Par un arrêt en date du 10 septembre 2009, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa cinquième chambre, s’est prononcée sur la classification tarifaire de compléments alimentaires présentés sous forme de gélules. La question posée portait sur la correcte interprétation de la nomenclature combinée pour de tels produits.
En l’espèce, une société importatrice avait déclaré en Allemagne plusieurs lots de gélules contenant diverses huiles, notamment de poisson, de germe de blé et de carvi noir. Ces marchandises avaient été classées par l’importateur sous la position 2106 de la nomenclature, correspondant aux « préparations alimentaires non dénommées ni comprises ailleurs ». L’administration douanière allemande a par la suite procédé à un reclassement, rattachant ces produits aux positions du chapitre 15, relatives aux graisses et huiles. Cette nouvelle classification a eu pour conséquence une augmentation substantielle des droits à l’importation.
La société importatrice a contesté ces décisions devant le Finanzgericht Baden-Württemberg. La juridiction allemande, confrontée à des doutes sur l’interprétation des positions tarifaires concernées, a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait pour l’essentiel de déterminer si des préparations à base d’huile, conditionnées en gélules et destinées à la consommation humaine comme compléments alimentaires, devaient être classées selon la nature de leur composant principal, à savoir l’huile, ou si leur présentation et leur fonction spécifiques justifiaient un classement en tant que préparation alimentaire. Le débat portait donc sur la prééminence de la matière sur la fonction.
La Cour de justice a tranché en faveur d’une classification sous la position 2106 de la nomenclature combinée. Elle a jugé que le critère décisif pour le classement tarifaire réside dans les caractéristiques et propriétés objectives de la marchandise. Selon la Cour, ces caractéristiques incluent non seulement le contenu des gélules mais également leur enveloppe, celle-ci n’étant pas un simple emballage mais un élément déterminant la fonction et le dosage du produit en tant que complément alimentaire.
**I. La primauté de l’approche fonctionnelle sur la composition matérielle de la marchandise**
La Cour de justice, pour déterminer le classement tarifaire des gélules, a écarté une analyse fondée sur la seule matière première au profit d’une appréciation globale du produit, où la fonction et la présentation deviennent prépondérantes.
**A. L’insuffisance du critère de la matière première pour le classement**
Le raisonnement de l’administration douanière consistait à classer les produits dans le chapitre 15 de la nomenclature combinée, au motif que leur ingrédient principal était de l’huile ou de la graisse. Cette approche, fondée sur la composition, semblait s’appuyer sur une lecture littérale des libellés des positions 1515 et 1517. Toutefois, la Cour a estimé qu’une telle démarche était réductrice et ne permettait pas de rendre compte de la nature véritable de la marchandise importée.
Elle souligne en effet que « la circonstance que les matières premières qui composent les préparations alimentaires en cause au principal […] soient en partie visées par les positions 1515 et 1517 de la nc ne s’oppose pas à leur classement sous la position 2106 ». Ce faisant, la Cour signifie que la simple présence d’une matière relevant d’un chapitre spécifique ne suffit pas à y attirer l’ensemble du produit composite. Les positions relatives aux huiles et graisses visent ces matières en tant que telles, destinées à des usages variés, et non des produits élaborés pour une consommation humaine spécifique et dosée. Le classement dans le chapitre 15 aurait ainsi occulté la transformation et la finalité qui caractérisent les gélules en cause.
**B. La consécration du conditionnement comme élément déterminant du caractère du produit**
L’apport principal de l’arrêt réside dans l’analyse du rôle de la gélule. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la nature de cette enveloppe, se demandant si elle pouvait être considérée comme un simple emballage au sens de la règle générale d’interprétation 5 b). La réponse de la Cour est sans équivoque et fonde sa solution. Elle affirme que « l’enveloppe permettant de contenir les huiles en cause au principal n’est pas un «emballage» au sens de la règle générale 5 ».
La Cour va plus loin en précisant que « ce mode de présentation des huiles en cause au principal est un élément déterminant qui révèle leur fonction de complément alimentaire, puisqu’il détermine le dosage des préparations alimentaires, leur mode d’absorption et le lieu dans lequel elles sont censées entrer en action ». L’enveloppe et son contenu forment ainsi un tout indissociable qui confère au produit son caractère essentiel. La gélule n’est pas un contenant neutre ; elle est un vecteur qui conditionne l’usage et la perception du produit en tant que complément alimentaire à dose unitaire. Cette interprétation finaliste dépasse la distinction physique entre contenant et contenu pour s’attacher à l’unité fonctionnelle de la marchandise.
En établissant que la fonction et la présentation du produit priment sur sa composition brute, la Cour justifie logiquement son rattachement à la catégorie des préparations alimentaires, par une application rigoureuse des règles de hiérarchie des positions.
**II. La consolidation de la position 2106 comme catégorie spécifique des compléments alimentaires**
La solution retenue par la Cour a pour effet de renforcer la position 2106 en tant que position d’accueil pour les compléments alimentaires et de clarifier la frontière avec d’autres catégories de produits, apportant ainsi une sécurité juridique appréciable.
**A. L’application du principe de spécialité au profit des préparations alimentaires**
Pour asseoir sa décision, la Cour recourt à la règle générale d’interprétation 3 a), qui énonce que « la position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d’une portée plus générale ». Appliquant ce principe au cas d’espèce, elle juge que les marchandises relèvent de la position 2106, celle-ci étant « plus spécifique que les positions 1515 et 1517 de la nc ».
Cette spécificité découle directement de l’analyse menée dans la première partie du raisonnement. Alors que le chapitre 15 décrit des matières premières ou des produits de première transformation de manière générale, la position 2106 vise des « préparations alimentaires », ce qui implique une élaboration et une destination particulières non couvertes par d’autres positions. Le produit, en tant que complément alimentaire conditionné en gélule pour une consommation humaine dosée, correspond précisément à la définition d’une préparation alimentaire et non à celle d’une simple huile. Le critère de la spécificité permet ainsi de résoudre le conflit de classement en faveur de la position qui décrit le plus précisément et le plus complètement la marchandise dans sa globalité.
**B. La clarification de la frontière entre aliments, compléments et médicaments**
Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est notable. Il contribue à délimiter plus clairement le classement des compléments alimentaires, un marché en pleine expansion. La Cour prend soin de distinguer les produits en cause des médicaments, en relevant qu’un classement dans le chapitre 30 n’est pas envisageable car ils « ne poursuivent pas de buts thérapeutiques ou prophylactiques ». Cette distinction est fondamentale, car elle conditionne non seulement le régime tarifaire mais aussi la réglementation applicable.
De plus, en s’appuyant sur un règlement de classement postérieur qui abonde dans le même sens, la Cour inscrit sa décision dans une logique d’harmonisation de l’interprétation de la nomenclature combinée. L’arrêt fournit ainsi aux opérateurs économiques et aux administrations douanières un critère clair : un produit composé d’une substance alimentaire, mais présenté sous une forme dosée qui détermine son usage en tant que complément destiné au bien-être, doit être considéré comme une préparation alimentaire relevant de la position 2106. La valeur de cette décision réside dans la sécurité juridique qu’elle offre pour la classification de produits composites similaires.