Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2015, n°C-454/13

Par un arrêt en date du 17 décembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des limitations que le droit de l’Union impose à la faculté des États membres de prélever des taxes et redevances dans le secteur des communications électroniques.

En l’espèce, une commune belge avait institué une taxe annuelle sur les antennes de téléphonie mobile installées sur son territoire. Le règlement communal prévoyait que cette taxe était due solidairement par toute personne détenant un droit réel ou d’exploitation sur une telle antenne. Un opérateur de télécommunications, propriétaire et exploitant d’antennes sur le territoire de la commune, s’est vu réclamer le paiement de cette taxe pour l’exercice 2009. Après le rejet de sa réclamation administrative, l’opérateur a contesté cet assujettissement devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il soutenait que cette taxe locale était incompatible avec la directive 2002/20/CE, dite « autorisation », qui encadre de manière exhaustive les charges pécuniaires pouvant être imposées aux entreprises du secteur. La commune arguait pour sa part que la taxe, constituant un impôt sur une activité économique, n’entrait pas dans le champ d’application de ladite directive.

Saisi du litige, le tribunal de première instance de Bruxelles a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si les articles 12 et 13 de la directive « autorisation » doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’instauration par une collectivité locale, à des fins budgétaires, d’une taxe sur les infrastructures de communications mobiles. La Cour a répondu que les dispositions de la directive ne s’opposent pas à l’établissement d’une telle taxe, dès lors que son fait générateur n’est pas lié à la procédure d’autorisation permettant la fourniture de réseaux et de services.

La solution de la Cour repose sur une interprétation stricte du champ d’application de la directive (I), ce qui a pour conséquence de préserver une autonomie fiscale significative au profit des autorités locales (II).

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I. L’exclusion de la taxe locale du champ d’application de la directive « autorisation »

La Cour de justice justifie sa solution en démontrant que la taxe litigieuse ne correspond ni aux taxes administratives visées par l’article 12 de la directive (A), ni aux redevances pour droits d’utilisation ou d’installation de ressources prévues à l’article 13 (B).

A. Le rejet de la qualification de taxe administrative au sens de l’article 12

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le cadre réglementaire de l’Union harmonise de manière exhaustive les taxes et redevances que les États membres peuvent percevoir en lien avec la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques. Toutefois, pour qu’une imposition relève de ce cadre, son fait générateur doit être directement lié à la procédure d’autorisation générale. C’est ce que la Cour souligne en affirmant que « pour que les dispositions de la directive ‘autorisation’ soient applicables à une taxe telle que celle en cause au principal, le fait générateur de celle-ci doit être lié à la procédure d’autorisation générale ». Or, la taxe en cause est imposée non pas en contrepartie de l’octroi d’un droit de fournir des services de télécommunications, mais en raison de la simple présence physique d’une infrastructure sur le territoire communal.

Le redevable de la taxe n’est pas nécessairement l’opérateur titulaire de l’autorisation générale. Le règlement communal vise en effet « toute personne physique ou morale qui est titulaire d’un droit réel ou d’un droit d’exploitation sur une antenne ». Cette formulation découple entièrement l’imposition du régime d’autorisation sectoriel, ce qui suffit à l’exclure du champ d’application de l’article 12 de la directive, qui ne concerne que les charges administratives couvrant les frais de gestion du régime d’autorisation. La taxe litigieuse, fondée sur la détention d’un bien et non sur une permission administrative, ne pouvait donc être qualifiée de taxe administrative.

B. Le rejet de la qualification de redevance pour un droit de mettre en place des ressources au sens de l’article 13

L’opérateur soutenait également que la taxe pouvait s’analyser comme une redevance pour le droit de mettre en place des ressources, au sens de l’article 13 de la directive. Cette disposition permet aux États membres de soumettre à redevance les droits d’installation d’infrastructures, afin d’assurer une utilisation optimale de l’espace public ou privé. La Cour écarte cette analyse en opérant une distinction subtile mais décisive entre le droit de « mettre en place des ressources » et la simple existence de ces ressources une fois installées.

Elle précise que les termes de l’article 13 « renvoient, respectivement, aux infrastructures matérielles permettant la fourniture de réseaux et de services de communications électroniques et à leur mise en place matérielle sur les propriétés publiques ou privées concernées ». La taxe litigieuse ne rémunère pas l’octroi d’un droit d’installation, mais frappe une infrastructure déjà existante. Le fait générateur n’est pas l’acte d’installer l’antenne, mais le fait d’en être propriétaire ou d’en détenir un droit d’exploitation à un moment donné. Par conséquent, cette taxe ne présente pas les caractéristiques d’une redevance imposée « en contrepartie du droit de mettre en place des ressources ». En la dissociant de la procédure d’installation, la Cour confirme son extériorité au système de charges harmonisées par la directive.

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II. La portée de la solution : la préservation de l’autonomie fiscale des collectivités locales

En jugeant que la taxe communale échappe au champ d’application de la directive « autorisation », la Cour consacre la persistance d’une compétence fiscale résiduelle au profit des autorités locales (A), bien que cette solution puisse générer des risques de fragmentation pour le marché intérieur des communications électroniques (B).

A. L’affirmation d’une compétence fiscale résiduelle des autorités locales

La décision commentée confirme que la directive « autorisation » n’a pas pour objet d’interdire toute forme d’imposition générale pesant sur les opérateurs de télécommunications. Son objectif est bien plus circonscrit : il vise à empêcher que les États membres n’utilisent les procédures d’autorisation pour créer des barrières financières à l’entrée du marché. En dehors de ce périmètre, qui se limite aux charges directement liées à l’autorisation de fournir des services ou au droit d’installer des infrastructures, la compétence fiscale de droit commun des États et de leurs démembrements demeure intacte.

Cette solution s’inscrit dans le respect du principe de l’autonomie fiscale des États membres, qui ne peut être limité que par des dispositions expresses et d’interprétation stricte du droit de l’Union. En l’absence d’harmonisation des impôts locaux portant sur les biens ou les activités économiques, une commune reste libre d’imposer une antenne de téléphonie mobile comme elle pourrait imposer un panneau publicitaire ou une autre installation technique. La Cour réaffirme ainsi que les objectifs de la directive, à savoir la facilitation de la fourniture de services de communications électroniques, ne sauraient conduire à une exonération fiscale générale des opérateurs qui ne serait pas explicitement prévue par les textes.

B. Les limites et les risques d’une fiscalité locale fragmentée

Si la solution est juridiquement fondée sur une lecture rigoureuse de la directive, sa portée pratique mérite une analyse critique. En validant la possibilité pour les collectivités locales d’instaurer des taxes sur les infrastructures de téléphonie mobile, la Cour ouvre la voie à une multiplication potentielle de charges fiscales hétérogènes à travers le territoire de l’Union. Une telle fragmentation fiscale est susceptible d’alourdir les coûts d’exploitation des opérateurs et de complexifier leurs stratégies d’investissement et de déploiement des réseaux.

Ce phénomène pourrait indirectement créer des obstacles au développement du marché unique des communications électroniques, dont la promotion constitue pourtant l’un des objectifs fondamentaux du cadre réglementaire européen. Alors que la directive « autorisation » vise à créer un environnement réglementaire prévisible et cohérent, la prolifération de taxes locales diverses pourrait introduire une forme d’insécurité juridique et financière. La décision illustre ainsi la tension persistante entre la volonté d’intégration du marché intérieur et le respect nécessaire des compétences fiscales nationales et locales, dont la conciliation demeure un défi majeur pour le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
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