Cour de justice de l’Union européenne, le 17 janvier 2018, n°C-363/16

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser les contours de l’obligation de récupération des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur, particulièrement lorsqu’elle vise une entreprise en état de faillite. En l’espèce, une société avait bénéficié d’une aide d’État sous forme de garantie et de rééchelonnement de dettes sociales, aide que la Commission européenne a, par une décision du 22 février 2012, déclarée incompatible avec le marché intérieur. Cette décision ordonnait à l’État membre concerné de procéder à la récupération de l’aide dans un délai de quatre mois. L’entreprise bénéficiaire a été déclarée en faillite le 19 juillet 2012, soit après l’expiration du délai imparti pour la récupération. L’État membre a inscrit ses créances au passif de la faillite postérieurement à cette échéance et a, par la suite, suspendu la procédure de mise aux enchères des actifs de l’entreprise afin d’examiner une possible reprise de son activité.

Estimant que l’État membre n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de sa décision, la Commission a introduit un recours en manquement sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle soutenait que la récupération n’avait pas été effective dans le délai prescrit et que l’obligation d’information n’avait pas été respectée. L’État membre rétorquait avoir satisfait à ses obligations en provoquant la faillite de l’entreprise et en inscrivant sa créance au passif, considérant que la cessation de l’activité de l’entreprise mettait fin à la distorsion de concurrence. La question soumise à la Cour portait donc sur les conditions et les délais dans lesquels la mise en faillite d’un bénéficiaire d’aide peut valoir exécution d’une décision de récupération.

La Cour de justice constate le manquement de l’État membre, jugeant que celui-ci n’a pas pris, dans les délais prescrits, toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision de la Commission. Elle rappelle que la seule inscription de la créance au passif d’une entreprise en faillite ne suffit à satisfaire l’obligation de récupération que si elle est effectuée dans le délai imparti par la décision. La Cour considère que toutes les mesures prises après l’expiration de ce délai sont inopérantes pour apprécier l’existence du manquement. Elle relève également le non-respect par l’État de son obligation d’information envers la Commission. La Cour réaffirme ainsi avec fermeté les conditions strictes de l’exécution des décisions de récupération (I), avant de sanctionner logiquement les manquements procéduraux de l’État membre (II).

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I. La réaffirmation des exigences d’une exécution effective et immédiate

La Cour rappelle que l’obligation de récupération d’une aide d’État est une obligation de résultat qui doit être exécutée de manière immédiate. Elle précise ainsi que le recours à une procédure de faillite n’est pas en soi une mesure suffisante si elle est tardive (A) et si elle ne garantit pas la suppression définitive de l’avantage concurrentiel (B).

A. L’inefficacité de la procédure de faillite tardivement engagée

La Cour souligne avec constance que la récupération d’une aide illégale doit s’effectuer sans délai, conformément aux procédures nationales, pour autant que celles-ci « permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ». Or, en l’espèce, le point central de l’argumentation de la Cour repose sur la temporalité de l’action de l’État membre. Le délai de quatre mois fixé par la décision de la Commission expirait le 25 juin 2012. Cependant, la déclaration de faillite de l’entreprise bénéficiaire n’est intervenue que le 19 juillet 2012, et les inscriptions des créances relatives à l’aide n’ont été effectuées qu’en août et septembre 2012, puis en février 2013.

La Cour en déduit une conséquence radicale : les mesures prises après la date butoir sont sans pertinence pour juger de l’exécution de la décision. Elle juge en effet que si, à l’expiration du délai imparti, l’État membre n’a pas pris toutes les mesures nécessaires, « il doit, aux fins de la procédure en constatation de manquement […] être considéré que cet État membre a manqué à ses obligations ». Ce faisant, la Cour neutralise l’essentiel de la défense de l’État membre, qui reposait sur des actions certes réelles, mais hors délai. La seule constatation de la tardiveté suffit à caractériser le manquement, indépendamment de la pertinence intrinsèque des mesures adoptées.

B. La liquidation comme condition alternative à une récupération intégrale impossible

Au-delà de la question du délai, la Cour examine les conditions de fond de la récupération dans le cadre d’une faillite. Elle rappelle que si l’inscription de la créance au passif est en principe une mesure acceptable, elle ne suffit que si elle mène à deux issues possibles. La première est la récupération intégrale du montant de l’aide. La seconde, subsidiaire, intervient lorsque cette récupération intégrale est impossible ; dans ce cas, « la procédure de faillite aboutit à la liquidation de l’entreprise, c’est-à-dire à la cessation définitive de son activité ».

Cette précision est essentielle, car elle s’oppose directement à la démarche de l’État membre. En suspendant la procédure de mise aux enchères des actifs pour explorer un plan de relance, l’État a activement empêché la liquidation et la cessation définitive de l’activité. La Cour y voit une violation de l’obligation d’éliminer la distorsion de concurrence. L’objectif n’est pas seulement de récupérer des fonds, mais de s’assurer que l’entreprise, si elle ne peut rembourser, ne continue pas à opérer sur le marché en bénéficiant, même indirectement, des effets de l’aide passée. La tentative de relance, même si elle prévoyait une récupération future, a été interprétée comme une tentative de maintenir artificiellement en vie une entreprise qui aurait dû disparaître du marché.

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II. La sanction du manquement aux obligations de coopération et de transparence

Le manquement de l’État membre n’est pas seulement substantiel, il est aussi procédural. La Cour sanctionne ainsi le défaut de respect des obligations d’information (A), qui traduit un manquement plus large au principe de coopération loyale sur lequel repose le droit de l’Union (B).

A. Le non-respect de l’obligation d’information

La décision de la Commission imposait à l’État membre des obligations d’information claires et assorties de délais précis. L’article 4 de cette décision prévoyait la transmission, dans un délai de deux mois, d’informations sur le montant à récupérer et les mesures envisagées. La Cour constate que l’État membre a manqué à cette première obligation, le délai ayant expiré le 23 avril 2012 sans qu’aucune information ne soit fournie.

De plus, l’État membre était tenu d’informer la Commission de l’avancement des mesures de récupération. La Cour relève que, si des échanges ont eu lieu, l’État a failli à cette obligation en ne notifiant pas au préalable son intention de suspendre la procédure de faillite. La Commission a dû l’apprendre par d’autres canaux et demander des éclaircissements. Ce manque de transparence est jugé inacceptable, car il prive la Commission de sa capacité à surveiller l’exécution de ses décisions et à réagir en temps utile. La dissimulation d’une mesure aussi significative qu’un acte législatif suspendant la procédure de récupération constitue une violation manifeste de l’obligation de tenir la Commission informée.

B. L’irrecevabilité des justifications fondées sur des difficultés internes

À travers sa décision, la Cour rappelle une règle fondamentale du droit de l’Union : un État membre ne peut invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations découlant du droit de l’Union. La suspension de la procédure de faillite a été décidée par un acte de contenu législatif, une mesure souveraine de l’État. Cependant, cette prérogative nationale ne saurait faire échec à l’exécution d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État.

La Cour précise d’ailleurs la conduite qu’aurait dû adopter l’État membre. Confronté à des difficultés, il se devait de « soumettre ces problèmes à l’appréciation de la Commission en proposant des modifications appropriées de la décision en cause ». Cette démarche, fondée sur le principe de coopération loyale de l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, aurait permis un dialogue constructif. En agissant unilatéralement, l’État membre a non seulement violé les termes de la décision de 2012, mais a aussi ignoré les mécanismes de coopération prévus par les traités pour surmonter de telles difficultés. Le manquement est donc autant le résultat d’une inaction dans les délais que d’une action unilatérale inappropriée.

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Hassan KOHEN
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