Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les biens exportés par des voyageurs non établis dans l’Union. En l’espèce, un particulier non résident avait acquis des biens sur le territoire de l’Union en vue de les revendre à des fins commerciales dans un État tiers. Le vendeur, un assujetti à la taxe, avait émis un document permettant à l’acquéreur de bénéficier de l’exonération prévue pour les biens transportés dans les bagages personnels des voyageurs. L’administration fiscale nationale, ayant constaté la finalité commerciale de l’opération, a remis en cause le bénéfice de cette exonération.
Le litige a conduit la juridiction nationale à interroger la Cour sur l’interprétation des dispositions pertinentes de la directive 2006/112/CE. Il s’agissait de déterminer si l’exonération spécifique aux voyageurs pouvait s’appliquer à des biens destinés au commerce. La question se posait également de savoir si, en cas de refus, l’administration fiscale devait d’office examiner si l’exonération générale pour les exportations était applicable, même en l’absence des formalités douanières requises. Enfin, la Cour était invitée à statuer sur les conséquences de la mauvaise foi de l’assujetti, qui avait sciemment utilisé un formulaire inapproprié, sur son droit à une quelconque exonération.
La Cour juge que l’exonération pour les « biens à emporter dans les bagages personnels de voyageurs » ne s’applique pas aux biens destinés à une activité commerciale. Elle affirme cependant que, lorsque les biens ont effectivement quitté le territoire de l’Union, l’administration doit examiner si l’exonération pour exportation peut être accordée, nonobstant l’omission des formalités initiales. Enfin, elle précise que la mauvaise foi du vendeur ne peut justifier un refus automatique de l’exonération dès lors que les conditions de fond de l’exportation sont remplies et qu’aucune fraude n’est établie.
L’arrêt clarifie ainsi la finalité respective des régimes d’exonération à l’exportation (I), tout en subordonnant la sanction de la mauvaise foi au respect des principes fondamentaux du droit de l’Union (II).
I. La distinction des régimes d’exonération à l’exportation
La Cour de justice rappelle d’abord l’interprétation stricte qui doit prévaloir pour l’exonération attachée aux bagages des voyageurs (A), avant de consacrer la primauté de la réalité matérielle de l’exportation sur les formalités initialement choisies (B).
A. Le rappel d’une interprétation stricte de l’exonération pour les voyageurs
La décision énonce sans ambiguïté que l’exonération prévue à l’article 147 de la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne vise pas les biens qu’un particulier « emporte avec lui en dehors de l’Union européenne à des fins commerciales, en vue de leur revente dans un État tiers ». Cette solution repose sur une interprétation téléologique du texte, lequel vise à faciliter le tourisme et les achats personnels des non-résidents, et non à couvrir des transactions commerciales. La Cour opère ainsi une distinction nette entre le régime spécifique des voyageurs et celui, plus général, des exportations commerciales.
Cette lecture restrictive est conforme à la nature des exonérations en matière de TVA, qui, en tant qu’exceptions au principe général d’imposition de toute livraison de biens effectuée à titre onéreux, sont d’interprétation stricte. La finalité de l’achat devient donc le critère déterminant pour l’application de ce régime dérogatoire. En excluant les biens destinés à la revente, la Cour confirme que l’intention de l’acquéreur, et non seulement son statut de voyageur, est une condition de fond de ce dispositif. La solution préserve la cohérence du système commun de TVA en orientant les opérations commerciales vers le régime d’exonération qui leur est propre, celui de l’article 146, paragraphe 1, sous b), de la directive.
B. L’application subsidiaire de l’exonération pour les exportations
L’arrêt ne se limite pas à ce constat de non-conformité. Il précise que si l’exonération spécifique aux voyageurs est écartée, l’administration fiscale est tenue d’examiner si les conditions d’une autre exonération, celle pour les exportations, sont remplies. Cette obligation s’impose alors même que les formalités douanières correspondantes n’ont pas été accomplies et que l’intention initiale de l’acquéreur ne portait pas sur ce régime. La Cour fait ainsi prévaloir la substance sur la forme : le fait essentiel est que les biens ont physiquement été transportés en dehors du territoire de l’Union.
Cette approche pragmatique garantit le respect du principe de neutralité fiscale qui sous-tend le système de la TVA. Une livraison de biens destinés à être consommés en dehors de l’Union ne doit pas être grevée de la TVA de l’Union. Le fait que l’assujetti ou l’acquéreur ait initialement suivi une procédure incorrecte ne doit pas conduire à imposer une opération qui, sur le fond, constitue une exportation exonérée. La Cour admet donc une forme de régularisation a posteriori, obligeant l’administration à une analyse complète de la situation factuelle avant de procéder à un redressement fiscal.
II. L’encadrement de la sanction de la mauvaise foi de l’assujetti
La Cour de justice poursuit son raisonnement en posant des limites claires au refus d’exonération fondé sur la mauvaise foi du vendeur (A), tout en réservant les hypothèses de fraude avérée ou d’impossibilité probatoire (B).
A. La sanction de la mauvaise foi encadrée par le principe de neutralité fiscale
La troisième clarification apportée par l’arrêt est essentielle : les principes de neutralité fiscale et de proportionnalité s’opposent à ce qu’une administration fiscale « refuse automatiquement à un assujetti le bénéfice de l’exonération » au seul motif qu’il a agi de mauvaise foi en utilisant un formulaire inapproprié. La Cour considère qu’une telle sanction serait disproportionnée si les conditions matérielles de l’exportation sont par ailleurs satisfaites. La mauvaise foi, si elle peut justifier certaines pénalités, ne saurait à elle seule faire obstacle à un droit à exonération découlant directement de la nature de l’opération.
Ce faisant, la Cour distingue la simple manœuvre destinée à simplifier une procédure de la participation active à une fraude. L’établissement d’un document inexact quant au régime applicable ne suffit pas à caractériser une fraude portant atteinte au fonctionnement du système commun de la TVA. Tant que la sortie effective des biens du territoire de l’Union est démontrée, l’objectif fondamental de l’exonération à l’exportation est atteint. Le refus de l’exonération constituerait alors une sanction excédant ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception de la taxe et prévenir l’évasion fiscale.
B. Le refus de l’exonération conditionné à l’impossibilité de la preuve ou à la fraude
La protection accordée à l’assujetti de bonne ou de mauvaise foi n’est cependant pas absolue. La Cour tempère sa position en rappelant deux situations dans lesquelles le refus d’exonération demeure justifié. Premièrement, le bénéfice de l’exonération doit être refusé si la violation d’une exigence formelle « a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine » que les biens ont bien quitté l’Union. La charge de la preuve de l’exportation repose en dernier lieu sur l’assujetti, et le non-respect des formalités peut rendre cette preuve impossible.
Deuxièmement, l’exonération est légitimement refusée s’il est établi que l’assujetti « savait ou aurait dû savoir que l’opération en cause était impliquée dans une fraude mettant en péril le fonctionnement du système commun de la TVA ». Cette seconde limite renvoie à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les justiciables ne sauraient se prévaloir d’une norme du droit de l’Union dans un but frauduleux. L’arrêt maintient ainsi une ligne de démarcation claire entre l’irrégularité formelle, même intentionnelle, et la participation consciente à un montage destiné à éluder l’impôt.