Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2009, n°C-248/08

Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne constate la défaillance d’un État membre dans l’application du règlement (CE) n° 1774/2002 relatif aux sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine. À la suite de plusieurs missions de contrôle menées par l’Office alimentaire et vétérinaire, la Commission européenne a relevé des déficiences graves et persistantes dans la gestion de ces sous-produits sur le territoire de l’État concerné. Les manquements portaient notamment sur l’enfouissement sans transformation préalable, l’inefficacité des contrôles officiels, l’absence d’agréments conformes pour les installations de traitement et une gestion défaillante de l’incinération des matériels à risques spécifiés. La procédure précontentieuse, initiée dès 2004, n’ayant pas permis d’obtenir une mise en conformité satisfaisante, la Commission a saisi la Cour d’un recours en manquement. L’État membre a soulevé l’irrecevabilité du recours pour imprécision et a contesté le caractère généralisé des défaillances, invoquant des cas isolés et des particularités nationales. Il revenait donc à la Cour de déterminer si un ensemble de défaillances pratiques, continues et documentées dans la mise en œuvre d’un règlement sanitaire constituait un manquement général et persistant aux obligations incombant à un État membre en vertu du droit de l’Union. En réponse, la Cour a jugé le recours recevable et fondé, déclarant que « en n’ayant pas appliqué ni imposé correctement le règlement (CE) n° 1774/2002 […], la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent » en vertu de plusieurs dispositions de ce texte.

Le raisonnement de la Cour établit la consistance du manquement d’État à travers une appréciation rigoureuse des preuves et des justifications (I), avant de confirmer la portée des obligations sanitaires et de contrôle imposées par le droit de l’Union (II).

I. La caractérisation d’un manquement systémique et persistant

La Cour fonde sa décision sur une analyse probatoire qui met en évidence la nature structurelle du manquement, tout en écartant les justifications tirées de l’ordre interne de l’État membre.

A. La force probante des rapports de contrôle face aux dénégations générales

La Cour de justice réaffirme les principes régissant la charge de la preuve dans une procédure en manquement. Il incombe à la Commission de fournir les éléments nécessaires à la vérification de l’existence du manquement allégué. Cependant, une fois que la Commission a produit des preuves suffisantes, la charge de la contestation se déplace vers l’État membre. Celui-ci doit alors contester « de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent ». En l’espèce, la Cour s’appuie entièrement sur les rapports successifs de l’Office alimentaire et vétérinaire, qui documentent de façon précise les lacunes du système national. Face à ces éléments, l’État défendeur s’est contenté d’opposer des dénégations générales ou de minimiser les faits en les qualifiant de « cas isolés ». La Cour juge cette défense insuffisante et estime que les rapports de mission mettent en évidence « de façon claire et non équivoque les lacunes ainsi que les déficiences de la gestion ». En agissant ainsi, elle confirme qu’un faisceau d’indices concordants et précis suffit à démontrer une pratique administrative contraire au droit de l’Union, revêtant un caractère constant et général.

B. Le rejet des justifications fondées sur des contraintes internes

L’État membre a tenté de justifier ses manquements en invoquant plusieurs difficultés d’ordre interne, telles que les particularités géographiques de son territoire ou les exigences strictes en matière environnementale qui retardaient la délivrance d’autorisations. La Cour rejette fermement cette argumentation en rappelant une jurisprudence constante. En effet, « un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire ». Cette position de principe est appliquée avec rigueur, qu’il s’agisse des dérogations prévues pour les « régions éloignées » ou des lenteurs administratives. La Cour précise que les efforts accomplis dans d’autres domaines, comme la surveillance des encéphalopathies spongiformes, ne sauraient excuser le non-respect des obligations spécifiques du règlement. De même, l’introduction d’un régime d’agréments provisoires ne peut justifier une situation où la législation de l’Union demeure durablement inapplicable. La Cour souligne ainsi que l’obligation d’assurer la bonne application d’un règlement est une obligation de résultat, qui ne saurait être satisfaite par de simples mesures préparatoires ou des solutions palliatives.

II. La portée des obligations de sécurité sanitaire et de contrôle

La Cour rappelle la sévérité des exigences du règlement en matière d’élimination des sous-produits animaux et souligne l’importance capitale d’un système de contrôle et d’agrément effectif.

A. L’interprétation stricte des règles d’élimination et de transformation

Le règlement établit une hiérarchie des risques liés aux sous-produits animaux, les matières de catégorie 1 étant les plus dangereuses. Pour celles-ci, l’article 4, paragraphe 2, sous a), impose une élimination par incinération sans retard. La Cour souligne que le non-respect de ces conditions strictes « pourrait avoir des conséquences irréversibles pour la santé humaine et pour celle des animaux ». En constatant que l’État membre a manqué à cette obligation, la Cour réaffirme que la protection de la santé publique constitue l’objectif premier de cette législation, justifiant une application littérale et rigoureuse des méthodes d’élimination prescrites. De même, concernant l’enfouissement de sous-produits sans transformation préalable en violation des articles 4 à 6, la Cour juge que l’existence d’infrastructures appropriées relève d’une obligation de résultat. Les engagements politiques ou la planification de nouvelles usines sont insuffisants tant que le résultat concret, à savoir la cessation des pratiques illégales, n’est pas atteint.

B. L’ineffectivité du cadre de surveillance et d’agrément

Au-delà des seules règles matérielles d’élimination, la Cour sanctionne l’inefficacité de l’ensemble du système de surveillance. L’article 26 du règlement impose aux autorités compétentes de réaliser des inspections et des contrôles réguliers. Les rapports de l’Office alimentaire et vétérinaire ayant démontré des carences persistantes dans ce domaine, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas démontré « qu’elle peut assurer efficacement le respect des obligations découlant de l’article 26 du règlement spa ». Cette approche met en lumière que l’obligation de contrôle n’est pas une simple obligation de moyens, mais requiert une efficacité tangible. Enfin, le manquement relatif à l’agrément des usines de transformation est également jugé fondamental. En tolérant que des établissements fonctionnent sans agrément conforme au règlement, ou sur la base d’autorisations provisoires inefficaces, l’autorité nationale compromet la finalité même du texte. La Cour estime qu’une telle pratique administrative ne peut « imposer de tolérer indéfiniment une situation découlant d’une pratique administrative constante et généralisée de l’autorité compétente, qui consiste à s’abstenir d’appliquer » le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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