La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 16 mars 2023, un arrêt portant sur la validité d’une disposition relative à la protection des obtentions végétales. Un exploitant agricole avait mis en culture une variété protégée d’orge d’hiver pendant quatre années sans verser la rémunération équitable due aux titulaires de droits. Un organisme chargé de la défense des droits de propriété intellectuelle a réclamé une indemnisation forfaitaire égale au quadruple de la redevance de licence ordinaire. Le tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken a alors saisi la Cour d’une question préjudicielle concernant la conformité de cette modalité de calcul forfaitaire minimale. Le litige porte sur l’articulation entre le règlement de base du Conseil et le règlement d’application fixant les conditions de réparation du préjudice subi. La juridiction européenne décide d’invalider la disposition litigieuse car elle contrevient au principe du dédommagement intégral fondé sur une base strictement objective et réelle. Ce raisonnement conduit à examiner d’abord l’éviction d’une logique de réparation forfaitaire automatique avant de souligner le strict respect de la hiérarchie des normes.
I. Le refus d’une logique forfaitaire pour la réparation du préjudice
A. L’incompatibilité du forfait minimal avec l’exigence de preuve
La Cour rappelle que la réparation du préjudice au titre de la protection des obtentions végétales doit reposer sur des éléments probants et objectifs. L’article 94 du règlement de base fonde un droit au dédommagement intégral qui « couvre uniquement le préjudice résultant d’un acte de contrefaçon ». En conséquence, la fixation d’un montant forfaitaire minimal calculé sur la base du quadruple de la redevance habituelle méconnaît la réalité du dommage subi. Cette modalité de calcul instaure une présomption irréfragable sur l’étendue du préjudice et « limite le pouvoir d’appréciation du juge » national saisi du litige. Le juge ne peut plus adapter le montant de la condamnation si le préjudice réel s’avère inférieur au seuil arbitraire fixé par le texte réglementaire. Cette rigidité probatoire se double d’une dénaturation de l’objet même de la réparation civile qui perd sa fonction strictement indemnitaire.
B. L’exclusion de la nature punitive de l’indemnisation
L’indemnisation des droits de propriété intellectuelle ne peut servir de fondement à l’imposition d’un supplément forfaitaire s’apparentant à une peine privée ou civile. La Cour précise avec fermeté que le texte ne permet pas « la condamnation du contrefacteur à des dommages-intérêts d’ordre punitif, fixés de façon forfaitaire ». L’étendue de la réparation doit refléter précisément les pertes réelles et certaines subies par l’obtenteur du fait de l’exploitation non autorisée de sa variété. Le quadruple de la redevance excède manifestement la fonction de compensation pour introduire une dimension de sanction financière étrangère au mécanisme de responsabilité civile. Cette décision confirme que la protection communautaire n’autorise pas l’octroi de sommes dépassant la stricte compensation du gain manqué ou de la perte subie. Cette position réaffirme une conception classique de la responsabilité où le préjudice demeure la mesure exacte de la condamnation prononcée, justifiant l’annulation de la norme inférieure.
II. La sanction du dépassement des compétences d’exécution de la Commission
A. La primauté du règlement de base sur les modalités d’application
L’invalidation de l’article litigieux rappelle que la Commission européenne doit exercer ses compétences d’exécution dans le respect rigoureux du cadre législatif de base. Un règlement d’application ne saurait déroger aux principes cardinaux posés par le Conseil sans risquer une annulation pour excès de pouvoir ou incompétence. La Cour de justice souligne que la Commission a « outrepassé les limites de sa compétence d’exécution » en créant un régime indemnitaire forfaitaire non prévu. Le règlement instituant le régime de protection ne mentionnait nulle part la possibilité de majorer forfaitairement les dommages-intérêts en cas de faute délibérée répétée. La sécurité juridique des exploitants agricoles repose sur la conformité des textes de second rang aux orientations générales définies par le législateur de l’Union. La protection de cet ordonnancement juridique assure également le maintien des prérogatives essentielles de l’autorité judiciaire dans la détermination concrète des dommages.
B. La préservation de l’office du juge national dans l’évaluation du dommage
L’arrêt préserve le pouvoir souverain d’appréciation du juge national qui demeure seul compétent pour évaluer l’importance du dommage selon les circonstances de l’espèce. La Cour rejette toute application automatique de barèmes préétablis qui viendraient entraver la recherche de la vérité matérielle lors du procès civil en contrefaçon. Il « appartient au juge saisi d’apprécier si les préjudices invoqués (…) peuvent être prouvés avec précision » sans subir de contrainte textuelle réglementaire invalide. La portée de cette décision limite également l’influence d’autres directives sur le respect des droits de propriété intellectuelle dans le domaine végétal spécifique. Les obtenteurs doivent désormais justifier chaque élément de leur demande indemnitaire en apportant des preuves tangibles de l’existence d’un préjudice complémentaire au versement. L’invalidation rétablit ainsi un équilibre indispensable entre la défense des droits de propriété et la protection contre des sanctions financières automatiques non proportionnées.