Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juin 2010, n°C-492/08

Par un arrêt en manquement en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’un État membre avait enfreint ses obligations découlant du droit de l’Union en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait l’application d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée pour les services fournis par les professions juridiques, tels que les avocats, lorsque leur rémunération était prise en charge, en tout ou en partie, par le système national d’aide juridictionnelle. Saisie par l’institution gardienne des traités, la Cour de justice était amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une telle mesure fiscale avec les dispositions de la directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. L’État membre mis en cause soutenait vraisemblablement que cette dérogation fiscale poursuivait un objectif d’intérêt général, celui de garantir un accès effectif à la justice pour les citoyens les plus démunis. La question de droit qui se posait était donc de savoir si un État membre pouvait unilatéralement soumettre à un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée des prestations de services qui ne figurent pas expressément dans la liste exhaustive établie par la directive.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par la négative, en déclarant que « en appliquant un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée aux prestations rendues par les avocats […] pour lesquelles ceux-ci sont indemnisés totalement ou partiellement par l’État dans le cadre de l’aide juridictionnelle, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 et 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112/CE ». Par cette décision, la Cour rappelle avec fermeté le cadre strict régissant les dérogations au taux normal de la taxe, affirmant ainsi la primauté d’une application uniforme du droit fiscal de l’Union.

Il convient d’analyser la portée de cette décision en étudiant d’abord la confirmation du caractère limitatif des exceptions au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée (I), puis en examinant la tension qui en résulte entre la neutralité fiscale et les politiques sociales nationales (II).

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I. La confirmation du caractère limitatif des exceptions au taux normal de TVA

La solution retenue par la Cour de justice de l’Union européenne repose sur une application rigoureuse des textes, réaffirmant le caractère exhaustif de la liste des prestations pouvant bénéficier d’un taux réduit (A) et écartant par là même la prise en compte d’objectifs politiques nationaux pour justifier une dérogation (B).

A. Le caractère exhaustif de la liste des prestations éligibles à un taux réduit

La directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée établit un principe clair, posé à son article 96, selon lequel les États membres appliquent un taux normal de taxe qu’ils fixent eux-mêmes. L’article 98 de cette même directive autorise, par dérogation, l’application d’un ou deux taux réduits. Cependant, cette faculté est strictement encadrée, puisque le paragraphe 2 de cet article précise que les taux réduits sont exclusivement applicables aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories qui sont énumérées à l’annexe III de la directive.

Dans sa décision, la Cour juge que l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent ». Ce faisant, elle confirme que la liste de l’annexe III revêt un caractère exhaustif et d’interprétation stricte. Les États membres ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour étendre le champ d’application des taux réduits à des services qui n’y sont pas explicitement mentionnés, quelle que soit la nature ou la finalité de ces services. Les prestations d’avocats, même accomplies dans le cadre de l’aide juridictionnelle, ne figurant pas dans ladite annexe, elles ne peuvent légalement se voir appliquer un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.

B. L’indifférence des objectifs de politique nationale à la légalité fiscale européenne

En condamnant l’État membre, la Cour de justice de l’Union européenne écarte implicitement mais nécessairement l’argument tiré de l’objectif social poursuivi par la mesure litigieuse. La volonté de faciliter l’accès à la justice, bien que constituant un objectif d’intérêt général reconnu tant au niveau national qu’européen, ne saurait justifier une violation des règles d’harmonisation fiscale. La Cour rappelle ainsi que le système commun de la taxe sur la valeur ajoutée vise à garantir la neutralité de l’impôt et à prévenir les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur.

Permettre à un État membre de créer des cas de taux réduits en dehors du cadre limitativement défini par la directive ouvrirait une brèche dans l’uniformité du système fiscal commun. Chaque État pourrait alors être tenté d’invoquer des motifs d’intérêt national pour introduire des dérogations sectorielles, ce qui anéantirait les efforts d’harmonisation. La décision commentée illustre donc la primauté du droit de l’Union et de ses objectifs propres, en particulier la construction d’un marché intérieur où les conditions de concurrence ne sont pas faussées, sur les considérations de politique intérieure, aussi légitimes soient-elles.

Après avoir clarifié le sens de la décision, qui s’inscrit dans une logique de stricte orthodoxie juridique, il importe d’en apprécier la valeur et la portée au regard des enjeux qu’elle soulève.

II. La mise en tension de la neutralité fiscale et des politiques sociales

Cette décision, si elle est juridiquement fondée sur le principe de neutralité, n’en demeure pas moins porteuse de conséquences importantes pour le financement des politiques sociales nationales. Elle consacre ainsi la prévalence de la logique fiscale européenne (A) tout en révélant les difficultés pratiques qui peuvent en découler pour des dispositifs d’intérêt général comme l’aide juridictionnelle (B).

A. La prévalence du principe de neutralité fiscale

La valeur principale de cet arrêt réside dans sa réaffirmation du principe de neutralité fiscale comme l’une des pierres angulaires du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Ce principe implique qu’à des prestations de services similaires doit correspondre un traitement fiscal identique, afin de ne pas créer d’avantages compétitifs injustifiés. En l’espèce, les services d’un avocat sont de même nature, qu’ils soient rémunérés par un client privé ou par l’État via l’aide juridictionnelle.

Soumettre les seconds à un taux réduit reviendrait à créer une distorsion, même si celle-ci est indirecte. La Cour, en censurant la pratique de l’État membre, fait donc le choix de la cohérence juridique et de la rigueur systémique. La décision est ainsi parfaitement conforme à la jurisprudence constante qui veille à ce que les dérogations au système commun restent l’exception et ne deviennent pas un outil de politique économique ou sociale aux mains des États membres. Elle renforce la prévisibilité et la sécurité juridique pour les opérateurs économiques à travers l’Union.

B. Les conséquences sur le financement de l’aide juridictionnelle

La portée pratique de l’arrêt est significative. En obligeant l’État membre à appliquer le taux normal de taxe sur la valeur ajoutée aux prestations d’aide juridictionnelle, la décision entraîne mécaniquement une augmentation du coût de ces services pour la collectivité. L’État devra donc soit augmenter le budget alloué à l’aide juridictionnelle pour compenser la hausse de la taxe, soit maintenir son budget constant, ce qui se traduirait par une baisse de la rémunération nette des avocats intervenant dans ce cadre.

Cette seconde hypothèse pourrait avoir pour effet de décourager les professionnels du droit de participer au système d’aide juridictionnelle, affaiblissant ainsi l’accès au droit pour les justiciables les plus précaires. L’arrêt met en lumière une friction entre la logique d’harmonisation fiscale de l’Union et la compétence des États membres en matière d’organisation de leur système judiciaire et de leur politique sociale. S’il ne remet pas en cause le principe de l’aide juridictionnelle, il en contraint les modalités de financement et pourrait inciter les États membres à plaider pour une modification de l’annexe III de la directive afin d’y inclure explicitement ces prestations.

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