Cour de justice de l’Union européenne, le 16 octobre 2019, n°C-490/18

Par un arrêt rendu le 16 octobre 2019, la neuvième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours de l’autonomie nationale dans le secteur apicole. Un apiculteur a sollicité une aide financière pour l’acquisition d’outils destinés à la migration de ses abeilles auprès de l’autorité administrative compétente. Sa demande fut rejetée car il ne possédait que trente-six colonies, alors qu’une nouvelle réglementation nationale exigeait désormais un minimum de soixante ruches enregistrées. Le demandeur disposait auparavant d’un nombre suffisant de colonies selon le programme triennal précédent qui fixait le seuil minimal à seulement trente unités.

Contestant ce rejet, l’intéressé a saisi le Budapest Környéki Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság d’un recours dirigé contre la décision confirmative du ministre de l’Agriculture. La juridiction de renvoi a alors décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de ces nouvelles exigences. Elle se demande si le droit de l’Union autorise un État membre à modifier rétroactivement les critères d’octroi des aides sans accorder de période d’adaptation. Le problème juridique porte sur le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime lors du renouvellement des programmes d’aide.

La Cour de justice dispose que les principes généraux du droit de l’Union ne s’opposent pas à ce qu’une réglementation nationale fixe des conditions d’octroi distinctes. Elle souligne que les États bénéficient d’une large marge d’appréciation pour établir ces programmes afin d’améliorer la production et la commercialisation des produits de l’apiculture. Cette décision repose sur la distinction entre la répartition des fonds européens et les conditions de versement aux bénéficiaires (I) et sur la prévisibilité des cycles réglementaires (II).

I. La primauté de la compétence nationale dans la fixation des conditions d’octroi

A. L’autonomie des États dans la gestion des programmes apicoles

La Cour affirme que l’article 55 du règlement n° 1308/2013 octroie aux États membres un pouvoir d’appréciation important pour établir des programmes nationaux triennaux. Ce cadre juridique permet aux autorités nationales d’ajuster les critères de sélection des bénéficiaires pour atteindre les objectifs de modernisation du secteur apicole européen. Les juges expliquent que les États peuvent « établir et modifier les conditions d’octroi d’une aide » sans être liés par les indicateurs purement comptables de l’Union. La fixation du nombre minimal de colonies relève donc de la souveraineté de l’État membre agissant dans le cadre de sa programmation budgétaire.

B. L’indépendance des critères nationaux par rapport aux méthodes de l’Union

Le règlement délégué 2015/1366 organise seulement la répartition de la participation financière de l’Union entre les différents États membres participants selon des méthodes statistiques fiables. La Cour précise que ces règles de calcul ne portent nullement sur les conditions d’octroi de l’aide perçue individuellement par chaque apiculteur au niveau national. L’autorité nationale n’est pas tenue de répartir l’aide en fonction du nombre de ruches défini pour la période de référence européenne du premier septembre au trente et un décembre. Cette distinction fondamentale justifie la validité des exigences techniques propres à chaque pays, ouvrant la voie à une analyse de la protection des droits acquis.

II. La conformité du changement de régime aux principes de sécurité et de confiance

A. La prévisibilité inhérente au caractère triennal des aides

Le principe de sécurité juridique vise à garantir la prévisibilité des situations pour permettre aux opérateurs économiques de connaître l’étendue exacte de leurs obligations financières futures. La Cour considère que le passage d’un programme à un autre, intervenant tous les trois ans, rend les modifications législatives parfaitement prévisibles pour les apiculteurs. Elle juge ainsi que « l’établissement de conditions d’octroi de l’aide concernée pour une nouvelle période […] ne saurait constituer un événement imprévisible pour les demandeurs ». L’augmentation du seuil de colonies requises constitue une mesure d’adaptation normale dont les professionnels doivent tenir compte lors de la planification de leur activité.

B. L’absence d’attente fondée au maintien du cadre réglementaire antérieur

Le principe de protection de la confiance légitime ne peut être invoqué par un opérateur qui est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure nouvelle. Les juges soulignent que les apiculteurs ne peuvent légitimement s’attendre au maintien perpétuel des conditions de financement prévues par les programmes nationaux déjà clôturés ou arrivés à terme. La décision rappelle avec fermeté que « les opérateurs économiques ne sont pas fondés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante ». Dès lors, l’application de nouveaux critères dès l’ouverture de la période triennale est jugée conforme au droit de l’Union car elle participe à l’amélioration de la filière.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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