Cour de justice de l’Union européenne, le 17 mars 2015, n°C-533/13

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le dix-sept mars deux mille quinze une décision relative au travail intérimaire. Ce litige porte sur l’interprétation de l’article quatre, paragraphe premier, de la directive deux mille huit cent quatre fixant le régime des travailleurs temporaires. Une organisation syndicale conteste devant la juridiction nationale l’usage régulier de contrats de mission par une entreprise de livraison de carburants aéronautiques. Le demandeur soutient que le recours permanent à cette main-d’œuvre extérieure méconnaît les clauses restrictives d’une convention collective sectorielle liant les partenaires sociaux. L’employeur invoque en défense l’incompatibilité de ces limitations conventionnelles avec les objectifs de libéralisation du marché du travail poursuivis par la législation européenne applicable. Saisi de cette difficulté, le tribunal du travail de Finlande interroge la Cour sur l’obligation pour le juge national d’écarter des normes contraires à la directive. La juridiction européenne décide que cette disposition impose une simple obligation de réexamen administratif sans contraindre les juges nationaux à laisser inappliquée la réglementation interne. L’analyse portera d’abord sur la nature purement procédurale de l’obligation de réexamen avant d’étudier l’absence de portée contraignante immédiate pour les autorités judiciaires.

I. La définition d’un cadre de réexamen exclusivement administratif

A. Une mission de vérification confiée aux autorités réglementaires

L’article commenté impose aux autorités publiques de contrôler la proportionnalité des obstacles mis au déploiement du travail temporaire sur leur territoire respectif. La Cour précise que ce texte « s’adresse aux seules autorités compétentes des États membres, en leur imposant une obligation de réexamen » du droit positif. Cette injonction vise à garantir que les restrictions éventuelles demeurent justifiées par des motifs impérieux d’intérêt général soigneusement énumérés par le législateur européen. Le réexamen doit permettre de vérifier si les interdits protègent réellement les salariés intérimaires ou s’ils assurent le bon fonctionnement du marché de l’emploi. Cette lecture globale de la norme souligne son caractère préparatoire à l’activité législative sans pour autant prescrire de modèle normatif unique ou de résultat prédéfini.

B. L’incompétence du juge national pour l’éviction des restrictions

La décision écarte fermement toute interprétation qui conférerait au juge le pouvoir de censurer d’office les limitations nationales au nom de la directive précitée. Le juge européen affirme explicitement que le texte « n’impose pas aux juridictions nationales l’obligation de laisser inappliquée toute disposition de droit national » comportant des interdits. Cette solution repose sur l’idée que le contentieux entre particuliers ne saurait servir de levier pour contourner les étapes nécessaires de la transposition législative. Le juge ne peut donc pas se substituer au pouvoir réglementaire pour apprécier la validité des motifs d’intérêt général fondant les restrictions conventionnelles contestées. L’absence d’effet direct de cette disposition spécifique prive les parties de la possibilité d’invoquer une méconnaissance de la directive pour écarter un accord collectif.

II. La préservation de la souveraineté normative des États membres

A. Le maintien d’une liberté de choix dans l’ajustement du droit interne

Les États disposent d’une marge d’appréciation significative pour mettre leur législation en conformité avec les exigences de protection et de flexibilité de l’emploi. Ils demeurent « libres, à cette fin, soit de supprimer les interdictions ou les restrictions […] soit de adapter ces dernières » selon leurs spécificités. Cette latitude permet aux autorités nationales de conserver des mesures restrictives si elles parviennent à démontrer leur nécessité au regard de la santé des travailleurs. La Cour refuse de transformer une obligation de procédure en une interdiction matérielle absolue de limiter le recours aux entreprises de travail temporaire. Cette approche respecte l’équilibre entre la libre prestation de services et la protection sociale dont les États sont les garants dans l’ordre juridique interne.

B. La limitation de la portée juridique de la directive dans les litiges privés

L’arrêt consacre une interprétation restrictive de la directive en refusant de lui accorder une autorité supérieure immédiate sur les conventions conclues entre partenaires sociaux. La portée de la décision limite l’influence du droit de l’Union européenne sur les relations contractuelles privées en l’absence de transposition nationale explicite de l’article quatre. Cette solution évite une déstabilisation brutale des cadres conventionnels nationaux qui organisent traditionnellement l’accès au marché du travail et la protection des emplois permanents. La jurisprudence confirme ainsi que toutes les dispositions d’une directive ne possèdent pas nécessairement les qualités requises pour produire des effets de droit automatiques. Le maintien des restrictions conventionnelles demeure possible tant que le législateur national n’a pas formellement achevé le processus de réexamen imposé par les autorités européennes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture