Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction italienne, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale créant une différence de traitement en matière de protection contre le licenciement irrégulier.
En l’espèce, une salariée fut engagée sous contrat de travail à durée déterminée en 2013. Le 7 mars 2015, une nouvelle législation nationale est entrée en vigueur, modifiant le régime de sanction en cas de licenciement irrégulier pour les travailleurs nouvellement engagés en contrat à durée indéterminée ; la sanction de la réintégration dans l’entreprise fut remplacée par une indemnité pécuniaire plafonnée. Postérieurement à cette date, le contrat de la salariée fut converti en contrat à durée indéterminée. Quelques années plus tard, elle fit l’objet, avec plusieurs centaines d’autres salariés, d’une procédure de licenciement collectif jugée par la suite irrégulière en raison d’une violation des critères de choix des travailleurs à licencier.
La juridiction nationale saisie du litige ordonna la réintégration de tous les travailleurs licenciés, à l’exception de la requérante. Les juges du fond considérèrent que, la conversion de son contrat étant assimilée par le droit interne à une nouvelle embauche, elle relevait du nouveau régime moins protecteur. La salariée contesta cette décision, arguant d’une violation du principe d’égalité de traitement garanti par le droit de l’Union. Saisie de cette difficulté, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de la législation nationale avec, d’une part, la directive sur les licenciements collectifs et la Charte des droits fondamentaux, et d’autre part, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée. La question de droit qui était ainsi posée aux juges européens était de savoir si le principe de non-discrimination s’oppose à ce qu’un État membre applique un régime de protection contre le licenciement moins favorable à une salariée au motif que son contrat de travail, initialement à durée déterminée, a été converti en contrat à durée indéterminée après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation.
La Cour de justice répond par la négative. Elle juge d’abord que la réglementation nationale litigieuse ne relève pas du champ d’application de la directive sur les licenciements collectifs, ni par conséquent de la Charte des droits fondamentaux. Elle juge ensuite que la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée ne s’oppose pas à une telle réglementation dès lors que la différence de traitement qu’elle instaure est justifiée par un objectif légitime de politique sociale. Le raisonnement de la Cour procède en deux temps, en délimitant d’abord le périmètre du droit de l’Union applicable (I), avant de se prononcer sur l’existence d’une discrimination injustifiée (II).
I. La délimitation du cadre juridique applicable à la protection contre le licenciement collectif irrégulier
La Cour de justice précise le champ d’application des différents instruments du droit de l’Union invoqués, en écartant la directive sur les licenciements collectifs et la Charte (A), pour ne retenir que la pertinence de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée (B).
A. L’exclusion de la directive sur les licenciements collectifs et de la Charte des droits fondamentaux
La Cour examine en premier lieu l’applicabilité de la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs. Elle rappelle que cet instrument n’assure qu’une harmonisation partielle des législations nationales, portant essentiellement sur la procédure à suivre, notamment les obligations d’information et de consultation. En revanche, la directive ne vise pas à harmoniser les sanctions applicables en cas de licenciement irrégulier. La Cour constate que les modalités de protection accordées à un travailleur licencié en violation des critères de choix nationaux sont « manifestement dépourvues de rapport avec les obligations de notification et de consultation résultant de la directive 98/59 ». Par conséquent, elle en déduit que « [n]i ces modalités ni lesdits critères de choix ne relèvent du champ d’application de cette directive. Ils demeurent, par conséquent, du ressort des États membres ».
Cette première conclusion emporte une conséquence déterminante quant à l’invocabilité de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En vertu de son article 51, paragraphe 1, les dispositions de la Charte ne s’adressent aux États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Dès lors que la réglementation nationale fixant les sanctions du licenciement irrégulier ne constitue pas une mesure de mise en œuvre de la directive 98/59, elle ne peut être examinée au regard des droits garantis par la Charte, notamment ses articles 20 sur l’égalité en droit et 30 sur la protection en cas de licenciement injustifié. La Cour écarte ainsi un pan important de l’argumentation sans analyser le caractère adéquat ou dissuasif de la sanction indemnitaire au regard des exigences de la Charte.
B. La pertinence de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée
La Cour se tourne ensuite vers l’accord-cadre annexé à la directive 1999/70/CE, qui vise à garantir le respect du principe de non-discrimination à l’égard des travailleurs à durée déterminée. L’enjeu était de déterminer si une salariée, devenue titulaire d’un contrat à durée indéterminée au moment de son licenciement, pouvait encore se prévaloir de cet accord. La Cour répond par l’affirmative en adoptant une approche finaliste. Elle rappelle d’abord que la protection accordée en cas de licenciement illicite relève de la notion de « conditions d’emploi » au sens de la clause 4 de l’accord-cadre, confirmant ainsi sa jurisprudence antérieure.
Surtout, la Cour établit un lien de causalité direct entre le statut antérieur de la salariée et le traitement défavorable qu’elle a subi. Elle juge que le fait que la requérante ait acquis la qualité de travailleur à durée indéterminée « n’exclut pas la possibilité pour elle de se prévaloir, dans certaines circonstances, du principe de non-discrimination ». Le critère décisif est l’origine de la différence de traitement. En l’espèce, la Cour estime suffisant de constater « que la différence de traitement, dont la requérante au principal allègue être victime, résulte du fait qu’elle a été embauchée initialement à durée déterminée ». C’est bien ce contrat initial qui, en raison des règles transitoires de la loi nationale, l’a placée sous l’empire du régime moins favorable. La situation entre donc bien dans le champ de l’accord-cadre, ce qui conduit la Cour à en examiner les exigences de fond.
II. La validation de la différence de traitement au nom d’un objectif de politique sociale
Ayant établi l’existence d’une différence de traitement relevant de l’accord-cadre, la Cour en examine la justification, qu’elle admet en reconnaissant l’existence d’une « raison objective » (A), faisant ainsi prévaloir un objectif de politique de l’emploi sur une protection uniforme des salariés (B).
A. La reconnaissance d’une différence de traitement justifiée par une « raison objective »
La Cour applique son analyse traditionnelle en trois temps au regard de la clause 4 de l’accord-cadre : elle vérifie l’existence d’une situation comparable, d’un traitement moins favorable, puis d’une éventuelle justification par des « raisons objectives ». La comparabilité de la situation de la requérante avec celle de ses collègues engagés en contrat à durée indéterminée avant la réforme n’est pas sérieusement contestée, pas plus que le caractère moins favorable du traitement qui lui est réservé, la privant de la réintégration. Le cœur de l’analyse porte donc sur l’existence de raisons objectives.
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette notion « requiert que l’inégalité de traitement constatée soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets », qui doivent répondre à un « besoin véritable » et être « aptes à atteindre l’objectif poursuivi et nécessaires à cet effet ». Elle admet que de tels éléments peuvent résulter de la poursuite d’un objectif légitime de politique sociale d’un État membre. En l’espèce, le gouvernement italien faisait valoir que la réforme législative visait à encourager les embauches en contrat à durée indéterminée en allégeant le régime de sanction en cas de licenciement. La Cour reconnaît que « renforcer la stabilité de l’emploi en favorisant la conversion des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée constitue un objectif légitime de droit social ».
B. La primauté de l’incitation à l’embauche sur le principe de non-régression sociale
La Cour procède ensuite à un contrôle de proportionnalité de la mesure, en soulignant la large marge d’appréciation dont jouissent les États membres dans le choix de leurs politiques sociales et d’emploi. Elle considère que l’application du nouveau régime aux contrats convertis apparaît de nature à inciter les employeurs à procéder à de telles conversions, ce qui rend la mesure appropriée à l’objectif poursuivi. Elle estime également la mesure nécessaire, car si les contrats convertis étaient exclus du nouveau régime, « tout effet incitatif à convertir les contrats à durée déterminée en cours […] en contrats à durée indéterminée serait exclu d’emblée ».
Enfin, la Cour prend soin de préciser que le fait que la réforme opère une régression du niveau de protection sociale n’est pas, en soi, contraire à l’accord-cadre. Celui-ci consacre un principe de non-discrimination entre travailleurs à durée déterminée et indéterminée, mais n’interdit pas les éventuelles différences de traitement entre catégories de personnel à durée indéterminée, ni ne s’oppose à une modification à la baisse du droit du travail. La justification liée à la politique de l’emploi suffit donc à légitimer une mesure qui, autrement, apparaîtrait discriminatoire. Sous réserve des vérifications factuelles laissées à la juridiction de renvoi, la Cour conclut donc à la conformité de la législation nationale avec le droit de l’Union.