Par un arrêt rendu le 23 octobre 2002, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicables aux compagnies aériennes. En l’espèce, une compagnie aérienne danoise, dont l’activité principale consistait en un trafic international, s’est vu refuser par l’administration fiscale de son pays le bénéfice d’une exonération de taxe pour des livraisons de biens et des prestations de services afférentes à ses vols intérieurs. L’administration considérait que cette exonération ne pouvait s’appliquer qu’aux opérations directement liées à un vol international, et non à l’ensemble de l’activité de la compagnie. La compagnie aérienne a alors engagé un recours devant les juridictions nationales afin d’obtenir le remboursement de la taxe qu’elle estimait avoir indûment acquittée, arguant que le caractère essentiellement international de son trafic global devait lui ouvrir droit à une exonération pour l’ensemble de ses aéronefs. Saisie du litige, la juridiction danoise a adressé à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle. Il était ainsi demandé si les dispositions de la sixième directive TVA, relatives à l’exonération des opérations liées aux aéronefs des compagnies pratiquant un trafic international, imposent à un État membre d’exonérer également les livraisons et services fournis pour des vols purement intérieurs. La question se posait donc de savoir si le critère d’exonération doit être apprécié au niveau de chaque vol individuellement, ou au niveau de l’activité globale de la compagnie aérienne. La Cour de justice a répondu que les exonérations visées « à des aéronefs qui effectuent des vols intérieurs mais qui sont utilisés par des compagnies de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré sont exonérées de la TVA ». La solution repose ainsi sur une appréciation globale de l’activité de la compagnie, et non sur la destination de chaque vol.
Cette décision consacre une interprétation littérale des textes communautaires au profit d’une application uniforme et simplifiée du régime d’exonération (I), tout en définissant un cadre d’appréciation pragmatique laissé à la compétence des juridictions nationales (II).
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I. La consécration d’une interprétation littérale du régime d’exonération
La Cour a opté pour une lecture stricte des dispositions de la sixième directive, privilégiant le critère de l’activité principale de la compagnie (B) plutôt qu’une approche finaliste qui aurait limité l’exonération aux seuls vols internationaux (A).
A. Le rejet d’une interprétation finaliste et restrictive
Le gouvernement danois et la Commission européenne soutenaient une interprétation restrictive de l’article 15 de la directive. Selon eux, cet article visant les exonérations à l’exportation et les opérations assimilées, sa logique commandait de limiter le bénéfice de l’exonération aux seules prestations afférentes à des vols internationaux. Une telle approche aurait eu pour conséquence d’exclure du dispositif les vols intérieurs, conformément au principe de neutralité fiscale qui s’oppose à ce que des opérations identiques (deux vols intérieurs) soient traitées différemment. La Cour, tout en rappelant que les exonérations fiscales sont d’interprétation stricte, a écarté ce raisonnement. Elle juge que la finalité d’une disposition ne saurait prévaloir sur sa lettre claire. La circonstance que les exonérations internes soient principalement régies par l’article 13 de la directive ne peut, selon elle, « avoir pour effet de donner à cet article 15 un sens différent de celui qui résulte clairement de sa lecture ». Par cette affirmation, la Cour réaffirme la primauté du texte, même lorsque celui-ci conduit à une dérogation au principe de neutralité fiscale.
B. La prévalence du critère de l’activité globale de la compagnie
Pour fonder sa décision, la Cour s’attache à l’articulation des points de l’article 15. Les points 7 et 9, qui visent les livraisons de biens d’avitaillement et les prestations de services, renvoient explicitement aux « aéronefs visés au point 6 ». Or, ce point 6 définit les aéronefs concernés comme ceux « utilisés par des compagnies de navigation aérienne pratiquant essentiellement un trafic international rémunéré ». Le législateur communautaire a donc lié l’exonération non pas à la nature de chaque vol, mais à la nature de l’opérateur qui utilise l’aéronef. Dès lors qu’une compagnie aérienne satisfait à ce critère d’activité essentiellement internationale, les aéronefs qu’elle utilise entrent dans le champ de l’exonération, et ce, quelle que soit leur affectation à un vol intérieur ou international. La Cour en déduit logiquement que « l’exonération prévue à l’article 15 de la sixième directive vise formellement, aux points 7 et 9 comme au point 6 de ce même article, les vols intérieurs des aéronefs utilisés par des compagnies dont l’activité est principalement internationale ». Le choix de ce critère global simplifie considérablement la gestion de la taxe, évitant une ventilation complexe des coûts entre vols intérieurs et internationaux.
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II. La définition d’un cadre d’appréciation pragmatique
Après avoir posé le principe de l’exonération, la Cour encadre la notion de trafic « essentiellement » international (A) et renvoie aux juridictions nationales le soin d’en apprécier les contours concrets (B).
A. La délimitation de la notion de trafic « essentiellement » international
Répondant à la seconde question préjudicielle, la Cour se penche sur la définition du terme « essentiellement ». Elle relève une divergence notable entre les versions linguistiques de la directive. Certaines, comme les versions française, italienne ou espagnole, suggèrent une activité internationale quasi exclusive. D’autres, comme les versions danoise, allemande ou anglaise, se contentent d’une simple prédominance. Plutôt que de trancher en faveur d’un sens unique, la Cour dégage un seuil minimal commun. Elle établit que « doivent, en tout état de cause, être considérées comme des compagnies pratiquant essentiellement un trafic international celles dont les activités autres qu’internationales se révèlent sensiblement moins importantes que leurs activités internationales ». Cette formule pragmatique offre une marge d’appréciation tout en fixant une ligne directrice claire : le trafic international ne doit pas seulement être majoritaire, mais constituer la part la plus substantielle de l’activité de la compagnie, reléguant le trafic intérieur à un niveau accessoire.
B. Le renvoi de l’appréciation aux juridictions nationales
Conformément à son rôle dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice fournit l’interprétation du droit de l’Union mais laisse aux juridictions nationales le soin de l’appliquer aux faits de l’espèce. Il appartient donc au juge national « d’apprécier l’importance respective des parts d’activités internationales et autres qu’internationales de ces compagnies ». Pour guider cette appréciation, la Cour suggère de prendre en compte « tous les éléments qui donnent une indication de l’importance relative du type de trafic concerné, notamment le chiffre d’affaires ». Cette méthode confère une souplesse aux juges nationaux, qui peuvent s’appuyer sur une pluralité d’indicateurs économiques pertinents (chiffre d’affaires, nombre de passagers-kilomètres, etc.) pour déterminer si le critère de l’activité essentiellement internationale est rempli. La solution assure ainsi un équilibre entre la nécessité d’une interprétation uniforme du droit communautaire et l’adaptation aux spécificités de chaque cas.