Cour de justice de l’Union européenne, le 16 septembre 2020, n°C-674/19

Une société établie en Lituanie a importé un produit destiné à être consommé avec une pipe à eau. Ce produit était composé de tabac à hauteur de 24 %, le reste étant constitué de sirop de sucre, de glycérine, de substances aromatiques et d’un conservateur. Pour le calcul des droits d’accise, la société n’a déclaré que le poids du tabac contenu dans le produit. L’administration douanière lituanienne a cependant procédé à un redressement fiscal, considérant que l’intégralité du poids du produit aurait dû servir de base au calcul de la taxe. Saisie du litige, la société a contesté cette décision, arguant que seuls les composants de tabac étaient imposables. Le litige a été porté devant les juridictions administratives lituaniennes. La Cour administrative suprême de Lituanie, confrontée à l’interprétation de la directive 2011/64/UE relative à la taxation des tabacs manufacturés, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait essentiellement de déterminer si un produit comme le tabac à pipe à eau, majoritairement composé de substances autres que le tabac, devait être qualifié de « tabac à fumer » au sens de la directive et, en conséquence, si l’accise devait être calculée sur le poids total du produit. La Cour de justice a répondu que de tels produits doivent être qualifiés de « tabac à fumer » et que la taxe doit s’appliquer à leur poids total, incluant toutes les substances qui les composent.

La solution retenue par la Cour de justice procède d’une analyse extensive de la notion de tabac à fumer, qui en clarifie la définition (I), pour ensuite en tirer les conséquences logiques sur le plan fiscal, réaffirmant ainsi les objectifs de la directive (II).

I. L’assimilation du tabac à pipe à eau au tabac à fumer

Pour soumettre le produit en cause au régime des droits d’accise, la Cour a adopté une interprétation large de la notion de produit du tabac (A) avant de vérifier que les critères de qualification du tabac à fumer étaient bien remplis (B).

A. Une interprétation extensive de la notion de produit du tabac

La Cour de justice devait d’abord déterminer si le tabac à pipe à eau pouvait être considéré comme un « produit constitué partiellement de substances autres que le tabac » au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2011/64. La juridiction européenne constate que le législateur n’a pas limité la nature des substances pouvant être mélangées au tabac. Par conséquent, l’adjonction de sirop, de glycérine ou d’arômes ne fait pas obstacle à cette qualification. Cette approche repose sur une lecture littérale du texte, qui n’exclut aucune substance et n’exige pas de proportion minimale de tabac.

La Cour souligne également que seuls les produits ne contenant pas de tabac et ayant une fonction exclusivement médicale échappent à cette qualification. En l’espèce, le produit contenait du tabac et n’était pas destiné à un usage médical, ce qui justifiait son inclusion dans le champ de la directive. Cette interprétation large est renforcée par une analyse téléologique, la Cour rappelant que la directive vise à la fois le bon fonctionnement du marché intérieur et un niveau élevé de protection de la santé. Assimiler de tels produits au tabac à fumer permet de garantir une concurrence neutre et de les inclure dans les politiques de lutte contre le tabagisme, car ils « sont en concurrence avec les cigarettes et le tabac à fumer ».

B. La confirmation des critères de qualification du tabac à fumer

Une fois le produit reconnu comme étant partiellement constitué de substances autres que le tabac, il restait à vérifier s’il répondait à la définition du « tabac à fumer » de l’article 5, paragraphe 1, de la directive. Cette disposition pose deux conditions cumulatives : le produit doit être du tabac « coupé ou fractionné d’une autre façon, filé ou pressé en plaques », et il doit être « susceptible d’être fumé sans autre transformation industrielle ». La Cour considère que le produit en cause, composé de tabac fractionné mélangé à d’autres substances, remplit la première condition, sous réserve de la vérification des faits par la juridiction nationale.

Concernant la seconde condition, la Cour estime que le tabac à pipe à eau est bien susceptible d’être fumé sans transformation industrielle ultérieure. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle une « manipulation aisée » par le consommateur final ne constitue pas une transformation industrielle. Le processus de préparation d’une pipe à eau n’implique aucune transformation à grande échelle de matières premières. Le produit est donc prêt à l’emploi au sens de la directive. En validant ces deux critères, la Cour confirme que le mélange dans sa totalité doit être considéré comme du tabac à fumer.

L’assimilation complète du produit au tabac à fumer emporte des conséquences directes sur la détermination de l’assiette de l’impôt, ce qui constitue le second apport majeur de la décision.

II. Les conséquences fiscales de la qualification retenue

La qualification de tabac à fumer entraîne l’application du régime d’accise sur la totalité du produit (A), une solution qui s’inscrit dans la logique des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union (B).

A. L’assiette de l’accise étendue à l’ensemble du produit

La question centrale pour les parties était de savoir si l’accise devait porter sur le poids total du mélange ou uniquement sur la part de tabac. La Cour de justice tranche sans ambiguïté en faveur d’une taxation de l’ensemble du produit. Elle relève que la directive 2011/64 « assimile, dans leur intégralité, aux tabacs à fumer, les produits constitués partiellement de substances autres que le tabac sans distinguer entre ces différentes substances ni prévoir l’imposition du seul tabac contenu dans ces produits ».

Le raisonnement de la Cour s’appuie sur une lecture systémique de la directive. Pour les cigarettes comme pour les autres tabacs manufacturés, le législateur n’a jamais prévu d’exclure de l’assiette de la taxe le poids des filtres, du papier, ou des agents de saveur. Appliquer une règle différente pour le tabac à pipe à eau créerait une rupture d’égalité fiscale injustifiée. La Cour conclut que puisque toutes les substances sont chauffées et fumées ensemble en tant que produit unique, ce dernier doit être considéré « dans son ensemble, comme du tabac à fumer et être soumis en tant que tel à l’accise sur le tabac ». Cette position met fin à toute tentative de contournement de l’impôt par une déclaration fractionnée du poids des composants.

B. Une solution guidée par les objectifs de santé publique et de marché intérieur

Au-delà de la pure technique fiscale, la décision est fortement influencée par les finalités de la directive. En soumettant la totalité du poids du produit à l’accise, la Cour assure l’efficacité de l’instrument fiscal comme outil de santé publique. Une taxation limitée au seul tabac aurait rendu ces produits financièrement plus attractifs que les cigarettes ou le tabac à rouler, allant à l’encontre des politiques de dissuasion du tabagisme. La solution retenue garantit que le prix de ces produits reflète leur nature de produit du tabac, quel que soit leur composition.

De plus, cette interprétation assure le bon fonctionnement du marché intérieur en prévenant les distorsions de concurrence. En soumettant tous les produits fumables contenant du tabac à des règles de taxation cohérentes, la Cour empêche que des innovations de composition permettent d’échapper à l’impôt et de créer un avantage concurrentiel déloyal. La décision a donc une portée importante : elle clarifie le régime fiscal applicable à tous les produits similaires et futurs, consolidant un cadre fiscal harmonisé pour l’ensemble des tabacs manufacturés au sein de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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