Cour de justice de l’Union européenne, le 17 juin 2021, n°C-23/20

La Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction danoise, a précisé les obligations de transparence qui incombent aux pouvoirs adjudicateurs lors de la passation d’accords-cadres. En l’espèce, deux entités régionales avaient lancé une procédure ouverte pour un accord-cadre portant sur la fourniture d’équipements médicaux, sans toutefois indiquer dans l’avis de marché ni la quantité ou la valeur estimée des produits, ni une quantité ou une valeur maximale. L’avis se bornait à préciser que les estimations de consommation n’étaient que prévisionnelles et n’engageaient pas le pouvoir adjudicateur. Une société dont l’offre n’avait pas été retenue a contesté la procédure, arguant que cette omission violait les principes fondamentaux du droit des marchés publics. La juridiction nationale a alors interrogé la Cour sur l’obligation d’inclure de telles informations dans les documents de marché et sur la sanction applicable en cas de manquement. Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si les principes d’égalité de traitement et de transparence imposent à un pouvoir adjudicateur d’indiquer, pour un accord-cadre, une quantité ou une valeur maximale des prestations, dont le dépassement prive l’accord de ses effets, et si l’omission d’une telle mention équivaut à une absence de publication d’avis de marché. La Cour répond que le pouvoir adjudicateur est tenu de fixer une limite maximale en quantité ou en valeur, qui, une fois atteinte, entraîne l’épuisement des effets de l’accord-cadre. Elle juge cependant qu’un tel manquement ne constitue pas une violation d’une gravité telle qu’elle justifierait d’assimiler la procédure à une passation de marché sans publicité préalable. L’arrêt clarifie ainsi le caractère contraignant des informations devant figurer dans un accord-cadre (I), tout en opérant une distinction quant à la sévérité de la sanction applicable en cas de défaillance (II).

I. La clarification du périmètre contraignant de l’accord-cadre

La décision renforce l’encadrement des accords-cadres en imposant une définition précise de leur étendue maximale (A), dont le respect conditionne la validité des marchés subséquents (B).

A. L’exigence impérative d’une quantité ou d’une valeur maximale

La Cour affirme sans ambiguïté l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de mentionner une limite maximale aux prestations susceptibles d’être commandées en vertu d’un accord-cadre. Bien que certaines dispositions de la directive 2014/24, telles que l’article 33, paragraphe 1, avec l’emploi de l’adverbe « le cas échéant », puissent suggérer une simple faculté, la Cour écarte une interprétation purement littérale. Elle privilégie une lecture systémique et téléologique, fondée sur les principes d’égalité de traitement et de transparence. Elle estime que ces principes seraient vidés de leur substance si un opérateur économique ne pouvait connaître l’étendue maximale de l’engagement pour lequel il soumissionne. En effet, « l’indication par le pouvoir adjudicateur de la quantité et/ou de la valeur estimée ainsi que d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre revêt une importance considérable pour un soumissionnaire, dès lors que c’est sur la base de cette estimation que celui-ci sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ». Cette exigence garantit que tous les soumissionnaires disposent d’une information claire et univoque pour préparer une offre pertinente et éclairée. La solution confirme et généralise la portée de l’arrêt *Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato* de 2018, en l’appliquant à tous les accords-cadres, et non plus seulement à ceux passés par des centrales d’achat.

B. L’épuisement des effets de l’accord-cadre à l’atteinte du seuil

La Cour ne se contente pas d’imposer la fixation d’un plafond ; elle en tire une conséquence juridique déterminante en précisant « qu’une fois que cette limite aura été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets ». Cette précision est capitale car elle transforme la valeur maximale d’une simple information indicative en une véritable condition résolutoire de l’accord. Un accord-cadre n’est donc pas un instrument aux contours illimités qui permettrait à un pouvoir adjudicateur de s’approvisionner sans fin auprès d’un même cocontractant. Il s’agit d’un contrat dont l’objet est défini non seulement dans sa nature, mais aussi dans son volume global. Le dépassement de ce volume met fin à la relation contractuelle et impose au pouvoir adjudicateur, pour ses besoins futurs, de procéder à une nouvelle mise en concurrence. Cette solution protège l’opérateur économique attributaire contre des demandes qui excéderaient ses capacités et la prévisibilité de son engagement. Surtout, elle préserve le jeu de la concurrence en garantissant que des marchés d’un volume substantiel ne soient pas soustraits durablement aux règles de publicité et de mise en concurrence par le biais d’un accord-cadre indéfiniment extensible.

II. La proportionnalité de la sanction attachée au manquement

Après avoir affirmé la force de l’obligation, la Cour en mesure la sanction avec discernement, en refusant de l’assimiler à la violation la plus grave du droit des marchés publics (A), tout en préservant l’utilité des voies de recours pour les opérateurs économiques lésés (B).

A. Le rejet d’une assimilation à une passation sans publicité

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la sanction applicable, en particulier sur l’application de l’article 2 quinquies de la directive 89/665, qui prévoit de priver d’effets un contrat conclu sans publication préalable d’un avis de marché. La Cour adopte une approche proportionnée en jugeant cette sanction inapplicable en l’espèce. Elle rappelle que cette mesure radicale, qualifiée de « sanction sévère », doit être « cantonnée aux hypothèses les plus graves de violations du droit de l’Union des marchés publics, à savoir celles dans lesquelles un marché est passé de gré à gré sans avoir fait l’objet d’aucune publication préalable ». Or, dans le cas présent, un avis de marché avait bien été publié, et le cahier des charges était accessible. Le manquement, bien que réel, était donc décelable par un opérateur économique « raisonnablement informé et normalement diligent ». L’omission de la valeur maximale ne peut être assimilée à une absence totale de publicité qui priverait les concurrents de toute possibilité de participer. La Cour opère ainsi une distinction fondamentale entre une information incomplète dans le cadre d’une procédure publique et l’absence pure et simple de procédure.

B. La préservation de l’effectivité des recours

En écartant la sanction la plus sévère, la Cour ne laisse pas pour autant le soumissionnaire évincé sans recours. La violation des principes de transparence et d’égalité de traitement demeure une illégalité susceptible d’être sanctionnée par d’autres moyens prévus par les directives recours. Un opérateur diligent qui constate l’absence de mention de la quantité ou de la valeur maximale dans les documents de marché peut introduire un recours, notamment un référé précontractuel, pour obtenir l’annulation de la procédure de passation avant la signature de l’accord-cadre. Si le manquement n’est découvert qu’ultérieurement, d’autres actions, par exemple indemnitaires, restent envisageables. La solution de la Cour préserve ainsi l’équilibre du système de recours en matière de marchés publics. Elle incite les opérateurs à la vigilance tout en réservant la sanction la plus radicale aux manquements qui portent une atteinte irrémédiable aux principes fondamentaux de publicité et de mise en concurrence, garantissant par là même une gradation des sanctions à la mesure de la gravité des violations commises.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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