Cour de justice de l’Union européenne, le 16 octobre 2014, n°C-474/09

Par un arrêt rendu dans les affaires jointes C‑474/09 P à C‑476/09 P, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la question de la récupération d’aides d’État jugées illégales et incompatibles avec le marché commun. En l’espèce, des autorités infra-étatiques d’un État membre avaient adopté en 1996 des régimes fiscaux prévoyant des réductions de la base imposable de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises nouvelles. Ces régimes n’avaient pas été notifiés à la Commission européenne. Saisie de plaintes visant des aides individuelles, la Commission a eu connaissance de ces régimes et a ouvert une procédure formelle d’examen en 1999. En 2001, par plusieurs décisions, elle a qualifié les mesures d’aides d’État illégales et incompatibles, puis en a ordonné la récupération. Les autorités régionales ainsi que d’autres entités ont saisi le Tribunal de première instance d’un recours en annulation contre ces décisions. Par un arrêt du 9 septembre 2009, le Tribunal a rejeté l’ensemble de leurs recours. Les autorités régionales ont alors formé un pourvoi principal devant la Cour de justice, rejoint par des pourvois incidents formés par d’autres parties. Les requérants soutenaient notamment que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’admettant pas que le comportement antérieur de la Commission et la durée de la procédure avaient pu créer une confiance légitime s’opposant à la récupération des aides. Se posait donc à la Cour la question de savoir si le silence de la Commission ou son attitude passée à l’égard de régimes similaires pouvaient fonder une confiance légitime pour une autorité publique ayant manqué à son obligation de notification. La Cour de justice rejette les pourvois, confirmant ainsi l’arrêt du Tribunal. Elle juge qu’une autorité publique ne peut, en principe, se prévaloir d’une confiance légitime pour des aides non notifiées et que les circonstances invoquées par les requérants n’étaient pas de nature à constituer des assurances précises pouvant fonder une telle confiance.

I. La confirmation rigoureuse des conditions de la confiance légitime en matière d’aides d’État

A. Le rejet de principe d’une confiance légitime en l’absence de notification

La Cour rappelle avec fermeté la portée de l’obligation de notification préalable des aides d’État. Le non-respect de cette exigence procédurale fondamentale prévue à l’article 88, paragraphe 3, du traité CE fait obstacle à ce que l’autorité publique responsable de l’aide puisse invoquer une confiance légitime. L’arrêt souligne qu’admettre une telle possibilité reviendrait à paralyser l’efficacité du contrôle des aides d’État. La Cour énonce clairement que si un bénéficiaire d’aide ne peut que difficilement se prévaloir d’une confiance légitime en cas d’aide non notifiée, l’autorité publique qui a octroyé l’aide est dans une position encore moins favorable. Elle juge en effet qu’il en va « à plus forte raison, pour un État membre ou des collectivités territoriales de celui-ci, qui, à l’instar des requérants, invoquent une confiance légitime dans leur propre chef alors qu’ils n’ont pas respecté l’obligation de notification ». Cette solution réaffirme une jurisprudence constante qui vise à garantir l’effet utile du système de contrôle des aides et à responsabiliser les autorités nationales. La Cour refuse ainsi de créer une brèche dans un système où la notification constitue la pierre angulaire de la légalité.

B. L’insuffisance des agissements passés de la Commission à constituer des circonstances exceptionnelles

Au-delà du principe, l’arrêt examine si le comportement antérieur de la Commission pouvait constituer des circonstances exceptionnelles fondant une confiance légitime. Les requérants invoquaient l’attitude de l’institution à l’égard de régimes fiscaux antérieurs, datant de 1988 et 1993. La Cour écarte cet argument en procédant à une analyse distincte pour chaque régime. Concernant les mesures de 1988, elle note que la Commission les avait déjà qualifiées d’incompatibles, non seulement pour violation des libertés de circulation, mais aussi au regard des règles propres aux aides d’État. Elle conclut ainsi qu’il « ne pouvait pas être déduit de la décision 93/337 que le crédit d’impôt […] ne pouvait pas être qualifié d’‘aide’ ». Pour les régimes de 1993, la Cour s’appuie sur une affaire parallèle pour juger que l’inaction de la Commission ne pouvait être interprétée comme une autorisation implicite. Le silence de l’institution face à une aide non notifiée est jugé dépourvu de toute signification juridique. L’argument tiré de la connaissance par la Commission d’une autre loi nationale est également balayé, le juge constatant l’absence de similitude entre les mesures. La Cour se montre donc exigeante sur la nature des assurances qui pourraient fonder une confiance légitime, celles-ci devant être précises, inconditionnelles et concordantes.

II. Une appréciation limitée du contrôle exercé sur la gestion procédurale de la Commission

A. L’évaluation souple du caractère raisonnable de la durée d’examen

Les pourvois incidents soulevaient également la question de la durée de la procédure d’examen préliminaire menée par la Commission. Les requérants estimaient qu’un délai de trente-neuf mois était excessif et violait les principes de sécurité juridique et de bonne administration, s’opposant ainsi à la récupération de l’aide. La Cour rejette cette argumentation en adoptant une approche contextuelle du délai raisonnable. Elle souligne d’abord que, les aides n’ayant pas été notifiées, la Commission n’était pas soumise au délai strict de deux mois applicable aux aides notifiées. L’absence de notification par l’autorité publique la prive du bénéfice des garanties temporelles attachées à la procédure régulière. Ensuite, la Cour relève que le point de départ du délai est incertain, car la Commission n’a eu connaissance des régimes litigieux que « progressivement, en procédant à l’examen des plaintes contre ces aides individuelles et au traitement en parallèle de celles-ci et desdits régimes ». La complexité de l’affaire et la découverte graduelle des faits justifient donc une durée d’examen plus longue. Cette solution confère une marge d’appréciation significative à la Commission dans la gestion des enquêtes sur les aides illégales.

B. Le pouvoir discrétionnaire du juge dans l’administration des mesures d’instruction

Enfin, l’arrêt se prononce sur le refus du Tribunal d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires demandées par les requérants. Ces derniers sollicitaient la production de documents internes de la Commission qui, selon eux, auraient pu prouver une attitude favorable de l’institution à leur égard. La Cour de justice valide la décision du Tribunal, réaffirmant les conditions strictes qui encadrent les demandes de production de pièces. Elle rappelle qu’il appartient au juge de l’Union d’apprécier la pertinence des mesures d’instruction pour la solution du litige. Pour qu’une telle demande soit accueillie, « la partie qui en fait la demande doit identifier les documents sollicités et fournir au Tribunal au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance ». En l’espèce, la Cour estime que les requérants n’ont pas suffisamment identifié les documents, à l’exception d’un procès-verbal, ni démontré en quoi leur contenu aurait été déterminant. La Cour conclut que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, s’estimer suffisamment éclairé par les pièces du dossier. Ce faisant, elle confirme le rôle du juge du fond comme maître de l’instruction et pose des limites claires au droit des parties d’exiger la production de preuves.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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