Par un arrêt du 9 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction slovaque, a précisé les conditions d’extinction du droit à la commission de l’agent commercial. En l’espèce, une personne avait conclu un contrat d’agence commerciale avec une compagnie d’assurance, en vertu duquel elle percevait des commissions anticipées pour chaque contrat d’assurance conclu. Plusieurs clients ayant cessé de payer leurs primes, entraînant la résiliation de plein droit de leurs polices, la compagnie a réclamé à l’agent le remboursement des commissions correspondantes. L’agent s’y est opposé, soutenant que le défaut de paiement des clients résultait du comportement inapproprié de la compagnie d’assurance elle-même. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 11 de la directive 86/653/CEE, qui régit l’extinction du droit à la commission. La question de droit soulevée consistait à déterminer, d’une part, si l’inexécution partielle d’un contrat justifiait une extinction proportionnelle du droit à la commission et, d’autre part, quelle était l’étendue de la notion de « circonstances imputables au commettant » qui fait obstacle à une telle extinction. La Cour a jugé que l’inexécution, même partielle, du contrat principal peut entraîner l’extinction proportionnelle du droit à la commission de l’agent, sauf si cette inexécution est due à des circonstances de fait ou de droit imputables au commettant.
La solution de la Cour clarifie ainsi les conditions économiques du droit à la commission en les liant à l’exécution effective du contrat principal (I), tout en renforçant la protection de l’agent par une appréciation large des manquements du commettant faisant obstacle à l’extinction de ce droit (II).
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I. L’extinction du droit à la commission conditionnée par l’exécution effective du contrat principal
La Cour de justice établit une corrélation stricte entre la rémunération de l’agent et la réalisation effective de l’opération commerciale, en validant une conception large de l’inexécution contractuelle (A) et en encadrant les clauses de remboursement qui en découlent (B).
A. La consécration d’une conception extensive de l’inexécution contractuelle
La Cour de justice interprète la condition relative à l’inexécution du contrat de manière à inclure non seulement son absence totale d’exécution, mais également son exécution partielle. Pour ce faire, elle s’appuie d’abord sur une analyse littérale de la plupart des versions linguistiques de l’article 11, paragraphe 1, de la directive, qui prévoient que le droit à la commission s’éteint « si et dans la mesure où » le contrat n’est pas exécuté. Cette locution suggère une modularité, impliquant qu’une exécution partielle ne peut justifier qu’une extinction proportionnelle du droit à la commission.
Au-delà de cette approche textuelle, la Cour retient une interprétation systémique et téléologique. Elle souligne que « la commission est acquise au fur et à mesure de cette exécution, laquelle, s’agissant de contrats de longue durée à exécution successive […] s’échelonne dans le temps ». En liant l’acquisition de la commission à l’exécution progressive de l’opération, la Cour assure une juste corrélation entre la rémunération de l’agent et la valeur économique réellement apportée au commettant. Admettre que l’agent conserve l’intégralité de sa commission dès la conclusion d’un contrat de longue durée, indépendamment de son exécution ultérieure, créerait un déséquilibre contraire à la logique de la directive. La Cour en conclut donc que l’article 11, paragraphe 1, « vise non seulement les cas d’inexécution totale du contrat […] mais également les cas d’inexécution partielle de ce contrat ».
B. La validation encadrée des clauses de remboursement proportionnel
En conséquence directe de cette interprétation, la Cour examine la validité des clauses contractuelles organisant la restitution des commissions déjà versées. Elle juge qu’une clause qui oblige l’agent à rembourser une partie de sa commission au prorata de l’inexécution du contrat principal n’est pas, en principe, une « dérogation au détriment de l’agent commercial » interdite par l’article 11, paragraphe 3, de la directive. Une telle stipulation ne fait que traduire dans le contrat le mécanisme d’extinction partielle du droit à la commission prévu par la directive elle-même.
Toutefois, la Cour assortit cette validation de deux conditions strictes visant à préserver l’équilibre contractuel et à protéger l’agent. D’une part, « l’obligation de rembourser la commission doit être strictement proportionnée à l’ampleur de l’inexécution du contrat ». Toute clause qui imposerait un remboursement supérieur à la part du contrat non exécutée serait considérée comme abusive et donc nulle. D’autre part, et de manière fondamentale, cette obligation de remboursement est entièrement écartée si l’inexécution du contrat est imputable au commettant. Cette seconde condition, qui fait l’objet de la troisième question préjudicielle, constitue le cœur du dispositif de protection de l’agent.
II. L’appréciation extensive de l’imputabilité de l’inexécution au commettant
La Cour de justice adopte une définition particulièrement large de la notion de « circonstances imputables au commettant », en rejetant une analyse purement formelle de la rupture du contrat (A) pour imposer au juge national une investigation complète des faits (B).
A. Le rejet d’une analyse purement juridique de la cause d’inexécution
La Cour était interrogée sur le point de savoir si l’imputabilité au commettant devait s’apprécier au regard des seules « circonstances de droit conduisant directement à la cessation du contrat » ou si elle devait inclure le comportement factuel du commettant ayant provoqué l’inexécution par le tiers. La Cour opte résolument pour la seconde approche, considérant qu’une interprétation restrictive serait contraire aux objectifs de la directive, notamment la protection de l’agent et l’exigence de bonne foi.
Elle juge qu’une « définition étroite de la notion de “circonstances imputables au commettant” […] ne serait pas conforme auxdits objectifs ». S’en tenir à la cause juridique immédiate de la rupture, comme le non-paiement des primes par le client, sans en rechercher la cause profonde, permettrait au commettant de se prévaloir d’une situation qu’il a lui-même provoquée. La Cour refuse ainsi que le commettant puisse, par son comportement fautif ou déloyal, entraîner l’inexécution du contrat par le tiers et ensuite exiger de l’agent le remboursement d’une commission. La protection de l’agent serait illusoire si le commettant pouvait ainsi échapper à ses obligations en invoquant une défaillance du tiers qu’il a lui-même orchestrée.
B. L’instauration d’une obligation d’examen factuel global à la charge du juge national
En définissant largement la notion de circonstances imputables, la Cour confère un rôle central au juge national. Celui-ci ne peut plus se contenter de constater la cause juridique de l’extinction du contrat conclu avec le tiers. Il doit au contraire rechercher les raisons sous-jacentes de cette inexécution afin de déterminer si la responsabilité en incombe, en réalité, au commettant.
La Cour précise ainsi qu’il appartient à la juridiction de renvoi « de prendre en considération l’ensemble des faits de l’espèce, au-delà du seul manquement des assurés à leur obligation de payer les cotisations ». La notion de « circonstances imputables au commettant » doit donc s’entendre comme visant « toutes les circonstances de droit et de fait imputables au commettant, qui sont à l’origine de l’inexécution de ce contrat ». Cette solution renforce considérablement la position de l’agent commercial, en lui permettant de prouver, par tout moyen, que la défaillance du client trouve sa source dans le comportement de son propre mandant. Elle concrétise l’obligation de loyauté et de bonne foi que l’article 4 de la directive impose au commettant dans ses rapports avec l’agent.