Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juillet 2008, n°C-448/06

Par un arrêt du 17 juillet 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en première chambre, a précisé l’étendue des pouvoirs de la Commission dans le cadre de la police sanitaire des médicaments vétérinaires. En l’espèce, une société pharmaceutique s’était vu révoquer par l’autorité compétente allemande l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament vétérinaire à base de progestérone, sous sa forme de solution injectable. Cette décision nationale faisait suite à l’adoption du règlement (CE) n° 1873/2003, qui avait inscrit la progestérone à l’annexe II du règlement (CEE) n° 2377/90, mais en limitant son usage à une administration par voie intravaginale. L’inscription à cette annexe II signifie qu’il n’est pas jugé nécessaire de fixer une limite maximale de résidus pour la protection de la santé publique.

Soutenant que la mise sur le marché de son produit n’était pas contraire au droit communautaire, la société a introduit un recours contre la décision de révocation. La juridiction allemande saisie, le Verwaltungsgericht Köln, a alors émis des doutes sur la validité du règlement n° 1873/2003, estimant que la Commission n’était pas habilitée à restreindre le mode d’administration d’une substance inscrite à l’annexe II précitée. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, l’interrogeant sur la validité du règlement en ce qu’il exclut l’utilisation de la progestérone sous forme de solution injectable.

La question posée à la Cour était donc de savoir si la Commission européenne pouvait légalement restreindre les modalités d’administration d’une substance pharmacologiquement active lors de son inscription à l’annexe II du règlement n° 2377/90, et ce, dans un contexte d’incertitude scientifique et d’avis divergents des comités d’experts.

La Cour de justice a répondu par la positive, jugeant que l’examen de la question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement litigieux. Elle considère que la Commission, disposant d’un large pouvoir d’appréciation pour la protection de la santé publique, a pu légitimement limiter l’usage de la progestérone à la seule voie intravaginale afin de prévenir les risques liés à une utilisation abusive, sans méconnaître les exigences du principe de proportionnalité ni les autres dispositions du droit communautaire.

Cet arrêt consacre ainsi l’ampleur du pouvoir d’appréciation dont jouit la Commission dans la gestion des risques sanitaires (I), tout en assurant la cohérence du cadre réglementaire applicable aux médicaments vétérinaires (II).

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I. La consécration d’un large pouvoir d’appréciation de la Commission face à l’incertitude scientifique

La Cour reconnaît à la Commission la faculté de prendre des mesures restrictives fondées sur une approche prudentielle, justifiée par la complexité du dossier et les risques pour la santé publique (A). Cette restriction, loin d’être arbitraire, apparaît comme une application mesurée du principe de proportionnalité (B).

A. Une marge d’appréciation étendue en présence d’avis scientifiques divergents

La Cour rappelle d’emblée que la Commission doit se voir reconnaître « un pouvoir d’appréciation suffisant pour lui permettre de déterminer en toute connaissance de cause les mesures nécessaires et adaptées à la protection de la santé publique ». Ce pouvoir est d’autant plus justifié lorsque le dossier est « particulièrement complexe dans la mesure où il soulève des questions délicates et controversées du point de vue scientifique ». En l’espèce, la progestérone présentait une double facette : une utilisation thérapeutique légitime, mais aussi un risque d’emploi illégal comme stimulateur de croissance.

Face à cette situation, la Commission était confrontée à des avis scientifiques divergents. D’une part, le comité des médicaments vétérinaires (CMV) recommandait une inscription sans restriction à l’annexe II. D’autre part, le comité scientifique des mesures vétérinaires en rapport avec la santé publique (CSMVSP) et d’autres organismes soulignaient les risques potentiels et l’impossibilité d’établir une valeur seuil en l’absence de méthode permettant de distinguer la progestérone endogène de la progestérone exogène. L’arrêt valide la démarche de la Commission qui, sans être liée par l’avis du CMV, a pu légitimement tenir compte de l’ensemble des évaluations scientifiques disponibles pour fonder sa décision sur une base plus large, privilégiant la protection de la santé des consommateurs.

B. Une restriction justifiée par le principe de proportionnalité

La Cour examine ensuite si la mesure adoptée était proportionnée au but visé. Si le règlement n° 2377/90 ne prévoit pas explicitement la possibilité de limiter les modalités d’administration pour une inscription à son annexe II, la Cour juge qu’une telle possibilité n’est pas exclue. Cette approche s’avère particulièrement appropriée pour éviter une solution binaire et disproportionnée qui aurait consisté soit à interdire totalement la substance en l’inscrivant à l’annexe IV, soit à l’autoriser sans réserve malgré les risques.

La Commission a ainsi opéré une balance des intérêts en présence. Elle a constaté que l’administration par voie intravaginale, contrairement à la voie injectable, ne laissait pas de résidus significatifs et potentiellement dangereux après le retrait du dispositif, tout en rendant un détournement à des fins de croissance économiquement irréaliste. La restriction apparaît donc comme la mesure permettant d’assurer la sécurité sanitaire tout en autorisant l’usage thérapeutique de la substance. En validant cette « solution intermédiaire », la Cour confirme que la Commission n’a pas méconnu les limites de son pouvoir d’appréciation et a agi conformément au principe de proportionnalité.

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II. La primauté de la protection de la santé publique dans l’articulation des réglementations

L’arrêt assure la cohérence du droit communautaire en affirmant que le pouvoir de la Commission de fixer les conditions d’inscription d’une substance prime sur les autorisations générales prévues par d’autres textes (A). Il en résulte une clarification de l’interaction entre les différentes directives et règlements applicables en la matière (B).

A. Une interprétation téléologique du règlement sur les limites maximales de résidus

La juridiction de renvoi et la requérante au principal soutenaient que le silence de l’article 3 du règlement n° 2377/90 sur la possibilité de restreindre les modes d’administration valait interdiction d’une telle pratique. La Cour écarte cet argument en adoptant une interprétation finaliste du texte. L’objectif premier du règlement étant de protéger la santé publique, la Commission doit disposer des instruments nécessaires pour atteindre ce but. Limiter ses prérogatives à une simple classification sans pouvoir en moduler les conditions viderait son action de sa substance face à des situations complexes comme celle de la progestérone.

La Cour confirme ainsi que les pouvoirs d’une institution ne se limitent pas à ce qui est expressément formulé, mais incluent également les compétences implicites nécessaires à l’exercice de sa mission. En jugeant que la Commission pouvait légitimement restreindre le mode d’administration, l’arrêt renforce l’effectivité de la police sanitaire communautaire et la place centrale du principe de précaution dans l’interprétation des normes techniques. Cette solution garantit une application du droit qui ne soit pas seulement littérale mais également rationnelle et efficace.

B. L’articulation cohérente avec les dispositions de la directive 96/22/CE

L’un des arguments soulevés était l’apparente contradiction entre la restriction imposée par le règlement n° 1873/2003 et la directive 96/22/CE, qui autorise l’administration de progestérone par injection à des fins thérapeutiques. La Cour résout cette tension en rappelant la hiérarchie des conditions. L’article 4 de la directive 96/22 subordonne en effet toute administration au respect des « prescriptions de mise sur le marché », lesquelles sont aujourd’hui régies par la directive 2001/82/CE.

Or, l’article 6 de cette dernière directive exige, pour toute autorisation de mise sur le marché d’un médicament destiné à des animaux producteurs d’aliments, que ses substances actives figurent aux annexes I, II ou III du règlement n° 2377/90. La Cour en déduit logiquement que l’inscription à l’une de ces annexes, et le respect des conditions qui y sont attachées, constitue un préalable indispensable. Dès lors que la Commission a légitimement limité l’inscription de la progestérone à un usage intravaginal, cette condition s’impose et rend inopérante, pour les autres modes d’administration, la permission générale contenue dans la directive 96/22. Il n’y a donc pas d’incompatibilité, mais une articulation logique où le règlement sur les résidus agit comme un filtre de sécurité en amont de toute autre autorisation.

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Hassan KOHEN
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