Cour de justice de l’Union européenne, le 17 décembre 2020, n°C-801/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 17 décembre 2020, interprète les exonérations de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux opérations financières. Le litige trouve son origine dans un redressement fiscal visant une société commerciale ayant mis des fonds à la disposition d’une enseigne de vente au détail. Entre 2013 et 2017, le contribuable obtenait des liquidités auprès de sociétés d’affacturage en leur transmettant des billets à ordre émis par son partenaire commercial. Les sommes étaient immédiatement reversées au bénéficiaire initial contre une commission de un pour cent, le contribuable garantissant personnellement le remboursement final des titres. L’administration fiscale a contesté l’exonération de cette rémunération, y voyant un service de recouvrement de créances plutôt qu’une opération de crédit ou de financement. La juridiction nationale s’interroge sur la possibilité d’appliquer les exonérations de la directive à ce montage complexe impliquant un opérateur n’appartenant pas au secteur bancaire. La Cour juge que la mise à disposition de fonds contre rémunération constitue une prestation exonérée, indépendamment de la forme contractuelle ou du statut du prestataire.

I. L’identification d’une prestation financière unique exonérée La Cour précise que lorsqu’une opération comporte un faisceau d’éléments, il convient de prendre en considération toutes les circonstances pour déterminer l’existence d’une prestation unique. L’objectif économique global consistait ici à satisfaire les besoins en capitaux d’un partenaire incapable d’emprunter directement auprès des institutions financières classiques en raison de son endettement. Les différentes étapes contractuelles sont « si étroitement liées qu’elles forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable, dont la division revêtirait un caractère artificiel ». La mise à disposition effective des fonds constitue la prestation principale, tandis que la transmission des titres et la garantie de paiement revêtent un caractère purement accessoire.

A. La conception extensive de la notion d’octroi de crédit L’exonération prévue par le droit de l’Union doit s’appliquer en fonction de la nature du service fourni et non selon la qualité spécifique du prestataire. La Cour rappelle que « l’expression octroi et négociation de crédits figurant à ladite disposition doit être interprétée largement » afin de garantir l’égalité entre les assujettis. La circonstance que le contribuable ne soit pas un établissement financier n’exclut pas la qualification d’opération financière dès lors qu’il y a mise à disposition de capital. Cette activité s’analyse comme « la mise à disposition d’un capital contre rémunération », peu importe que le remboursement final soit effectué entre les mains d’un tiers. La commission perçue représente la contrepartie directe du financement accordé, justifiant l’application du régime d’exonération propre aux activités de prêt et de crédit.

B. L’inclusion des opérations portant sur les effets de commerce La solution repose également sur la reconnaissance des billets à ordre comme des instruments de paiement dont le fonctionnement implique nécessairement un transfert de fonds. Ces titres sont qualifiés d’« autres effets de commerce » car ils obligent contractuellement l’émetteur à verser une somme déterminée au détenteur légitime lors de l’échéance. Le transfert de ces instruments vers un cessionnaire permet au contribuable de remplir les fonctions essentielles d’une opération financière exonérée au sens de la directive. Les flux financiers réels doivent l’emporter sur les qualifications juridiques parfois ambiguës données par les parties dans leurs conventions privées pour organiser le financement.

II. La prééminence du droit de l’Union sur les pratiques nationales L’arrêt souligne que la qualification d’une opération au regard de la taxe sur la valeur ajoutée dépend de sa substance économique plutôt que de sa forme. Cette approche permet d’écarter les interprétations restrictives des administrations nationales qui chercheraient à taxer des services financiers sous prétexte d’un manque de formalisme bancaire. La Cour protège ainsi l’application uniforme des exonérations en refusant que des critères techniques ou locaux viennent fragmenter le système commun de la taxe. Le juge européen privilégie une analyse globale des relations d’affaires pour garantir que chaque prestation soit imposée ou exonérée selon sa véritable nature économique.

A. La primauté de la réalité économique sur le formalisme contractuel La Cour affirme que la « réalité économique et commerciale constitue un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA » par opposition aux désignations contractuelles. L’argumentation de l’administration fiscale assimilant l’opération à un recouvrement de créances est rejetée car le contribuable n’agissait pas pour le compte du factor. L’éventuel contournement d’une réglementation bancaire nationale interdisant certains prêts est sans incidence sur le bénéfice de l’exonération fiscale prévue par le droit européen. La neutralité fiscale s’oppose en effet à une différenciation généralisée entre les transactions licites et les transactions illicites pour la détermination de l’assiette.

B. La portée de la décision pour les circuits de financement alternatifs Cette jurisprudence confirme que les opérations de financement réalisées entre entreprises commerciales peuvent bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les crédits bancaires traditionnels. La Cour valide la reconnaissance de schémas de financement atypiques dès lors qu’ils remplissent les fonctions essentielles d’un octroi de crédit ou d’un transfert d’effets. Cette solution offre une sécurité juridique accrue aux opérateurs économiques utilisant l’affacturage inversé ou la circulation de billets à ordre pour soutenir leur trésorerie. L’arrêt limite ainsi le pouvoir des États membres de restreindre les exonérations financières par une interprétation trop rigide des catégories juridiques de la directive.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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