Par un arrêt du 17 décembre 2009, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en première chambre, a précisé l’étendue des pouvoirs du juge national dans la protection des consommateurs face à des contrats négociés en dehors des établissements commerciaux.
En l’espèce, une consommatrice a conclu à son domicile un contrat portant sur l’acquisition de matériel culturel. Postérieurement à la livraison des biens, l’acquéreuse n’a pas honoré ses obligations de paiement. Le vendeur a alors engagé une procédure d’injonction de payer devant le Juzgado de Primera Instancia n°1 de Salamanca, lequel a fait droit à la demande et condamné la consommatrice au paiement des sommes dues. Celle-ci a interjeté appel de la décision devant l’Audiencia Provincial de Salamanca. La juridiction d’appel a relevé que le contrat litigieux ne mentionnait pas de manière adéquate le droit de résiliation de la consommatrice, en méconnaissance des dispositions de la directive 85/577/CEE du 20 décembre 1985. Cependant, la partie défenderesse n’avait soulevé la nullité du contrat à aucun stade de la procédure. Confrontée au principe dispositif du droit procédural espagnol, qui limite en principe le juge aux moyens soulevés par les parties, la juridiction de renvoi a sursis à statuer.
Il était ainsi demandé à la Cour de justice si le droit communautaire, et plus spécifiquement l’article 4 de la directive 85/577/CEE, doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction nationale de déclarer d’office la nullité d’un contrat au motif d’un défaut d’information du consommateur sur son droit de résiliation, alors même que cette nullité n’a pas été invoquée par ce dernier.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que l’obligation d’information sur le droit de résiliation constitue une garantie essentielle de la protection voulue par le législateur communautaire, dont le caractère d’intérêt public justifie une intervention du juge national pour pallier le déséquilibre contractuel. La Cour précise en outre que la déclaration de nullité du contrat constitue l’une des « mesures appropriées » que les États membres doivent prévoir pour sanctionner le manquement à cette obligation.
L’office du juge se trouve ainsi renforcé par la consécration d’un pouvoir d’intervention destiné à assurer l’effectivité d’une obligation d’information jugée fondamentale (I), tout en laissant au juge national une flexibilité dans le choix de la sanction applicable (II).
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I. La consécration d’un pouvoir d’intervention judiciaire pour garantir une obligation d’information fondamentale
La Cour justifie l’intervention d’office du juge national par le caractère essentiel de l’obligation d’information pesant sur le professionnel (A), ce qui confère à cette règle un statut d’ordre public justifiant une dérogation aux principes procéduraux nationaux (B).
A. Le caractère essentiel de l’information sur le droit de résiliation
La solution retenue par la Cour repose sur une analyse téléologique de la directive 85/577/CEE. Elle rappelle que l’objectif de ce texte est de protéger le consommateur contre les risques spécifiques aux contrats négociés hors des établissements commerciaux, notamment l’effet de surprise et l’impossibilité de comparer les offres. Dans ce contexte, la directive instaure un droit de résiliation pour « compenser le désavantage résultant pour le consommateur » en lui offrant un délai de réflexion.
Toutefois, ce droit resterait purement théorique si le consommateur n’en avait pas connaissance. La Cour souligne que l’obligation pour le commerçant d’informer par écrit le consommateur de son droit de rétractation, prévue à l’article 4 de la directive, est donc indissociable du droit lui-même. C’est cette information qui rend le droit de résiliation effectif et opérant. La Cour estime ainsi que « le régime de protection instauré par la directive suppose non seulement que le consommateur, en tant que partie faible, dispose du droit de résilier le contrat, mais également qu’il prenne conscience de ses droits en en étant expressément informé par écrit ». Cette obligation d’information occupe de ce fait « une place centrale dans l’économie générale » de la directive.
B. L’assimilation à une mesure d’intérêt public justifiant l’intervention d’office
En qualifiant l’obligation d’information de « garantie essentielle », la Cour lui confère une importance qui dépasse les seuls intérêts privés des parties au litige. Elle s’appuie sur sa jurisprudence antérieure, selon laquelle les juridictions nationales ne sont pas tenues de soulever d’office des moyens tirés du droit communautaire, sauf dans les cas exceptionnels où l’intérêt public exige leur intervention. La Cour estime que la protection du consommateur dans le cadre du démarchage à domicile relève précisément de cette exception.
L’arrêt établit donc que le respect de l’article 4 de la directive constitue une question d’intérêt public. Cette qualification permet de surmonter les obstacles posés par les règles de procédure nationales, tel que le principe dispositif en droit espagnol. Le juge national n’est plus un arbitre passif attendant que les parties invoquent leurs droits ; il devient un gardien actif de l’ordre public de protection consumériste défini par l’Union européenne. Il peut ainsi « relever d’office la violation des prescriptions posées par l’article 4 de la directive » afin de « suppléer au déséquilibre existant entre le consommateur et le commerçant ».
Une fois le principe de l’intervention judiciaire affirmé, la Cour se penche sur les conséquences concrètes que le juge peut tirer de la violation constatée. Elle encadre cette prérogative tout en préservant une marge d’appréciation significative.
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II. La détermination d’une sanction relevant de l’appréciation du juge national
La Cour de justice reconnaît la nullité du contrat comme une sanction possible et adéquate (A), tout en inscrivant cette faculté dans un cadre souple qui respecte la compétence des États membres et la volonté du consommateur (B).
A. La nullité du contrat comme « mesure appropriée »
L’article 4, troisième alinéa, de la directive impose aux États membres de prévoir des « mesures appropriées » pour protéger le consommateur lorsque l’information sur son droit de résiliation n’est pas fournie. La Cour interprète cette notion de manière large, en cohérence avec le niveau élevé de protection recherché. Elle juge qu’une mesure consistant à « déclarer la nullité du contrat litigieux peut être qualifiée d’‘appropriée’ ».
Cette solution présente l’avantage d’être particulièrement dissuasive pour les professionnels. La sanction de la nullité, qui anéantit rétroactivement le contrat, constitue en effet une conséquence radicale du manquement du commerçant à son obligation. En validant une telle sanction, la Cour envoie un signal fort sur le caractère impératif de l’obligation d’information. Elle confirme que le consentement du consommateur, donné dans des circonstances potentiellement désavantageuses, ne peut être considéré comme valablement formé sans une information complète sur ses droits. La nullité apparaît ainsi comme la juste contrepartie de la violation d’une formalité jugée essentielle à la protection de la partie faible.
B. Une solution flexible et respectueuse des contextes nationaux
Malgré la validation de la sanction de nullité, la Cour se garde bien d’en faire la seule conséquence possible. Elle précise que sa conclusion « n’exclut pas que d’autres mesures puissent également assurer ledit niveau de protection ». Elle évoque à titre d’exemple la réouverture des délais de résiliation, permettant au consommateur d’exercer effectivement son droit une fois dûment informé. Cette alternative offre une solution moins radicale que l’anéantissement du contrat.
De surcroît, la Cour introduit une nuance importante en invitant le juge national à tenir compte, dans certaines circonstances, de « la volonté du consommateur à ne pas voir annuler le contrat en cause ». Cette précision est fondamentale car elle évite qu’une mesure de protection ne se retourne contre son bénéficiaire. Un consommateur satisfait de la prestation pourrait en effet souhaiter maintenir le contrat malgré le vice de forme initial. En conférant au juge national le pouvoir de moduler sa réponse, la Cour articule efficacement l’exigence d’une protection effective avec le respect de l’autonomie procédurale des États et la volonté du consommateur.