Par un arrêt en date du 16 septembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des obligations incombant aux États membres en matière d’évaluation environnementale des projets d’infrastructure. En l’espèce, un État membre avait entrepris des travaux sur une ligne de chemin de fer, consistant en un dédoublement de voie sur un tronçon d’environ treize kilomètres et en une modification de tracé sur une partie de cette distance. Ces travaux s’intégraient dans un projet plus large de couloir ferroviaire reliant deux régions nationales et la frontière avec un autre État. La Commission européenne a engagé un recours en manquement, considérant que ce projet aurait dû faire l’objet d’une évaluation de ses incidences sur l’environnement, conformément à la directive 85/337/CEE, ce qui n’avait pas été le cas. L’État membre soutenait pour sa part que les travaux constituaient une simple amélioration d’une ligne existante et non la construction d’une nouvelle ligne, et qu’ils ne relevaient donc pas du champ de l’évaluation systématique prévue à l’annexe I de la directive. Se posait ainsi la question de savoir si des travaux de dédoublement et de modification partielle d’une voie ferrée existante entrent dans la catégorie des projets soumis à une évaluation environnementale obligatoire. La Cour de justice a constaté le manquement, estimant que de tels travaux, par leur nature et leur ampleur, relèvent bien du champ d’application de la directive et ne peuvent être soustraits à l’obligation d’évaluation préalable.
I. L’interprétation extensive du champ d’application matériel de la directive
La Cour adopte une lecture finaliste de la directive pour définir les projets soumis à évaluation (A), ce qui la conduit à neutraliser les tentatives de contournement de l’obligation par un découpage artificiel des projets (B).
A. La primauté de l’approche téléologique sur l’interprétation littérale
L’État membre mis en cause fondait une partie de son argumentation sur une interprétation littérale des termes de la directive et de sa transposition en droit interne. Il distinguait l’amélioration d’une ligne existante de la construction d’une ligne nouvelle. La Cour écarte cette approche en s’appuyant sur la finalité de la directive. Elle rappelle que « la nécessité d’une interprétation uniforme du droit communautaire exige, dans l’hypothèse d’une divergence entre les différentes versions linguistiques d’une disposition, que cette dernière soit interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». En l’occurrence, l’objectif est d’assurer qu’un projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement soit évalué. Un projet de dédoublement d’une voie ferrée, même le long d’un tracé existant, est de nature à affecter l’environnement, que ce soit par son emprise au sol, son impact sur la faune et la flore ou les nuisances sonores. Par conséquent, de tels travaux ne sauraient être qualifiés de simple « modification des projets figurant à l’annexe I », mais bien d’un projet de construction à part entière visé par cette même annexe.
B. Le rejet de la technique du fractionnement des projets
L’État membre prétendait également que le tronçon en cause, d’une longueur limitée à 13,2 kilomètres, ne pouvait être qualifié de voie pour le « trafic à grande distance ». La Cour rejette fermement cet argument en replaçant le tronçon dans son contexte global, celui d’un maillon du « Couloir méditerranéen ». Elle juge que si une telle argumentation était acceptée, « l’effet utile de la directive 85/337 serait susceptible d’être sérieusement compromis, puisqu’il suffirait aux autorités nationales concernées de fractionner un projet portant sur une longue distance en tronçons successifs de faible importance pour faire échapper aux prescriptions de cette directive tant le projet considéré dans sa globalité que les tronçons issus de ce fractionnement ». Cette position est essentielle pour prévenir le « salami-slicing », une pratique qui viderait de sa substance l’obligation d’évaluation pour les grands projets d’infrastructure. La Cour affirme ainsi que l’analyse du caractère structurant d’un projet doit se faire à une échelle pertinente, et non au niveau de chaque segment technique.
II. L’application rigoureuse des exigences procédurales de l’évaluation
La Cour rappelle que l’évaluation environnementale doit être préalable et complète (A) et que le manquement à cette obligation s’apprécie objectivement, sur la base du seul risque d’incidences notables (B).
A. Le caractère préalable et complet de l’évaluation environnementale
À titre subsidiaire, l’État membre faisait valoir que les exigences de la directive avaient été respectées en substance, par le biais d’une étude d’impact réalisée lors de la révision d’un plan d’urbanisme local et d’une consultation du public pour une modification ultérieure du projet. La Cour ne retient aucun de ces arguments. Elle souligne d’une part que l’évaluation menée dans le cadre du plan d’urbanisme était géographiquement limitée à une seule commune et ne couvrait donc pas l’intégralité du projet litigieux, qui était plus vaste. D’autre part, la consultation organisée pour une modification du projet est intervenue après le début des travaux. Or, la Cour rappelle que la procédure doit permettre au public « d’exprimer son avis avant que le projet ne soit entamé ». Le caractère préalable de la consultation et de l’évaluation est une condition substantielle de la directive, car il vise à influencer la conception même du projet et la décision d’autorisation. Une évaluation partielle ou a posteriori ne saurait donc satisfaire aux exigences du droit communautaire.
B. L’appréciation objective du manquement et la portée du critère d’évaluation
L’État membre invoquait sa bonne foi et le fait que la Commission n’avait pas prouvé l’existence d’incidences environnementales concrètes. La Cour balaye ces deux défenses. D’une part, elle réaffirme que « le recours en manquement revêt un caractère objectif et le fait que le manquement reproché soit le résultat d’une interprétation incorrecte des dispositions communautaires par un État membre ne saurait empêcher la Cour d’en faire la constatation ». La bonne foi des autorités nationales est donc sans pertinence. D’autre part, et de manière fondamentale, elle précise la nature du critère déclenchant l’obligation d’évaluation. Il ne s’agit pas de démontrer un impact avéré, mais de vérifier si le projet est « susceptible » d’avoir des incidences notables sur l’environnement. En classant le dédoublement d’une voie ferrée dans la catégorie des projets visés à l’annexe I, la directive établit une présomption de risque d’incidences notables, dispensant la Commission de prouver un dommage effectif. Cette approche consacre le rôle préventif de l’évaluation environnementale, en accord avec le principe de précaution.