Cour de justice de l’Union européenne, le 17 mars 2022, n°C-232/20

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 17 mars 2022, précise le régime juridique applicable au travail intérimaire successif. Un salarié exerce ses fonctions au bénéfice d’une entreprise utilisatrice durant une période continue de cinquante-cinq mois. Ce travailleur demande la requalification de sa relation contractuelle en contrat à durée indéterminée auprès de la société d’accueil. Le tribunal régional du travail de Berlin-Brandenburg saisit la juridiction européenne d’une demande de décision préjudicielle afin d’interpréter la directive 2008/104. Le litige repose sur la définition du caractère temporaire des missions et sur les sanctions attachées au recours abusif à l’intérim. La Cour doit déterminer si une durée de mise à disposition excessive contraint l’entreprise à intégrer définitivement le personnel intérimaire. Elle affirme que le dépassement d’un délai raisonnable constitue un abus mais limite les conséquences directes de cette méconnaissance.

I. La définition jurisprudentielle du caractère temporaire de la mission

A. La validité de l’affectation sur un poste durable L’article 1er de la directive ne prohibe pas la mise à disposition d’un intérimaire pour « pourvoir un poste qui existe durablement ». La Cour admet que l’absence de remplacement d’un salarié absent ne disqualifie pas immédiatement la nature temporaire du contrat. Cette interprétation souple offre aux entreprises utilisatrices la faculté d’ajuster leurs effectifs en fonction de besoins structurels particulièrement changeants. Le juge européen privilégie une approche fonctionnelle du travail intérimaire sans imposer de restriction stricte sur la nature des emplois occupés.

B. Le constat de l’abus par le dépassement d’une durée raisonnable Le renouvellement de missions sur un même poste pendant cinquante-cinq mois constitue un recours abusif à cette forme d’emploi précaire. Une telle durée d’activité s’avère « plus longue que ce qui peut être raisonnablement qualifié de temporaire » au sens de la directive. Les autorités nationales doivent examiner les spécificités sectorielles et le cadre réglementaire pour déceler l’absence d’explications objectives à ces renouvellements. La protection des travailleurs impose de limiter les mises à disposition successives qui visent à contourner les règles du contrat de droit commun.

II. L’effectivité limitée de la protection contre les recours abusifs

A. L’obligation d’une appréciation globale de la relation de travail La directive s’oppose à une réglementation nationale écartant les périodes de travail antérieures pour le calcul de la durée maximale de mise à disposition. Une telle disposition transitoire prive le juge de la faculté d’évaluer la « durée réelle de mise à disposition » du salarié concerné. Cependant, la juridiction nationale n’est pas tenue d’écarter la loi interne contraire dans un litige opposant exclusivement des personnes de droit privé. Cette règle préserve la sécurité juridique tout en imposant une interprétation conforme des normes nationales par les magistrats du fond.

B. La subordination des sanctions à la volonté du législateur national Le travailleur ne peut obtenir la « naissance d’une relation de travail avec l’entreprise utilisatrice » sur le seul fondement du droit de l’Union. L’article 10 de la directive délègue aux États membres la définition des sanctions proportionnées et dissuasives en cas de non-respect des règles. Le juge européen refuse de créer un droit subjectif à l’embauche automatique si le droit interne ne prévoit pas explicitement cette mesure réparatrice. Cette solution souligne la marge d’appréciation laissée aux parlements nationaux pour sanctionner les manquements des entreprises de travail temporaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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