Cour de justice de l’Union européenne, le 17 mai 2022, n°C-725/19

Par un arrêt rendu en grande chambre le 17 mai 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue des obligations incombant aux juridictions nationales afin d’assurer la protection des consommateurs contre les clauses abusives, conformément à la directive 93/13/CEE.

En l’espèce, un consommateur avait conclu un contrat de crédit-bail portant sur un véhicule automobile en 2008. Suite à des difficultés de paiement, le contrat fut résilié en 2009 et le véhicule restitué au professionnel puis vendu. Une première procédure d’exécution forcée fut initiée en 2010. Près de dix ans plus tard, en 2019, le professionnel a engagé une nouvelle procédure d’exécution forcée pour un montant substantiellement plus élevé, incluant diverses pénalités et frais. Le consommateur a formé une opposition à cette exécution. La juridiction roumaine saisie de cette opposition a constaté qu’une modification législative récente de son code de procédure civile ne lui permettait plus d’examiner le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat de crédit-bail, ce dernier constituant un titre exécutoire. Cette compétence était désormais réservée à une action de droit commun distincte. S’interrogeant sur la conformité de cette nouvelle règle procédurale avec le droit de l’Union, la juridiction a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si la directive 93/13, et plus spécifiquement le principe d’effectivité, s’oppose à une législation nationale qui prive le juge de l’exécution de la faculté d’examiner le caractère abusif des clauses d’un titre exécutoire, au motif qu’une autre voie de recours existe pour ce faire.

La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que la directive s’oppose à une telle législation nationale dès lors que la saisine du juge au fond dans le cadre de l’action distincte ne permet d’obtenir la suspension de la procédure d’exécution que moyennant le versement d’une caution dont le niveau est susceptible de décourager le consommateur. La Cour réaffirme ainsi l’exigence d’un contrôle effectif des clauses abusives au stade de l’exécution (I), tout en apportant une précision notable sur l’appréciation des obstacles procéduraux susceptibles de rendre ce contrôle inopérant (II).

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I. L’exigence réaffirmée d’un contrôle effectif des clauses abusives au stade de l’exécution

La solution retenue par la Cour de justice s’inscrit dans une jurisprudence bien établie visant à garantir une protection concrète et non théorique des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13. Elle rappelle que le simple fait de renvoyer le consommateur à une procédure distincte pour faire valoir ses droits est insuffisant pour garantir l’effectivité de la protection (A), et que le juge de l’exécution doit disposer des moyens nécessaires pour assurer cette protection (B).

A. L’inefficacité d’une protection purement indemnitaire et a posteriori

La Cour écarte la pertinence du mécanisme de droit commun offert au consommateur roumain en soulignant son caractère inadéquat. Elle estime en effet qu’une protection qui n’interviendrait qu’après la réalisation des mesures d’exécution forcée serait par nature incomplète. Le raisonnement des juges européens se fonde sur le fait que la finalité de la directive est d’empêcher que les clauses abusives ne produisent des effets contraignants à l’égard des consommateurs. Or, permettre qu’une exécution forcée, potentiellement fondée sur une telle clause, aille à son terme, pour ensuite offrir au consommateur une simple réparation financière, ne répondrait pas à cet objectif.

La Cour énonce ainsi que « dans l’hypothèse où la procédure d’exécution forcée aboutit avant le prononcé de la décision du juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l’origine de cette exécution forcée et, par voie de conséquence, la nullité de cette procédure, cette décision ne permettrait d’assurer audit consommateur qu’une protection a posteriori indemnitaire, qui se révélerait incomplète et insuffisante ». Cette position confirme que le contrôle doit être préventif autant que possible, afin d’éviter un préjudice souvent irréversible pour un consommateur se trouvant déjà dans une situation financière précaire. Le seul renvoi vers une action au fond, sans garantie de suspension de l’exécution, revient à priver la protection de son effet utile.

B. La nécessité d’un contrôle par le juge de l’exécution

Face à l’insuffisance d’une protection différée, la Cour rappelle l’importance du rôle du juge de l’exécution. Ce dernier est le premier et parfois le seul rempart du consommateur face à une procédure coercitive. Le priver de la possibilité d’examiner le fondement de la créance, notamment au regard du caractère abusif des clauses qui la génèrent, reviendrait à ignorer la situation de faiblesse du consommateur. La jurisprudence antérieure a constamment affirmé qu’un contrôle d’office doit pouvoir s’exercer à ce stade crucial.

La Cour réitère que « une protection effective des droits conférés au consommateur par cette directive ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné ». En l’espèce, le droit roumain, en retirant cette compétence au juge de l’exécution, créait un vide juridique préjudiciable au consommateur. Même si le consommateur peut lui-même former opposition, il est essentiel que le juge puisse, de sa propre initiative ou à la demande de celui-ci, procéder à cette vérification pour rétablir l’équilibre entre les parties.

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II. La portée du principe d’effectivité face aux modalités procédurales nationales

Au-delà de la confirmation de sa jurisprudence, la Cour affine son analyse du principe d’effectivité en l’appliquant de manière très concrète aux modalités de l’action alternative. Elle ne se contente pas de constater l’existence d’une autre voie de droit, mais en examine les conditions d’accès, se concentrant sur l’obstacle que constitue l’exigence d’une caution (A), conférant ainsi à sa décision une portée générale pour l’ensemble des droits procéduraux nationaux (B).

A. L’appréciation concrète de l’obstacle financier à l’accès au juge

L’élément déterminant du raisonnement de la Cour réside dans l’analyse de l’obligation pour le consommateur de verser une caution pour obtenir la suspension de l’exécution forcée. C’est ce point qui rend la voie de recours alternative « excessivement difficile ». La Cour ne critique pas le principe même de la caution, mais son effet dissuasif dans le contexte spécifique de la protection des consommateurs. Elle relève qu’il « est vraisemblable qu’un débiteur en défaut de paiement ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour constituer la garantie requise ».

En se livrant à cette appréciation pragmatique, la Cour dépasse une approche purement formelle du droit au recours. Elle reconnaît que des obstacles financiers, même s’ils poursuivent un objectif légitime de garantie pour le créancier, peuvent en pratique anéantir les droits que le droit de l’Union confère au consommateur. La Cour met en balance les intérêts en présence et fait prévaloir la nécessité d’une protection effective du consommateur, partie faible au contrat. Cette analyse est d’autant plus pertinente en l’espèce que le montant de la créance réclamée avait considérablement augmenté, rendant la constitution d’une caution proportionnelle d’autant plus prohibitive.

B. Un avertissement général aux États membres sur les aménagements procéduraux

En censurant la législation roumaine, la Cour adresse un message clair à l’ensemble des États membres. L’autonomie procédurale nationale, bien que reconnue par le droit de l’Union, trouve sa limite dans le respect du principe d’effectivité. Tout aménagement des procédures nationales, notamment en matière d’exécution forcée, doit être évalué à l’aune de son impact concret sur la capacité du consommateur à exercer ses droits. La décision a donc une portée de principe qui dépasse le seul cas des contrats de crédit-bail en Roumanie.

Elle implique que les États membres ne sauraient se contenter de prévoir des voies de recours théoriques. Ils doivent s’assurer que ces recours sont accessibles et efficaces en pratique. L’exigence d’une caution, le caractère excessivement bref d’un délai de recours, ou encore des frais de justice prohibitifs sont autant d’éléments qui peuvent être jugés contraires à la directive 93/13 s’ils sont de nature à « décourager le consommateur à introduire et à maintenir un tel recours ». Cet arrêt renforce donc considérablement le contrôle de proportionnalité que les juridictions nationales et la Cour de justice elle-même doivent opérer sur les règles de procédure internes lorsqu’est en jeu la protection des consommateurs.

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Hassan KOHEN
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