Cour de justice de l’Union européenne, le 16 novembre 2023, n°C-422/22

Par un arrêt en date du 16 novembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les obligations procédurales d’une institution de sécurité sociale d’un État membre souhaitant retirer un certificat A1 de sa propre initiative. En l’espèce, un travailleur indépendant avait obtenu un certificat A1 de l’institution de son État membre de résidence, attestant de son affiliation à la législation de cet État pour une activité exercée dans un autre État membre. Postérieurement, cette même institution a constaté, à la suite d’un réexamen d’office, que les conditions de délivrance du certificat n’étaient en réalité pas remplies et a procédé à son retrait.

Le travailleur concerné a contesté cette décision devant les juridictions nationales. Les juges du fond lui ont donné raison, estimant que l’institution émettrice aurait dû, avant tout retrait, engager la procédure de dialogue et de conciliation avec l’institution de l’État membre d’accueil. Saisie d’un pourvoi par l’organisme de sécurité sociale, la juridiction suprême a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une institution qui souhaite annuler un certificat A1 de sa propre initiative, sans y être invitée par une autre institution, est tenue de mener une telle procédure de conciliation au préalable. La Cour de justice y répond par la négative, affirmant que la procédure de dialogue n’est pas un prérequis au retrait d’office d’un certificat erroné. Cette solution consacre l’autonomie de l’institution émettrice dans la correction de ses propres erreurs (I), tout en encadrant cette prérogative par le principe de coopération loyale qui impose des obligations d’information consécutives au retrait (II).

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I. La consécration de l’autonomie de l’institution émettrice dans la rectification de ses erreurs

La Cour de justice affirme clairement que le retrait d’office d’un certificat A1 n’est pas subordonné à l’engagement préalable d’une procédure de dialogue. Cette position repose sur une interprétation stricte des conditions de déclenchement de cette procédure (A), laquelle est justifiée par la responsabilité qui incombe à l’institution émettrice en vertu du principe de confiance mutuelle (B).

A. Une procédure de dialogue conditionnée par l’existence d’un différend

L’arrêt souligne que la procédure de dialogue et de conciliation, prévue notamment aux articles 5 et 6 du règlement n° 987/2009, est un mécanisme destiné à résoudre les désaccords entre institutions de différents États membres. La Cour relève que « le recours à la procédure de dialogue et de conciliation résulte de l’existence d’une divergence de vues entre les institutions compétentes de deux ou plusieurs États membres ». En d’autres termes, cette procédure est déclenchée lorsqu’une institution d’un État membre d’accueil émet des doutes sur la validité d’un certificat A1 et en demande le réexamen à l’institution émettrice.

Or, dans le cas d’un retrait d’office, la situation est fondamentalement différente. L’initiative ne provient pas d’une contestation externe mais d’une constatation interne de l’institution émettrice elle-même, qui réalise que les informations sur lesquelles elle s’est fondée étaient inexactes. Il n’existe à ce stade aucun différend interinstitutionnel. La Cour en déduit logiquement que, en l’absence de divergence de vues matérialisée, l’obligation d’engager un dialogue n’a pas lieu d’être, les textes ne prévoyant pas une telle obligation dans cette hypothèse spécifique.

B. Un retrait fondé sur le principe de confiance mutuelle

La faculté de retirer un certificat erroné de manière unilatérale est le corollaire de l’obligation de diligence qui pèse sur l’institution émettrice. Le caractère contraignant du certificat A1 dans les autres États membres repose sur le principe de confiance mutuelle, lequel suppose que l’institution qui le délivre a correctement apprécié les faits et appliqué le droit. La Cour rappelle à cet égard que « l’institution émettrice doit procéder à une appréciation correcte des faits qui sont à la base de la délivrance de ces certificats […] afin de garantir l’exactitude des mentions figurant dans lesdits certificats ».

Cette responsabilité implique un devoir de vérification continue. Si l’institution constate que le certificat n’est plus, ou n’a jamais été, conforme à la situation réelle du travailleur, elle a non seulement le droit mais aussi l’obligation de le retirer pour garantir l’application correcte des règlements de coordination. Permettre ce retrait d’office sans imposer une procédure de dialogue préalable renforce l’efficacité du système en confiant à l’acteur le mieux placé le soin de corriger ses propres erreurs. L’autonomie ainsi reconnue est donc une manifestation directe de la responsabilité inhérente à la délivrance de l’acte.

Si l’institution émettrice dispose de cette prérogative de retrait unilatéral, l’exercice de celle-ci n’est pas discrétionnaire et demeure soumis aux garanties fondamentales du système de coordination.

II. Un retrait unilatéral encadré par les garanties du droit de l’Union

La Cour prend soin de préciser que cette solution ne crée pas d’insécurité juridique pour le travailleur ni ne rompt la coopération entre les institutions. Le retrait demeure encadré par la nécessité de garantir la continuité de la protection sociale du travailleur (A) et par une obligation de coopération qui s’exerce a posteriori (B).

A. Le maintien de la protection du travailleur migrant

L’un des risques potentiels d’un retrait d’office pourrait être de laisser le travailleur sans aucune couverture de sécurité sociale. La Cour écarte ce danger en rappelant la nature et les finalités du système de coordination. Premièrement, le certificat A1 a une nature déclarative et non constitutive de droits. Son retrait ne prive donc pas le travailleur de ses droits, mais constate simplement que la législation applicable n’était pas celle de l’État émetteur.

Deuxièmement, et surtout, le retrait du certificat déclenche l’application des règles de conflit de lois prévues au titre II du règlement n° 883/2004 afin de déterminer la législation qui aurait dû s’appliquer. La Cour réaffirme que ces dispositions forment « un système complet et uniforme de règles de conflit de loi qui ont pour but […] d’empêcher que les personnes […] soient privées de protection en matière de sécurité sociale ». En cas de désaccord ultérieur entre institutions sur la nouvelle législation applicable, les mécanismes prévus, notamment à l’article 6 du règlement n° 987/2009 sur l’affiliation provisoire, assurent au travailleur une couverture continue.

B. L’obligation de coopération a posteriori

L’absence de dialogue *préalable* ne signifie pas une absence totale de communication. La Cour insiste sur le fait que le principe de coopération loyale impose à l’institution qui a procédé au retrait d’en informer sans délai les autres institutions concernées ainsi que la personne elle-même. Comme le soulignait l’avocat général dans ses conclusions, reprises par la Cour, l’institution émettrice doit, « une fois ledit retrait effectué, d’informer de celui-ci, dans les plus brefs délais, tant ces institutions que la personne concernée ».

Cette obligation d’information post-retrait est cruciale. Elle permet à l’institution de l’État membre dont la législation devient applicable de prendre le relais sans rupture, garantissant ainsi la continuité de la protection. Le dialogue interinstitutionnel n’est donc pas supprimé ; il est simplement déplacé. Il n’a plus pour objet de débattre du bien-fondé du retrait, mais d’organiser ses conséquences de manière coordonnée, dans le respect des droits du travailleur migrant et de la bonne application des règles de coordination.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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