La Cour de justice des Communautés européennes, dans une décision rendue sur renvoi préjudiciel, a précisé les conditions de compatibilité d’une taxe nationale sur les véhicules d’occasion avec le droit communautaire. En l’espèce, un opérateur économique avait procédé à la vente de plusieurs véhicules d’occasion sur le territoire polonais avant leur première immatriculation dans cet État membre. L’administration fiscale nationale lui a réclamé le paiement d’un droit d’accise, ce que l’opérateur a contesté. Après avoir vu sa réclamation rejetée par les autorités douanières, l’opérateur a saisi le tribunal administratif de la voïvodie de Białystok. Ce dernier, constatant que la législation nationale exonérait de ce droit d’accise les véhicules déjà immatriculés en Pologne, a émis des doutes sur la conformité de cette taxe avec le droit communautaire. Il a donc saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si un droit d’accise frappant la vente de véhicules avant leur première immatriculation constituait une taxe sur le chiffre d’affaires interdite par la sixième directive TVA. D’autre part, il était demandé si une telle imposition, en ne s’appliquant pas aux véhicules d’occasion déjà présents sur le marché national, instaurait une discrimination fiscale prohibée par l’article 90 du traité CE. La Cour a répondu négativement à la première question, estimant que la taxe ne présentait pas les caractéristiques essentielles d’une taxe sur le chiffre d’affaires. Elle a cependant jugé, en réponse à la seconde question, que le droit communautaire s’opposait à une telle taxe si son montant pour un véhicule importé excédait la valeur résiduelle de la taxe incorporée dans un véhicule national similaire. Ainsi, la décision clarifie la distinction entre les accises spécifiques et les taxes de nature générale, tout en réaffirmant fermement le principe de non-discrimination fiscale pour les produits importés.
I. La qualification du droit d’accise au regard du système commun de TVA
La première question posée à la Cour portait sur la nature même de l’imposition litigieuse. En écartant la qualification de taxe sur le chiffre d’affaires, la Cour préserve l’autonomie fiscale des États membres dans le domaine des impositions indirectes spécifiques.
A. Le rejet de la qualification de taxe sur le chiffre d’affaires
La Cour examine la taxe polonaise au prisme des caractéristiques essentielles de la taxe sur la valeur ajoutée, telles que dégagées par sa jurisprudence constante. Pour qu’une taxe soit assimilable à une taxe sur le chiffre d’affaires prohibée par l’article 33 de la sixième directive, elle doit notamment s’appliquer de manière générale aux transactions portant sur des biens ou des services. Or, la Cour constate que le droit d’accise en cause ne remplit pas cette condition fondamentale. Elle relève que cette imposition « ne frappe, selon l’article 80, paragraphe 2, point 1, de la loi de 2004, que des opérations de vente de véhicules automobiles avant leur première immatriculation sur le territoire polonais. » Le champ d’application de la taxe est donc limité à une catégorie de biens spécifique et à un moment précis de leur circulation. Cette spécificité suffit à l’exclure du champ des taxes de nature générale comparables à la TVA. La Cour conclut logiquement que, la première caractéristique essentielle faisant défaut, il n’est pas nécessaire d’examiner les trois autres, à savoir la proportionnalité au prix, la perception à chaque stade et le droit à déduction.
B. La confirmation de l’autonomie des droits d’accise
En jugeant que la taxe litigieuse n’est pas une taxe sur le chiffre d’affaires, la Cour confirme implicitement la liberté pour les États membres d’instituer des droits d’accise ou des taxes spécifiques sur la consommation. L’interdiction posée par l’article 33 de la sixième directive vise à protéger le fonctionnement et l’intégrité du système commun de TVA en empêchant les États de créer des taxes parallèles qui en auraient les mêmes effets et compromettraient l’harmonisation fiscale. Une taxe qui, comme en l’espèce, ne frappe qu’un produit particulier dans une situation déterminée ne menace pas cet édifice commun. Cette solution réaffirme une répartition claire des compétences fiscales : l’Union européenne dispose d’un système harmonisé de TVA, tandis que les États membres conservent la faculté de lever des impôts indirects sur des produits spécifiques, sous réserve du respect des autres dispositions du traité, et notamment celles relatives à la non-discrimination.
II. L’application du principe de non-discrimination fiscale aux véhicules d’occasion
Ayant validé la nature de la taxe, la Cour se penche sur ses modalités d’application au regard de l’article 90 du traité CE. Elle y réaffirme avec force le principe de neutralité fiscale entre produits importés et produits nationaux, en fournissant aux juridictions nationales une méthode d’appréciation concrète.
A. L’affirmation de la neutralité concurrentielle comme critère d’appréciation
La Cour rappelle que l’article 90 du traité CE a pour finalité « d’assurer la libre circulation des marchandises entre les États membres dans des conditions normales de concurrence par l’élimination de toute forme de protection ». En matière de véhicules d’occasion, cela implique de garantir une parfaite neutralité de l’imposition entre les véhicules importés et ceux qui se trouvent déjà sur le marché national. Ces deux catégories de véhicules, dès lors qu’ils sont substituables aux yeux du consommateur, constituent des produits similaires. Le critère décisif n’est pas l’origine du véhicule, mais l’effet de la taxe sur la concurrence. Par conséquent, un régime fiscal qui traite différemment la vente d’un véhicule d’occasion importé et celle d’un véhicule d’occasion déjà immatriculé dans le pays est, par principe, suspect de discrimination. La Cour impose donc une comparaison rigoureuse entre la charge fiscale pesant sur le produit importé et celle pesant sur le produit national concurrent.
B. La prohibition d’une taxation supérieure à la charge fiscale résiduelle
La Cour fournit à la juridiction de renvoi la clé de cette comparaison. Un système fiscal est discriminatoire s’il aboutit à ce que les produits importés soient taxés plus lourdement que les produits nationaux. Pour les véhicules d’occasion, la Cour précise que le montant de l’accise frappant un véhicule importé ne doit pas excéder le montant résiduel de cette même accise incorporé dans la valeur d’un véhicule similaire déjà immatriculé. Un véhicule vendu neuf sur le marché national a supporté une première fois le droit d’accise ; sa valeur de revente sur le marché de l’occasion inclut une part amortie de cette taxe initiale. La Cour énonce clairement que le droit communautaire « s’oppose à un droit d’accise […] dans la mesure où le montant du droit frappant la vente avant la première immatriculation des véhicules d’occasion importés d’un autre État membre excède le montant résiduel du même droit incorporé dans la valeur vénale de véhicules similaires immatriculés auparavant dans l’État membre ». Il appartient ainsi au juge national de vérifier si le mode de calcul de la taxe polonaise, notamment sa possible augmentation avec l’âge du véhicule importé, conduit à une telle surcharge fiscale interdite, rompant la neutralité concurrentielle voulue par le traité.