La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 16 octobre 2019, un arrêt fondamental concernant le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Un négociant en gros de céréales a fait l’objet de contrôles fiscaux portant sur les exercices de l’année 2010 et de l’année 2011. L’administration fiscale a refusé la déduction de la taxe au motif que les opérations réalisées s’inscrivaient dans un mécanisme de fraude. Cette autorité s’est appuyée sur des constatations définitives issues de procédures administratives antérieures menées contre les fournisseurs de la société requérante.
L’administration fiscale a ordonné le paiement de sommes importantes au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités de retard. L’assujetti a formé un recours administratif, lequel a été rejeté, avant d’introduire un recours en annulation devant le tribunal compétent. La société soutenait que l’administration avait violé le principe d’égalité des armes en ne communiquant que des résumés partiels des dossiers. Elle affirmait que l’accès limité aux preuves recueillies dans des procédures auxquelles elle n’était pas partie portait atteinte à sa défense.
Le tribunal administratif et du travail de Budapest a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur la validité de cette pratique. Le problème juridique résidait dans la possibilité pour l’administration d’être liée par des constatations antérieures sans offrir un accès complet au dossier. La juridiction européenne a jugé que le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’une autorité soit liée par ses constatations. Cependant, l’assujetti doit pouvoir contester utilement ces éléments et le juge doit pouvoir vérifier la légalité de l’obtention des preuves.
I. La conciliation de la sécurité juridique et du contradictoire
A. La validité relative des constatations administratives antérieures La Cour reconnaît que l’obligation de cohérence imposée à l’administration fiscale vise à garantir la sécurité juridique des contribuables. Une règle liant l’autorité par des qualifications juridiques identiques pour les mêmes faits assure une certaine égalité devant l’impôt. « Le droit de l’Union ne s’oppose donc pas, en principe, à l’application d’une telle règle » de procédure nationale. Cette efficacité administrative ne saurait toutefois autoriser une dispense de la charge probatoire pesant sur les autorités lors d’un redressement.
Le refus du droit à déduction constitue une exception notable à l’application du principe fondamental que représente ce droit pour l’assujetti. L’administration doit établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’intéressé savait ou aurait dû savoir la fraude. Elle ne peut pas se contenter d’invoquer l’autorité de décisions antérieures pour justifier automatiquement le refus de déduction opposé à un autre assujetti. La protection des intérêts financiers de l’Union doit s’accorder avec le respect des garanties procédurales offertes aux contribuables de chaque État membre.
B. La préservation nécessaire du droit d’être entendu de l’assujetti Le principe du respect des droits de la défense exige que l’intéressé puisse faire connaître utilement son point de vue avant toute décision. L’assujetti doit pouvoir « remettre en cause utilement, au cours de la procédure dont il fait l’objet, ces constatations de fait et ces qualifications ». Une restriction excessive constituerait une intervention démesurée portant atteinte à la substance même du droit fondamental d’être entendu. L’autorité fiscale doit examiner avec soin et impartialité l’ensemble des éléments pertinents soumis par le contribuable contrôlé.
La sécurité juridique ne saurait justifier une règle qui priverait l’intéressé de la possibilité de corriger une erreur factuelle ou juridique. L’administration a l’obligation de motiver sa décision de façon circonstanciée afin de permettre à l’assujetti de comprendre les raisons du refus. Cette exigence de transparence garantit que le processus décisionnel ne repose pas sur des présomptions irréfragables issues de procédures auxquelles le contribuable était étranger. Le respect du contradictoire dès la phase administrative assure ainsi la régularité de la procédure avant toute saisine du juge.
II. La garantie d’une protection juridictionnelle fiscale effective
A. L’accès indispensable à l’intégralité des pièces du dossier Le droit d’accès au dossier constitue le corollaire indispensable du respect des droits de la défense lors de la phase administrative. L’assujetti doit pouvoir consulter l’ensemble des documents pris en considération par l’administration, y compris les éléments provenant de procédures pénales connexes. « Ne satisfait pas à cette exigence une pratique de l’administration fiscale consistant à ne donner à l’assujetti concerné aucun accès à ces éléments ». La simple communication de résumés sélectionnés par l’autorité fiscale rompt l’équilibre nécessaire entre les parties au litige.
L’égalité des armes suppose que chaque partie puisse présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas en net désavantage. Le contribuable doit avoir accès aux documents qui ne servent pas directement la décision mais peuvent être utiles à l’exercice de sa défense. Cette communication intégrale permet de débattre contradictoirement des éléments de fait et de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure. Seules des restrictions répondant à des objectifs d’intérêt général, comme le secret professionnel, peuvent exceptionnellement limiter ce droit d’accès.
B. L’étendue du contrôle du juge sur la régularité des preuves L’article 47 de la Charte impose que le juge puisse vérifier si les preuves n’ont pas été obtenues en violation des droits fondamentaux. Les juridictions ne sauraient être liées par les déclarations ou les constatations unilatérales effectuées par les autorités administratives antérieures. Le tribunal doit pouvoir examiner « la légalité de l’obtention et de l’utilisation des preuves recueillies au cours de procédures administratives connexes ». À défaut d’un tel contrôle effectif, les preuves litigieuses doivent être écartées pour préserver l’intégrité de la protection juridictionnelle.
La Cour souligne que le juge national doit rester le garant de l’équité du procès en vérifiant tous les éléments de fait. L’indépendance de la juridiction de contrôle s’oppose à ce que les conclusions d’une enquête administrative s’imposent à elle sans examen critique préalable. Cette solution renforce la primauté du droit de l’Union sur les pratiques nationales susceptibles d’amoindrir les droits fondamentaux des justiciables. L’annulation de la décision administrative devient alors inévitable si le redressement repose sur des preuves dont la légalité n’a pu être vérifiée.