Le 17 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision importante concernant les limites de sa compétence interprétative en matière de droit d’asile. Un ressortissant d’un pays tiers a rejoint l’Allemagne par voie aérienne depuis la Grèce sous le couvert d’un passeport pakistanais falsifié fourni par des passeurs. Suite à son arrestation à l’aéroport de Munich, l’intéressé a formulé une demande d’asile et a fait l’objet de poursuites pénales pour faux et entrée illégale. Le tribunal cantonal de Wurtzbourg a d’abord prononcé la relaxe en se fondant sur l’exemption de peine prévue par la Convention de Genève. Saisi d’un recours, le tribunal régional supérieur de Bamberg a sursis à statuer pour interroger la Cour sur l’application de cette immunité pénale internationale. Les juges de Luxembourg devaient déterminer s’ils étaient compétents pour interpréter l’article 31 de la Convention de Genève relatif aux réfugiés en situation irrégulière. La Cour de justice a conclu à son incompétence car l’Union n’a pas conclu ce traité et n’a pas pleinement intégré la disposition litigieuse dans son droit.
I. L’affirmation de l’incompétence juridictionnelle face aux normes internationales
A. Le principe de limitation du renvoi préjudiciel au droit de l’Union
La Cour de justice rappelle avec fermeté que sa mission d’interprétation à titre préjudiciel se limite strictement aux normes constituant l’ordre juridique de l’Union européenne. Elle précise que « le pouvoir de donner des interprétations à titre préjudiciel […] ne s’étend qu’aux normes qui font partie du droit de l’Union ». Cette position classique protège l’autonomie du système juridique communautaire tout en respectant la souveraineté des États membres signataires de traités internationaux tiers. Si les accords conclus par l’Union font partie intégrante de son droit, la Convention de Genève de 1951 demeure un acte extérieur à l’organisation.
La juridiction luxembourgeoise souligne qu’elle ne peut interpréter une convention non conclue par l’Union que si cette dernière a assumé les compétences précédemment exercées par les États. Ce transfert de compétences doit être effectif et global pour que les dispositions conventionnelles produisent un effet obligatoire immédiat au sein de l’ordre juridique européen. En l’espèce, les gouvernements allemand et néerlandais ont justement souligné que la Convention de Genève ne contient aucune clause attribuant une compétence spécifique à la Cour. L’absence d’une telle stipulation empêche le juge européen de se substituer aux instances nationales ou internationales pour fixer le sens d’un texte multilatéral.
B. L’absence d’incorporation de l’article 31 dans l’ordre juridique communautaire
La Cour examine ensuite si le droit dérivé de l’Union a procédé à une intégration indirecte de la règle d’immunité pénale invoquée par le ressortissant. Elle admet qu’un intérêt de l’Union existe pour assurer une interprétation uniforme des dispositions internationales reprises par des actes législatifs européens comme les directives. Toutefois, les juges constatent que « l’article 31 de la convention de Genève n’a pas été repris dans un texte du droit de l’Union » de manière explicite. Le simple fait que plusieurs dispositions communautaires fassent référence à cet article ne suffit pas à l’incorporer formellement dans le corpus juridique de l’Union.
La décision relève notamment que la juridiction de renvoi n’a mentionné aucune règle de droit européen qui opérerait un renvoi précis vers l’article 31 concerné. Même si une directive relative au statut de réfugié mentionne la convention, elle ne transpose pas directement les conditions de l’exemption de sanctions pénales. Dès lors, le juge européen refuse de se prononcer sur une disposition qui conserve une nature purement internationale et dont l’application relève des tribunaux nationaux. Cette réserve manifeste la volonté de la Cour de ne pas étendre son contrôle au-delà des limites fixées par les traités constitutifs.
II. Une réserve judiciaire aux conséquences incertaines pour le droit d’asile
A. Le maintien de la souveraineté pénale des États membres
Le refus de statuer laisse aux juridictions allemandes la responsabilité exclusive de qualifier les faits reprochés au demandeur d’asile au regard du droit interne. La Cour souligne que les États membres ont conservé certaines compétences dans le domaine couvert par l’article 31 de la convention de Genève, notamment en matière répressive. Elle affirme que « les États membres ont conservé certaines compétences relevant dudit domaine, notamment en ce qui concerne la matière couverte par l’article 31 ». Cette reconnaissance de souveraineté permet aux autorités nationales de sanctionner l’usage de faux documents sans contrainte d’interprétation européenne immédiate.
L’enjeu porte sur la possibilité de punir un étranger qui utilise des services de passeurs et présente un titre falsifié lors d’un contrôle frontalier aérien. Le tribunal régional supérieur de Bamberg souhaitait savoir si le recours à de tels services excluait le bénéfice de l’immunité pénale internationale. En déclinant sa compétence, la Cour évite d’imposer une définition uniforme de la nécessité du faux pour l’accès à la procédure d’asile. Ce silence laisse subsister des disparités nationales importantes concernant le traitement judiciaire des réfugiés arrivant sur le territoire de l’Union par des voies irrégulières.
B. Les limites de l’harmonisation européenne des conditions d’entrée directe
La juridiction de renvoi interrogeait également la Cour sur la notion de provenance directe pour un individu transitant par un autre État membre. La question visait à déterminer si le passage par la Grèce avant l’arrivée en Allemagne rompait le lien direct exigé par la Convention de Genève. La Cour de justice ne fournit aucune réponse sur ce point crucial pour l’application du régime d’asile européen commun et du système de Dublin. Elle se borne à constater que « la compétence de la Cour pour interpréter l’article 31 de la convention de Genève n’est pas établie dans la présente affaire ».
Cette décision souligne les lacunes de l’harmonisation du droit d’asile lorsque les textes de l’Union ne reprennent pas intégralement les garanties issues du droit international. Le risque de divergences d’interprétation entre les États membres demeure entier concernant le sort pénal des candidats à l’asile circulant au sein de l’espace européen. Les juges nationaux doivent donc interpréter seuls les concepts de la convention tout en respectant les principes généraux de protection des droits fondamentaux. La cohérence du régime d’asile européen se trouve ainsi fragilisée par cette zone d’ombre persistant entre les normes nationales, communautaires et internationales.