Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juillet 2008, n°C-207/07

L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, statue sur un recours en manquement intenté par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. En l’espèce, cet État membre avait adopté une législation soumettant à un régime d’autorisation préalable l’acquisition de participations significatives dans les entreprises du secteur de l’énergie. La Commission, après une procédure précontentieuse, a saisi la Cour au motif que ce dispositif national portait une atteinte injustifiée à la libre circulation des capitaux et à la liberté d’établissement, garanties par les articles 56 CE et 43 CE. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre peut, au nom de la sécurité de l’approvisionnement énergétique, imposer un système d’autorisation a priori pour les prises de participation dans des entreprises stratégiques sans violer les libertés fondamentales du marché intérieur. La Cour conclut au manquement, estimant que la législation en cause constitue une restriction aux deux libertés invoquées qui n’est ni justifiée ni proportionnée à l’objectif poursuivi.

I. La double qualification de la restriction aux libertés de circulation

Pour constater le manquement, la Cour s’attache d’abord à qualifier la mesure nationale au regard des libertés de circulation. Elle retient une application cumulative de la liberté de circulation des capitaux et de la liberté d’établissement (A), avant de caractériser sans équivoque le régime d’autorisation préalable comme une restriction à ces libertés (B).

A. L’application cumulative de la liberté de circulation des capitaux et de la liberté d’établissement

Face à l’argumentation de l’État membre qui entendait limiter le litige au seul terrain de la liberté d’établissement, la Cour rappelle sa méthode d’analyse. Elle examine l’objet de la législation en cause pour déterminer le champ d’application des libertés. La législation nationale visait les acquisitions de parts supérieures à 10 % du capital social ou toute autre acquisition conférant une influence significative. La Cour observe à ce sujet qu’« il n’est pas certain que les acquisitions de parts s’élevant à plus de 10 % du capital social d’une société et les acquisitions directes d’actifs permettent toutes d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités ». Par cette analyse, la Cour refuse de présumer que toute acquisition visée par la loi relève de la liberté d’établissement, laquelle suppose la possibilité d’exercer une influence certaine sur la gestion de l’entreprise. Le dispositif national, par son champ d’application large, est donc susceptible de concerner des investissements directs relevant de la libre circulation des capitaux, ainsi que des prises de contrôle relevant de la liberté d’établissement. Cette approche pragmatique permet à la Cour d’exercer un contrôle complet sur la mesure nationale sans se laisser enfermer dans une qualification unique qui pourrait se révéler réductrice.

B. La caractérisation de la restriction induite par le régime d’autorisation préalable

Une fois le champ des libertés applicables délimité, la Cour qualifie le régime d’autorisation préalable de restriction. Elle s’appuie sur une jurisprudence constante selon laquelle « doivent être qualifiées de «restrictions» au sens de l’article 56, paragraphe 1, ce des mesures nationales qui sont susceptibles d’empêcher ou de limiter l’acquisition d’actions dans les sociétés concernées ou qui sont susceptibles de dissuader les investisseurs des autres États membres d’investir dans le capital de celles-ci ». En l’espèce, le mécanisme national subordonnait la validité même de l’opération d’acquisition à l’obtention d’une autorisation administrative. Un tel système, par l’incertitude et les délais qu’il génère, a un effet dissuasif manifeste pour les investisseurs étrangers. Il constitue une entrave directe à la réalisation des opérations d’investissement transfrontalier. La caractérisation de la restriction est donc logiquement établie, tant pour la libre circulation des capitaux que pour la liberté d’établissement, conduisant la Cour à examiner l’éventuelle justification de cette entrave.

II. Le rejet de la justification fondée sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique

L’État membre invoquait la nécessité de garantir la sécurité de son approvisionnement énergétique pour justifier la restriction. La Cour rejette cet argument en appliquant un contrôle strict des dérogations (A) qui la mène à conclure au caractère disproportionné de la mesure nationale (B).

A. L’interprétation stricte de la dérogation tenant à la sécurité publique

La Cour admet en principe que la sécurité d’approvisionnement en énergie peut relever de la sécurité publique. Elle affirme qu’« il ne saurait être nié que l’objectif de garantir la sécurité de l’approvisionnement en énergie, sur le territoire de l’État membre en cause, peut constituer une raison de sécurité publique ». Cependant, elle rappelle aussitôt que les dérogations aux libertés fondamentales doivent être interprétées strictement. La Cour précise que « la sécurité publique ne saurait être invoquée qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». Ce faisant, elle pose une exigence élevée qui ne saurait être satisfaite par des considérations générales ou des risques hypothétiques. Un État membre ne peut se contenter d’invoquer un objectif légitime ; il doit démontrer l’existence d’une menace précise, actuelle et sérieuse pour un intérêt fondamental. Cette approche rigoureuse limite la marge de manœuvre des États et prévient les protectionnismes déguisés.

B. Le caractère inadapté et disproportionné du régime d’autorisation

La Cour procède ensuite à un contrôle de proportionnalité détaillé de la mesure. D’une part, elle juge le régime d’autorisation préalable inadapté à l’objectif poursuivi. Elle estime que « la simple acquisition d’une telle participation ou de tels actifs ne saurait, en principe, être considérée, en soi, comme une menace réelle et suffisamment grave pour la sécurité de l’approvisionnement en énergie ». Le contrôle a priori intervient à un moment où aucune menace ne s’est encore matérialisée et ne garantit en rien la sécurité future. D’autre part, la mesure est jugée disproportionnée. La législation accorde à l’autorité nationale un pouvoir d’appréciation excessivement large, fondé sur des critères vagues. La Cour souligne que « les dispositions fixant les raisons pour lesquelles la [commission nationale de l’énergie] est habilitée à refuser ou à soumettre à certaines conditions une autorisation […] sont rédigées en des termes généraux et imprécis ». Des notions comme les « risques significatifs » ou la « protection de l’intérêt général » ne permettent pas aux investisseurs de connaître à l’avance les conditions applicables et créent une insécurité juridique. La Cour conclut que des mesures moins restrictives, telles que des obligations de service public ou un contrôle a posteriori, auraient pu être envisagées pour atteindre l’objectif de sécurité d’approvisionnement, scellant ainsi le constat de manquement de l’État membre.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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