Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juillet 2014, n°C-173/13

Par un arrêt dont la portée est significative, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe en matière de rémunération. En l’espèce, une législation nationale avait instauré un régime de retraite spécifique, incluant une mise à la retraite anticipée et des bonifications de pension. Ces avantages bénéficiaient en pratique à une proportion considérablement plus élevée de travailleurs féminins que de travailleurs masculins. Saisi d’un litige par un travailleur s’estimant lésé par ce dispositif, une juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de déterminer si un tel régime, bien que neutre en apparence, constituait une discrimination indirecte prohibée par l’article 141 du traité CE. La question se posait également de savoir si ces mesures pouvaient être qualifiées d’actions positives au sens du paragraphe 4 de ce même article, visant à compenser les désavantages dans la carrière des femmes. La Cour de justice répond qu’un régime de retraite qui avantage un groupe de travailleurs majoritairement composé de femmes engendre une discrimination indirecte, sauf si la mesure est justifiée par un objectif légitime de politique sociale et est nécessaire et proportionnée. Elle ajoute que de telles mesures ne constituent pas une action positive, car elles n’ont pas pour objet de remédier aux difficultés rencontrées par les femmes durant leur vie professionnelle.

Il convient d’analyser la solution de la Cour en examinant d’une part, la consolidation du contrôle des discriminations indirectes en matière de retraite (I), et d’autre part, l’interprétation restrictive de la notion d’action positive (II).

I. La consolidation du contrôle des discriminations indirectes en matière de retraite

La Cour réaffirme avec clarté que les régimes de pension relèvent du principe d’égalité des rémunérations, ce qui la conduit à appliquer un test de justification rigoureux pour toute différence de traitement (A), tout en contrôlant de manière stricte les justifications avancées par les États membres (B).

A. L’identification d’une discrimination fondée sur une apparence de neutralité

La décision rappelle que la notion de rémunération, au sens de l’article 141 CE, inclut les pensions de retraite. Par conséquent, toute distinction dans ce domaine entre travailleurs masculins et féminins doit être examinée au regard de l’interdiction des discriminations. La Cour se livre à une analyse en deux temps. D’abord, elle constate l’existence d’une différence de traitement. Le fait qu’un avantage soit accordé à un groupe de personnes composé presque exclusivement de femmes suffit à créer une suspicion de discrimination. La mesure, bien que formulée de manière neutre, produit des effets disparates au détriment des travailleurs masculins qui en sont largement exclus.

Ensuite, la Cour qualifie cette situation de discrimination indirecte. Elle souligne qu’un régime de bonification ou de retraite anticipée « engendre une discrimination indirecte en matière de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins contraire à cet article ». Cette approche pragmatique, fondée sur les effets concrets de la norme, est constante dans la jurisprudence de la Cour et permet de déjouer les discriminations qui ne sont pas fondées sur un critère directement lié au sexe mais sur des critères qui, en pratique, le sont.

B. La soumission de la mesure à des conditions de justification strictes

Une fois la discrimination présumée établie, la charge de la preuve est renversée. Il appartient à l’auteur de la mesure de démontrer qu’elle est justifiée par des facteurs objectifs. La Cour encadre cette justification par des exigences précises et cumulatives. La mesure doit poursuivre « un objectif légitime de politique sociale » et être « propre à garantir l’objectif invoqué et nécessaire à cet effet ». La simple invocation d’un but, tel que la correction des inégalités de carrière subies par les femmes, ne suffit pas.

La Cour insiste sur la nécessité d’une mise en œuvre effective de l’objectif. La mesure doit répondre « véritablement au souci d’atteindre ce dernier » et être appliquée « de manière cohérente et systématique ». Par cette formule, elle exerce un contrôle de proportionnalité approfondi. Elle vérifie non seulement l’adéquation de la mesure à l’objectif, mais également sa cohérence globale. Un État ne pourrait, par exemple, prétendre vouloir corriger des inégalités par un avantage ponctuel tout en maintenant par ailleurs des règles qui les perpétuent. Cette rigueur garantit que les dérogations au principe d’égalité restent exceptionnelles et solidement motivées.

La qualification de discrimination indirecte étant établie sous réserve d’une justification difficile à rapporter, la Cour examine si le régime ne pouvait pas être sauvé par une autre voie, celle de l’action positive.

II. L’interprétation restrictive de la notion d’action positive

La Cour de justice opère une distinction nette entre les mesures visant à promouvoir l’égalité des chances durant la vie active et celles qui se bornent à accorder des avantages en fin de carrière. Elle rejette la qualification d’action positive pour le régime en cause (A), affirmant ainsi une conception fonctionnelle de ces mesures correctrices (B).

A. Le refus de qualifier d’action positive les avantages de fin de carrière

L’article 141, paragraphe 4, du traité CE permet aux États membres de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques afin de faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou de compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. La Cour interprète cette disposition de manière téléologique, en se concentrant sur sa finalité. Elle juge que « ne relèvent pas des mesures visées à cette disposition des mesures nationales, telles que celles en cause au principal, qui se bornent à permettre aux travailleurs concernés de bénéficier d’une retraite anticipée ».

Pour la Cour, le champ d’application de l’action positive est circonscrit aux obstacles rencontrés par les femmes au cours de leur vie professionnelle active. Il s’agit de mesures qui visent l’accès à l’emploi, la formation, la promotion ou encore la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Des avantages accordés au moment du départ à la retraite, déconnectés de la poursuite d’une activité, ne sauraient entrer dans cette catégorie. La Cour considère qu’ils ne portent pas « remède aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle ».

B. L’affirmation d’une finalité préventive et correctrice de l’action positive

En adoptant cette solution, la Cour de justice précise la portée de l’action positive. Il ne s’agit pas d’un mécanisme de compensation financière a posteriori pour des inégalités passées, mais d’un outil destiné à promouvoir une égalité réelle et effective sur le marché du travail. Les mesures autorisées sont celles qui ont un caractère incitatif et structurel, qui aident les femmes à surmonter les barrières qui entravent leur parcours professionnel. Une bonification de pension, si elle peut apparaître comme une forme de réparation, n’a pas d’effet sur l’organisation du travail ou sur l’évolution des carrières.

Cette décision a pour portée de délimiter clairement la frontière entre les politiques d’égalité professionnelle et les systèmes de sécurité sociale. Si ces derniers peuvent intégrer des objectifs de politique sociale, ils ne peuvent le faire en violation du principe de non-discrimination. L’action positive, quant à elle, reste un instrument du droit du travail, orienté vers l’avenir et la transformation des pratiques professionnelles, et non un moyen de solder les comptes des inégalités passées au crépuscule de la carrière.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture