Cour de justice de l’Union européenne, le 17 mai 2023, n°C-264/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le dix-sept mai deux mille vingt-trois, un arrêt important relatif à la loi applicable aux obligations non contractuelles. Un accident nautique est survenu au Portugal le quatre août deux mille dix, causant de graves lésions à une personne de nationalité française percutée par un bateau. Un fonds de garantie a indemnisé la victime après un accord homologué par le Tribunal de grande instance de Lyon le vingt mars deux mille quatorze. Ce fonds a ensuite intenté une action en remboursement contre la compagnie d’assurances du responsable devant les juridictions portugaises au mois de novembre deux mille seize.

Le Tribunal maritime de Lisbonne a rejeté cette demande en déclarant que le droit à réparation était prescrit selon le délai de trois ans prévu par le droit portugais. La juridiction de renvoi, le Tribunal da Relação de Lisboa, a alors été saisie d’un appel contestant l’application de la loi portugaise au profit de la loi française. Le fonds d’indemnisation soutenait que le délai de dix ans prévu par la loi du tiers subrogé devait régir l’action en vertu du règlement européen sur les conflits. La Cour de justice devait déterminer si la loi régissant l’action et sa prescription demeure celle du pays où le dommage survient ou celle régissant l’obligation du tiers.

Les juges de Luxembourg affirment que la loi applicable à l’action du tiers subrogé et à ses règles de prescription est celle du pays où le dommage survient. Cette solution repose sur l’application de la loi du lieu du dommage à l’ensemble des conditions d’exercice de l’action, garantissant ainsi une parfaite prévisibilité juridique. L’analyse de cette décision conduit à examiner d’abord l’affirmation de la compétence de la loi du dommage, avant d’étudier la préservation de la sécurité juridique du débiteur.

I. La détermination de la loi applicable par le lieu de survenance du dommage

A. L’unification des règles de prescription sous l’égide de la loi du dommage

Le règlement Rome II pose le principe général selon lequel « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient ». Cette règle de conflit de lois fondamentale désigne la loi portugaise dans le litige au principal, dès lors que l’accident nautique s’est produit dans les eaux de cet État. La Cour rappelle que cette loi régit impérativement « le mode d’extinction des obligations ainsi que les règles de prescription et de déchéance fondées sur l’expiration d’un délai ».

La prescription ne constitue pas une simple règle de procédure mais relève bien de la loi applicable au fond de l’obligation selon l’économie générale du texte européen. La désignation de la loi du lieu du dommage permet d’assurer un traitement uniforme de la responsabilité civile, indépendamment de la nationalité des parties ou du juge saisi. Les règles relatives au point de départ et à la durée du délai de prescription demeurent ainsi soumises au droit désigné par le fait générateur initial du préjudice.

B. Le maintien de la loi de l’action initiale malgré la subrogation du tiers

Le mécanisme de la subrogation, prévu à l’article dix-neuf du règlement, opère une distinction nécessaire entre l’obligation du tiers et les relations entre le créancier et le débiteur. La loi applicable à l’obligation du tiers détermine certes si celui-ci peut exercer les droits détenus par la victime, mais elle ne modifie pas leur contenu juridique. La Cour précise que le tiers peut exercer ces droits « selon la loi régissant leurs relations », renvoyant ainsi aux règles classiques de détermination de la loi applicable.

L’interprétation retenue souligne que la loi du tiers subrogé ne saurait absorber l’ensemble du régime de l’obligation initiale, notamment pour ce qui concerne ses modes d’extinction. La loi régissant les relations entre la personne lésée et l’auteur du dommage demeure déterminée en vertu des articles quatre et suivants du règlement Rome deux. Cette solution interdit tout changement de loi applicable au cours de la vie de l’obligation, même si un tiers intervient pour désintéresser le créancier original prématurément.

II. La finalité de protection de la sécurité juridique et de l’équilibre des intérêts

A. La promotion d’une prévisibilité accrue pour les parties au litige transfrontalier

Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les règles de conflit désignent la même loi nationale quel que soit le pays dans lequel l’action est effectivement introduite. La Cour de justice rappelle que l’objectif du règlement consiste à garantir la sécurité juridique et à améliorer la prévisibilité de l’issue des litiges pour les plaideurs. Cette prévisibilité serait gravement compromise si les conditions d’extinction de l’obligation étaient susceptibles de varier selon la loi applicable à l’obligation d’un tiers subrogé ultérieurement.

Le rattachement au pays du lieu où le dommage survient crée un juste équilibre entre les intérêts de la personne responsable et ceux de la personne lésée directement. L’application d’une loi étrangère au lieu du fait dommageable pour la prescription risquerait de surprendre les parties et de fragiliser la stabilité des situations juridiques acquises localement. La stabilité du droit applicable demeure le gage d’une justice efficace au sein de l’espace européen, évitant ainsi les stratégies de recherche du tribunal le plus favorable.

B. La neutralité nécessaire du changement de créancier pour le débiteur

La subrogation vise exclusivement à permettre au tiers subrogé d’exercer les droits du créancier, sans pour autant aggraver la situation juridique initiale du débiteur de l’obligation. La Cour souligne que le débiteur doit pouvoir invoquer contre le tiers subrogé tous les moyens de défense dont il aurait disposé contre la personne lésée au départ. Admettre l’application de la loi du tiers pour la prescription placerait l’auteur du préjudice dans une situation moins favorable en raison d’un événement totalement extérieur.

Le débiteur bénéficie ainsi d’une immunité contre les changements législatifs imprévisibles résultant de l’intervention d’un fonds de garantie ou d’un assureur étranger dans le processus d’indemnisation. L’essence même du mécanisme subrogatoire impose que le droit transmis reste identique à celui que la victime pouvait exercer personnellement avant d’être désintéressée par le tiers. La solution garantit que la durée pendant laquelle la responsabilité du débiteur peut être recherchée reste fixée dès la survenance du dommage par la loi locale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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