Par un arrêt du 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles un chercheur préparant une thèse de doctorat peut être qualifié de travailleur au sens du droit de l’Union. En l’espèce, un doctorant, titulaire d’un contrat de bourse avec une association de droit privé œuvrant pour la promotion des sciences, s’estimait victime d’une discrimination par rapport à ses homologues nationaux. Saisie d’un recours, une juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de savoir si un tel chercheur relevait de la notion de travailleur, si le principe de non-discrimination lui était applicable dans ses relations avec une entité privée, et enfin, comment un éventuel préjudice devait être réparé. La Cour de justice a répondu que la qualification de travailleur dépendait de l’existence d’une prestation de travail effectuée sous la direction d’un institut en contrepartie d’une rémunération, invitant le juge national à vérifier ces éléments. Elle a affirmé qu’une association privée devait respecter le principe de non-discrimination et que la réparation d’un préjudice relevait du droit national de la responsabilité.
Il convient d’analyser les critères de la qualification de travailleur retenus par la Cour (I), avant d’examiner les conséquences juridiques qui en découlent pour le chercheur (II).
I. La définition fonctionnelle de la notion de travailleur
La Cour de justice subordonne la qualification de travailleur du doctorant à la réunion de deux conditions cumulatives, qui relèvent d’une approche factuelle et fonctionnelle de la relation contractuelle. Il s’agit de l’existence d’une prestation de travail subordonnée (A) et du caractère onéreux de cette prestation (B).
A. L’exercice d’une activité sous la direction d’un institut
La Cour énonce que le statut de travailleur suppose que l’activité du chercheur « est exercée, pendant un certain temps, sous la direction d’un institut relevant de cette association ». Par cette formule, elle rappelle que le critère déterminant de la relation de travail est le lien de subordination. Peu importe la qualification formelle du contrat, qu’il soit désigné comme une « bourse » ou autrement. Ce qui importe est la réalité des conditions d’exercice de l’activité. Le juge national est ainsi invité à rechercher si le doctorant était intégré à un service organisé, s’il recevait des instructions ou des directives de la part de l’institut d’accueil, et s’il était soumis à un contrôle sur l’avancement de ses travaux.
Cette approche pragmatique permet de distinguer le simple étudiant, qui poursuit un projet académique de manière autonome, du chercheur dont l’activité, bien que finalisée par une thèse, s’insère dans le cadre d’un projet de recherche défini et supervisé par l’institution qui le finance. La Cour confère ainsi au juge national un pouvoir souverain d’appréciation des faits pour déterminer l’existence concrète d’un lien hiérarchique, critère essentiel et constant de la jurisprudence européenne en matière de libre circulation des travailleurs. L’analyse ne doit donc pas s’arrêter à la nature intellectuelle de la tâche, mais doit porter sur ses modalités organisationnelles.
B. La perception d’une rémunération en contrepartie de l’activité
La Cour ajoute une seconde condition : le chercheur doit percevoir, « en contrepartie de cette activité, […] une rémunération ». Ce critère économique est indissociable du premier. La somme versée au doctorant ne doit pas être une simple aide financière destinée à subvenir à ses besoins durant ses études, mais bien la contrepartie de la prestation fournie au profit de l’institut. La Cour utilise le terme « rémunération », caractéristique du contrat de travail, et non celui de « bourse », qui renvoie davantage à une aide sociale ou académique. Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi de déterminer si les versements effectués avaient le caractère d’un salaire.
Cette analyse implique de vérifier si le montant de la bourse était forfaitaire ou s’il dépendait de la nature ou du volume du travail accompli. La régularité des paiements et leur lien avec l’exécution de tâches spécifiques pour l’institut seront des indices pertinents. La solution de la Cour confirme que la notion de travailleur au sens du droit de l’Union est large et autonome ; elle ne dépend pas des qualifications retenues par les droits nationaux et vise toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion des activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires.
Une fois la qualification de travailleur établie selon ces critères, des conséquences juridiques importantes en découlent, notamment en matière de droits fondamentaux.
II. Les effets attachés à la qualification de travailleur
Si le juge national conclut que le chercheur est un travailleur, celui-ci bénéficiera d’une protection renforcée. Cette protection se manifeste par l’application directe du principe de non-discrimination à son égard (A) et par l’ouverture d’un droit à réparation en cas de violation de ce principe (B).
A. Le respect impératif du principe de non-discrimination
La Cour affirme sans ambiguïté qu’« une association de droit privé […] doit respecter, envers les travailleurs au sens de l’article 39 CE, le principe de non-discrimination ». Cette solution est capitale car elle confirme la portée horizontale de la libre circulation des travailleurs. Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, consacré à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ne s’impose pas seulement aux États membres et aux entités publiques, mais également aux employeurs privés. Une association, même de droit privé, ne peut donc prévoir des conditions de travail, de rémunération ou d’emploi différentes pour les travailleurs nationaux et ceux issus d’autres États membres.
La Cour renvoie au juge national la mission « d’établir si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, il y a eu une inégalité de traitement entre les doctorants nationaux et étrangers ». La charge de la preuve et l’appréciation concrète de la discrimination relèvent de la compétence du juge interne, mais le principe juridique est clairement posé par la Cour de justice. Cette dernière garantit ainsi l’effet utile des dispositions du traité en assurant que les droits qu’elles confèrent aux individus ne soient pas neutralisés dans la sphère des relations privées, notamment professionnelles.
B. La réparation du préjudice selon le droit national
Enfin, s’agissant des suites d’une éventuelle discrimination, la Cour précise que, si un préjudice est établi, « il appartiendrait à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard de la législation nationale applicable en matière de responsabilité non contractuelle, la nature de la réparation ». Cette dernière partie de l’arrêt illustre le principe de l’autonomie procédurale des États membres. Le droit de l’Union énonce le droit substantiel, à savoir le droit de ne pas être discriminé, mais il renvoie aux systèmes juridiques nationaux pour en assurer la sanction effective.
Chaque État membre doit donc prévoir dans son ordre interne les voies de recours nécessaires pour garantir la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Le renvoi à la « législation nationale applicable en matière de responsabilité non contractuelle » indique que la réparation peut être recherchée sur un fondement délictuel ou quasi délictuel si le droit national le permet. Toutefois, cette autonomie procédurale est encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité. Les modalités de réparation ne doivent pas être moins favorables que celles applicables à des recours similaires de nature interne et ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union.