Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juin 2010, n°C-423/08

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les obligations des États membres relatives à la mise à disposition des ressources propres de l’Union. En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure contre un État membre, lui reprochant d’avoir tardivement inscrit et versé des ressources propres provenant de droits de douane. L’État membre mis en cause semblait justifier ce retard par l’existence de contestations des créances douanières par les redevables au niveau national. La Commission, estimant que ces circonstances ne pouvaient suspendre les obligations financières de l’État membre, a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si un État membre peut, en raison de contestations internes relatives à une créance douanière, différer la mise à disposition des ressources propres correspondantes sans manquer à ses obligations découlant du droit de l’Union. La Cour de justice répond par la négative, en affirmant que l’État membre a manqué à ses obligations. Elle juge que les mécanismes de contestation offerts au redevable sont sans incidence sur l’obligation de l’État de créditer les fonds au compte de l’Union dans les délais impartis.

La solution retenue par la Cour rappelle avec fermeté le caractère inconditionnel de l’obligation de mise à disposition des ressources propres (I), entraînant des conséquences financières automatiques en cas de manquement (II).

I. Le rappel du caractère inconditionnel de l’obligation de mise à disposition des ressources propres

La Cour de justice fonde sa décision sur une distinction claire entre les procédures nationales de contestation et les devoirs financiers de l’État membre envers l’Union. Elle réaffirme ainsi l’autonomie de l’obligation d’inscription des ressources propres (A) dans le cadre d’une interprétation stricte qui vise à préserver l’autonomie financière de l’Union (B).

A. L’autonomie de l’obligation d’inscription des ressources propres face aux contestations nationales

La Cour souligne que l’obligation de l’État membre de verser les ressources propres est indépendante des éventuels litiges entre l’administration douanière et les redevables. En effet, la réglementation prévoit que « la prise en compte et la communication des droits de douane dus ainsi que l’inscription des ressources propres n’empêche pas le débiteur de contester, en application des articles 243 et suivants du code des douanes, l’obligation qui lui est imputée ». Ce faisant, le juge de l’Union distingue nettement deux rapports juridiques : d’une part, le lien vertical entre le redevable et l’autorité nationale, et d’autre part, le lien entre cet État membre et l’Union. L’existence du premier ne saurait paralyser l’effectivité du second.

De surcroît, la Cour rappelle aux autorités nationales l’existence d’une procédure comptable spécifique pour les créances litigieuses. Les règlements applicables permettent « d’inscrire les ressources propres qui font l’objet de contestations et sont susceptibles de subir des variations à la suite des différends survenus dans la comptabilité séparée ». Cette technique offre une solution équilibrée qui préserve à la fois les droits des redevables et les intérêts financiers de l’Union, en assurant la traçabilité des montants contestés sans pour autant en suspendre la constatation. Le manquement de l’État membre réside donc dans le fait de n’avoir pas usé de cette voie procédurale adéquate.

B. Une interprétation stricte au service de l’autonomie financière de l’Union

Au-delà de la simple technique comptable, la décision s’inscrit dans une logique de protection des fondements financiers de l’Union. Le système des ressources propres est la pierre angulaire du budget de l’Union et garantit son autonomie par rapport aux contributions des États membres. Permettre à un État de suspendre unilatéralement ses versements au motif de litiges internes créerait une brèche dangereuse dans ce système, le rendant dépendant des aléas des procédures administratives et judiciaires nationales.

La Cour adopte ainsi une position rigoureuse, considérant que toute autre interprétation reviendrait à « permettre à un État membre de méconnaître son obligation de constater, dans les délais prévus par la réglementation communautaire, le droit [de l’Union] sur les ressources propres ». Cette rigueur n’est pas une simple posture formaliste ; elle est la condition sine qua non du bon fonctionnement de l’Union et de la prévisibilité de ses recettes budgétaires. La solution garantit que les États membres agissent en tant que simples collecteurs fiduciaires des deniers de l’Union, sans pouvoir exercer de droit de rétention.

II. Les conséquences automatiques et indissociables du manquement constaté

Le manquement une fois établi, la Cour en tire des conséquences financières inéluctables. Celles-ci se manifestent par l’exigibilité systématique d’intérêts de retard, conséquence directe du versement tardif (A), conférant à l’arrêt une portée pédagogique à l’égard de tous les États membres (B).

A. Le lien indissociable entre le retard de versement et l’exigibilité des intérêts

La Cour rappelle avec force sa jurisprudence constante selon laquelle « il existe un lien indissociable entre l’obligation de constater les ressources propres communautaires, celle de les inscrire au compte de la Commission dans les délais impartis et, enfin, celle de verser des intérêts de retard ». Ces intérêts ne constituent pas une sanction au sens pénal du terme, mais la juste compensation financière du préjudice subi par l’Union du fait de l’indisponibilité des fonds. Le versement tardif prive le budget de l’Union de liquidités, ce qui justifie le paiement d’un intérêt pour la période de retard.

Conformément à l’article 11 des règlements financiers successifs, « tout retard dans les inscriptions au compte […] donne lieu au paiement par l’État membre concerné d’intérêts applicables à toute la période du retard ». Le mécanisme est automatique et objectif : la seule constatation du retard suffit à rendre les intérêts exigibles, « quelle que soit la raison du retard ». La bonne ou mauvaise foi de l’État membre, ou les raisons administratives ayant conduit au retard, sont donc sans pertinence pour l’application de cette obligation. Cette automaticité renforce le caractère dissuasif de la mesure et incite les États à la plus grande diligence.

B. La portée pédagogique d’un arrêt réaffirmant les devoirs des États membres

Bien que la solution ne constitue pas un revirement de jurisprudence, sa valeur réside dans sa portée didactique. En condamnant fermement un État membre pour une pratique administrative non conforme, la Cour adresse un message clair à l’ensemble des administrations nationales. Elle rappelle que le respect des règles financières de l’Union n’est pas négociable et que les procédures internes ne peuvent servir de prétexte à un manquement aux obligations découlant des traités. Cet arrêt s’analyse moins comme un arrêt de principe que comme une décision d’espèce venant réaffirmer une solution solidement établie.

Sa portée est donc avant tout préventive. Elle vise à décourager les États membres de céder à la facilité de suspendre les versements en cas de doute sur une créance, les orientant fermement vers les mécanismes prévus par le droit de l’Union, telle la comptabilité séparée. La décision renforce ainsi le rôle de la Commission en tant que gardienne des traités et assure la discipline budgétaire collective, indispensable à la crédibilité et à l’action de l’Union européenne. Elle confirme que l’État de droit s’applique avec la même rigueur aux États membres eux-mêmes, particulièrement lorsqu’il s’agit de préserver les intérêts financiers communs.

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