Par un arrêt en date du 17 février 2005, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’une demande de décision préjudicielle par le Giudice di pace di Genova-Voltri, s’est prononcée sur la compatibilité d’une taxe communale sur la publicité avec plusieurs dispositions du droit communautaire. En l’espèce, une société établie en France avait chargé une société italienne de réaliser une campagne d’affichage publicitaire sur le territoire d’une commune italienne. Un litige est né entre les deux entreprises concernant le refus par la société française de rembourser le montant de la taxe communale sur la publicité, acquittée par le prestataire italien. La société française soutenait que la législation nationale instituant cette taxe était contraire à la libre prestation de services et aux règles de concurrence du traité. Saisie du litige, la juridiction italienne a adressé une première demande de décision préjudicielle à la Cour, que cette dernière a déclarée irrecevable pour manque de précisions. La juridiction de renvoi a alors formulé une seconde demande, mieux circonstanciée, interrogeant la Cour sur la conformité de la taxe au regard des articles 49, 82, 86, 87 et 88 du traité CE. Le problème de droit soulevé consistait à déterminer si une taxe communale sur la publicité, perçue indistinctement pour toute campagne d’affichage sur le territoire d’une commune, constitue une entrave à la libre prestation de services ou une mesure contraire aux règles de la concurrence et des aides d’État. Dans sa décision, la Cour a déclaré irrecevables les questions relatives au droit de la concurrence et aux aides d’État, en raison d’un cadre factuel insuffisamment détaillé. Elle a cependant jugé que la taxe en cause n’était pas contraire à l’article 49 CE, car elle ne constituait pas une restriction à la libre prestation des services.
La décision commentée se distingue par une approche rigoureuse de la procédure préjudicielle, qui conduit à une irrecevabilité partielle des questions posées, rappelant ainsi les obligations pesant sur le juge national (I). Sur le fond, elle apporte un éclairage sur l’application du principe de libre prestation de services aux mesures fiscales locales, en validant la compatibilité de la taxe avec le marché commun (II).
I. La rigueur procédurale du renvoi préjudiciel en matière de concurrence
La Cour de justice adopte une position stricte quant aux conditions de recevabilité des questions préjudicielles, particulièrement en droit de la concurrence. Cette exigence se manifeste par le rejet des questions qui ne sont pas étayées par un exposé factuel suffisant (A), ce qui constitue un rappel à l’ordre implicite adressé à la juridiction de renvoi quant à son office (B).
A. L’irrecevabilité des questions tenant à l’insuffisance du cadre factuel
La Cour écarte une partie significative de la demande préjudicielle au motif que la décision de renvoi ne fournit pas les éléments de fait nécessaires à une analyse pertinente au regard du droit de la concurrence. Elle rappelle que « l’exigence de précision quant au contexte factuel et réglementaire vaut particulièrement dans le domaine de la concurrence qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes ». En ce qui concerne l’application des articles 82 et 86 CE, la Cour constate que la juridiction nationale s’est bornée à affirmer l’existence d’une position dominante de la commune, sans apporter de preuves concrètes. Le juge de renvoi n’a pas procédé à la délimitation du marché pertinent, ni en termes de produits ni en termes géographiques, et n’a fourni aucune information sur les parts de marché des opérateurs. Or, la Cour souligne que « la délimitation du marché pertinent en termes de produit et d’aire géographique, ainsi que le calcul des parts de marché détenues par les différentes entreprises qui opèrent sur ce marché, constituent le point de départ de toute appréciation d’une situation au regard du droit de la concurrence ».
De même, concernant les articles 87 et 88 CE relatifs aux aides d’État, la Cour relève le manque de précisions sur l’affectation des recettes issues de la taxe. Il est impossible de déterminer si ces fonds financent le service public d’affichage en créant un avantage pour une entreprise spécifique ou s’ils abondent le budget général de la commune. Faute de ces éléments essentiels, la Cour se trouve dans l’incapacité de fournir une réponse utile, ce qui la conduit à déclarer les questions irrecevables.
B. Le rappel à l’ordre du juge national quant à son office
En déclarant les questions irrecevables pour la seconde fois dans cette même affaire, la Cour adresse un message clair aux juridictions nationales. La coopération instaurée par le mécanisme du renvoi préjudiciel impose au juge national de ne pas se contenter de poser une question abstraite, mais de fournir à la Cour un dossier complet. Il doit exposer les faits, le cadre réglementaire et les raisons précises qui le poussent à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union. Ce faisant, le juge national doit effectuer un premier travail de qualification juridique et de présentation des faits qui permettra à la Cour d’exercer sa propre compétence. En matière de concurrence, ce devoir est renforcé. Le juge national ne peut se décharger sur la Cour de la tâche d’analyser le marché, d’identifier les acteurs et de calculer les parts de marché.
Cette décision illustre donc parfaitement la répartition des rôles entre le juge national, juge de droit commun de l’application du droit de l’Union, et la Cour de justice, interprète suprême de ce même droit. L’utilité de la réponse préjudicielle dépend directement de la qualité de la question posée et de son contexte. En refusant de répondre à des questions insuffisamment étayées, la Cour préserve non seulement l’efficacité de son propre travail mais aussi la cohérence du système juridictionnel de l’Union.
Après avoir écarté les questions relatives au droit de la concurrence, la Cour examine la seule question jugée recevable, portant sur la compatibilité de la taxe avec la libre prestation de services.
II. La conformité de la taxe locale au principe de libre prestation de services
La Cour conclut que la taxe communale sur la publicité ne constitue pas une restriction à la libre prestation de services. Son raisonnement repose sur l’analyse du caractère non discriminatoire et de l’impact limité de la mesure fiscale (A), ce qui a pour effet de préserver une sphère d’autonomie fiscale pour les collectivités locales (B).
A. L’absence de restriction caractérisée par une mesure fiscale non discriminatoire
La Cour examine la taxe italienne à l’aune de l’article 49 CE, qui exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle même une mesure applicable indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres peut constituer une restriction si elle est « de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre ». Cependant, en l’espèce, la Cour juge que tel n’est pas le cas. Elle relève d’abord que la taxe est perçue sans aucune distinction fondée sur le lieu d’établissement du prestataire ou du destinataire, ou sur l’origine des produits et services faisant l’objet de la publicité. La mesure est donc dépourvue de tout caractère discriminatoire, direct ou indirect.
Ensuite, et de manière décisive, la Cour évalue l’effet concret de la taxe sur le marché. Elle constate que son champ d’application est limité aux activités publicitaires extérieures qui impliquent une utilisation de l’espace public géré par la commune. De plus, son montant est qualifié de « modeste par rapport à la valeur des prestations de services qui lui sont assujetties ». Dans ces conditions, la Cour conclut que « la perception d’une telle taxe n’est, en tout état de cause, pas de nature à prohiber, gêner ou rendre autrement moins attrayantes les prestations de services publicitaires », y compris lorsque celles-ci présentent un caractère transfrontalier.
B. La préservation de l’autonomie fiscale des collectivités locales
En validant la taxe italienne, la Cour reconnaît implicitement la légitimité de l’exercice par les États membres et leurs collectivités locales de leur compétence fiscale, pour autant que celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales garanties par le traité. Une mesure fiscale n’est pas, par sa seule existence, une entrave au marché commun. Pour être qualifiée de restriction, elle doit présenter un lien suffisamment caractérisé avec la restriction des échanges intracommunautaires, soit par son caractère discriminatoire, soit par son effet dissuasif sur les opérateurs économiques.
La portée de cet arrêt réside dans cette approche pragmatique. La Cour ne se contente pas d’une analyse théorique, mais évalue l’impact réel de la taxe. Le fait que son montant soit modeste et qu’elle soit liée à l’occupation du domaine public local sont des éléments qui justifient sa compatibilité avec le droit de l’Union. Cette solution permet de tracer une ligne de partage entre les mesures fiscales nationales qui entravent véritablement le marché intérieur et celles qui, relevant de l’autonomie fiscale des États, n’ont qu’un effet trop aléatoire et indirect pour être considérées comme des restrictions prohibées. L’arrêt confirme ainsi que les libertés de circulation ne sauraient aboutir à la suppression de toute charge fiscale ou réglementaire imposée par les autorités locales dans l’exercice de leurs compétences.