Par un arrêt rendu en chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2006/123/CE, relative aux services dans le marché intérieur. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’un litige portant sur la légalité d’une redevance exigée pour l’octroi d’une autorisation administrative. Cette redevance se composait d’une part non récupérable, destinée à couvrir les frais de traitement de la demande, et d’une seconde part, récupérable en cas de rejet, visant à financer les coûts généraux de gestion et de police du régime d’autorisation. Face à l’incertitude quant à la compatibilité de ce dispositif avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait donc de déterminer si les coûts de gestion et de police d’un régime d’autorisation peuvent être intégrés dans le calcul de la redevance exigée d’un demandeur, au regard de l’exigence que ces charges n’excèdent pas le coût des procédures. La Cour de justice répond par la négative, en jugeant que l’article 13, paragraphe 2, de la directive « s’oppose […] à l’exigence du paiement […] d’une redevance dont une partie correspond aux coûts liés à la gestion et à la police du régime d’autorisation concerné, même si cette partie est récupérable ». La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte de la notion de coût des procédures (I), dont la portée renforce significativement la protection des prestataires de services contre les charges administratives dissuasives (II).
I. Une interprétation stricte de la notion de coût des procédures
La Cour de justice adopte un raisonnement en deux temps pour définir les charges autorisées par la directive « services ». Elle qualifie d’abord de charge toute obligation de paiement préalable, indépendamment de son caractère récupérable (A), avant de circonscrire précisément les coûts pouvant être imputés au demandeur (B).
A. L’indifférence du caractère récupérable de la charge
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le point de savoir si la réclamation d’une somme, même remboursable, constituait une charge au sens de la directive. La Cour écarte toute ambiguïté en affirmant que « le fait de devoir payer une redevance constitue une obligation financière, et donc une charge, dont le demandeur doit s’acquitter pour que sa demande soit prise en considération ». Cette approche formaliste est justifiée par l’objectif même de la disposition, qui vise à ne pas décourager l’accès aux activités de services. En effet, l’obligation d’avancer une somme, quand bien même elle serait restituée ultérieurement, représente une contrainte de trésorerie et un obstacle financier potentiel pour le prestataire. Le caractère récupérable de la somme n’atténue donc en rien sa nature de charge initiale. La Cour privilégie ainsi une appréciation concrète de l’impact sur le demandeur au moment de sa démarche, plutôt qu’une analyse de sa situation financière finale après le rejet éventuel de sa demande.
B. L’exclusion des frais de gestion générale et de police
Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans la délimitation des « coûts des procédures » mentionnés à l’article 13, paragraphe 2. Pour ce faire, elle procède par analogie avec sa jurisprudence antérieure tout en soulignant la spécificité du texte en cause. Si les frais généraux de l’administration compétente peuvent, dans certains cas, être imputés, la Cour rappelle avoir déjà jugé que les « dépenses liées à l’activité générale de surveillance de l’autorité » ne sauraient être incluses. Elle applique cette solution *a fortiori* à la directive « services », dont le texte est plus restrictif et poursuit un objectif de facilitation. Les coûts liés à la police et à la gestion générale du régime, incluant « les coûts liés à l’identification et à la répression des activités non autorisées », ne sont pas une contrepartie du traitement de la demande. Ils relèvent d’une mission d’intérêt général de l’État qui ne saurait être préfinancée par les seuls acteurs économiques sollicitant une autorisation.
En cantonnant ainsi la redevance au seul coût de la procédure d’autorisation, la Cour confère à sa décision une valeur et une portée notables pour l’effectivité du marché intérieur des services.
II. Le renforcement de la protection des prestataires de services
Cette décision clarifie les obligations des États membres et consolide les droits des prestataires. Elle confirme une approche finaliste de la directive, orientée vers l’élimination des entraves (A), et emporte des conséquences pratiques importantes pour les régimes d’autorisation nationaux (B).
A. La confirmation d’une approche finaliste de la directive services
La valeur de cet arrêt réside dans sa fidélité à l’esprit de la directive « services ». La Cour ne se contente pas d’une exégèse littérale mais interprète la notion de « coût des procédures » à la lumière de l’objectif de la directive, qui est de lever les obstacles à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. Une interprétation large, qui autoriserait les États membres à imputer des coûts de surveillance générale sur les demandeurs, reviendrait à créer des barrières financières contraires à cet objectif. Les demandeurs d’autorisation, qui sont des opérateurs économiques agissant légalement, n’ont pas à supporter le coût de la lutte contre les activités illicites. En réaffirmant ce principe, la Cour garantit l’effet utile de l’article 13, paragraphe 2, et prévient les dérives potentielles où les redevances se transformeraient en un impôt déguisé pour financer l’appareil réglementaire d’un secteur.
B. La portée pratique pour les régimes d’autorisation nationaux
La portée de cette décision est considérable pour les administrations des États membres. Elle impose une distinction claire entre le coût du service administratif rendu au demandeur et le coût de la mission de régulation générale du secteur. Les États membres sont ainsi contraints de revoir leurs systèmes de redevances pour s’assurer qu’ils ne couvrent que les dépenses directement liées à l’instruction des dossiers de demande d’autorisation ou de renouvellement. Les frais de contrôle, de surveillance du marché et de sanction des contrevenants devront être financés par le budget général de l’État et non par des contributions spécifiques des opérateurs vertueux. Cet arrêt a donc vocation à s’appliquer à l’ensemble des régimes d’autorisation entrant dans le champ de la directive et constitue une décision de principe, qui offre une grille de lecture stricte et protectrice pour les futurs contentieux similaires.