1, dispose que « les droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire ». Ce mécanisme assure, selon la Cour, « le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise en leur permettant de rester au service du nouvel employeur dans les mêmes conditions que celles convenues avec le cédant ».

Cette règle garantit la continuité des relations de travail sans modification, protégeant ainsi les travailleurs contre une dégradation de leur situation du seul fait du transfert. L’application de ce principe implique que tous les contrats de travail en cours à la date du transfert sont automatiquement et de plein droit transférés au cessionnaire, sans qu’aucune des parties ne puisse s’y opposer. La décision de la Cour rappelle avec force que ce principe est la pierre angulaire de la directive et ne peut être contourné par des dispositions nationales qui en altéreraient la substance, sauf dans les cas expressément prévus par le texte.

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II. La remise en cause des législations nationales dérogatoires au droit commun des transferts

La décision de la Cour a une portée significative pour les droits nationaux des entreprises en difficulté. En invalidant le mécanisme de sélection des travailleurs (A), elle contraint les États membres à concilier les objectifs de sauvetage des entreprises avec les exigences du droit social européen (B).

A. L’illicéité d’un droit de sélection des travailleurs par le cessionnaire

La Cour analyse ensuite la compatibilité de la législation nationale avec l’article 4 de la directive, qui interdit les licenciements motivés par le transfert lui-même. Si cet article autorise des licenciements « pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi », il ne saurait justifier une sélection a priori des salariés par le cessionnaire. La législation belge en cause inverse la logique de la directive : au lieu d’un transfert automatique de tous les contrats suivi d’éventuels licenciements pour des motifs objectifs, elle organise un non-transfert par défaut pour les salariés non choisis.

La Cour souligne que le système national « vise, contrairement à la perspective dans laquelle s’inscrit l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/23, non pas les travailleurs qui font l’objet d’un licenciement, mais ceux dont le contrat de travail est transféré ». Un tel mécanisme permet au cessionnaire de ne pas avoir à justifier les raisons pour lesquelles certains salariés ne sont pas repris. Cette absence d’obligation de motiver le non-transfert est jugée de nature à « compromettre sérieusement le respect de l’objectif principal de la directive », qui est la protection contre les licenciements injustifiés. En conséquence, un droit de choisir les travailleurs est fondamentalement incompatible avec le système de protection institué par la directive.

B. La primauté de la protection des travailleurs sur les objectifs de continuité de l’entreprise

En affirmant que la directive s’oppose à la législation nationale en cause, la Cour arbitre implicitement entre deux objectifs : la sauvegarde de l’emploi via la protection des droits individuels des travailleurs et la sauvegarde de l’entreprise par des mesures de flexibilité favorisant la reprise. L’arrêt montre clairement que les procédures de réorganisation, même menées sous l’autorité de la justice et visant à assurer la pérennité de l’activité économique, ne sauraient primer sur les garanties fondamentales offertes aux travailleurs par le droit de l’Union.

La portée de cette décision est donc considérable. Elle oblige les États membres à s’assurer que leurs dispositifs de droit des entreprises en difficulté, lorsqu’ils prévoient un transfert d’activité, respectent scrupuleusement le principe du transfert automatique de tous les contrats de travail. Toute flexibilité accordée à un repreneur ne peut intervenir qu’a posteriori, dans le cadre strict des licenciements pour motif économique, technique ou d’organisation, et non par un mécanisme de sélection préalable qui viderait la directive de sa substance. La Cour rappelle ainsi que l’efficacité économique des procédures de sauvetage ne peut être recherchée au détriment des droits sociaux fondamentaux garantis par l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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